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retraité de l'ingénierie informatique et aéronautique et de l'enseignement dit supérieur (anglais de spécialité), écrivain et esprit curieux

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Billet de blog 17 août 2025

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Un poème printanier de Léonide Lavrov

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Léonide Lavrov (1908-1943) fils d'un ingénieur agronome, fit ses études à la Faculté de philologie de Moscou dont il sortit en 1928. Son talent de poète fut tôt reconnu et il publia deux premiers recueils de poésie Condensation de la vie (1931) et Section d'or (1933) avant d'être arrêté et condamné en mars 1935 à trois ans de camp pour "propagande contre-révolutionnaire" en même temps que Sméliakov et d'autres, dans le cadre des purges qui suivirent la mort de Kirov.

Après sa libération, il soumit pour publication un troisième recueil L'été dont quelques poèmes furent censurés, mais l'éclatement de la guerre empêcha ce recueil d'être édité (il ne fut publié qu'en 2011.) Déclaré inapte au service militaire, Lavrov fut temporairement évacué avant de revenir à Moscou où il mourut de tuberculose. Ses premiers recueils ont été republiés en URSS en 1966 seulement. Sa poésie n'est présente dans aucune anthologie française.

La moitié du mois de mars

Plus que le globe le ciel est bleu
L'air est saoulé à un pour cent ;
Traversant le centre et la banlieue,
L'autobus passe en me portant.
De tous côtés le soleil luit,
Et l'eau bout dans les chambres à air
Un chauffeur courtois, comme si
Lui célébrait son anniversaire.
Du soleil et du printemps ressort
Le bus comme une cage dorée,
Mais vous, ma chère voisine, encor
Êtes, comme en décembre, attristée.
Écoutez votre cœur, par là le flux reprend,
Là ce n'est plus aussi désert.
Là repoussent tout doucement
Des sentiments qui hibernèrent.
Là dans les coins sont répartis,
Les fautes et les méprises.
Le printemps attend aujourd'hui
Ce qu'un sourire autorise.
Et la voisine, hochant la tête,
Un sourire gêné m'adresse.
Et au bout de Moscou s'arrête
L'autobus qui là-bas nous laisse.
Ici nous nous reposons tous les deux,
Ici, ce n'est plus aussi bruyant,
Le nom de la petite rue en bleu
Jette des feux sur le bâtiment.
Dans la poitrine siffle un air écumant
Qui erre par les veines ivres,
Et le ciel est vivant,
Lesté d'un avion, il vibre.
Mais ce n'est pas le finish, ni le but,
C'est l'instant du départ.
Le mouvement, le soleil, les gouttes,
Et la moitié du mois de mars.

Texte russe:

Половина марта

Воздух пьян на один процент;
Небо синей, чем глобус.
Через окраину, через центр
Проносит меня автобус.
Солнце летит со всех сторон,
И вода закипает в шинах.
Кондуктор вежлив, как будто он
На собственных именинах.
Автобус от солнца и от весны
Как золотая клетка.
Но вы по-декабрьски ещё грустны,
Моя дорогая соседка.
Прислушайтесь к сердцу, там снова ток,
Там уж не так пусто.
Там потихоньку дают росток
Отзимовавшие чувства.
Там раскиданы по углам
Промахи и ошибки.
Весна ожидает сегодня там
Пропуска от улыбки.
И соседка, бросая кивок головы,
Улыбается мне неловко.
И нас оставляет в конце Москвы
Автобусная остановка.
Мы здесь отдыхаем, мы здесь вдвоём,
Здесь уж не так гулко,
На здании синим цветёт огнём
Фамилия переулка.
Воздушная пена шипит в груди
И бродит по венам пьяным,
И небо живёт, небо гудит,
Заряженное аэропланом.
Но это не финиш, это не цель,
Это минута старта.
Движенье, солнце, капель
И половина марта.

Notes sur le texte et la traduction:

Ce poème est daté de 1928. Comme beaucoup d'autres poètes russes, Lavrov était rendu lyrique par l'arrivée du printemps, mais il s'agit ici d'un lyrisme de la vie quotidienne urbaine, loin des hommages traditionnels au réveil de la nature dans la campagne.

Il est composé de vers de longueurs variables (de 6 à 10 syllabes) avec des rimes croisées (et quelques rimes approximatives dans l'avant-dernier quatrain. La traduction utilise des vers de 6 à 12 syllabes et pour maintenir le schéma de rimes, les deux premiers vers ont été intervertis.

La moitié du mois de mars: on pourrait traduire plus brièvement par: "La mi-mars".

passe en me portant: le préfixe Про- ajoute ici au verbe de mouvement indéterminé носит (porter, transporter) l'idée de passer quelque part ou de longer un endroit particulier. La traduction recourt ici au schéma transformationnel du chassé-croisé.

l'eau bout: les pneumatiques des véhicules lourds (camions, machines agricoles...) peuvent être gonflés à l'eau pour augmenter leur stabilité.

un chauffeur courtois: l'habituelle mauvaise humeur et la grossièreté des conducteurs de bus, tant moscovites que pétersbourgeois (comme avant eux celles des cochers) était proverbiale.

traversant: le texte répète la même construction: "à travers la banlieue, à travers le centre".

ce qu'un sourire autorise: le texte dit: "le permis venant d'un sourire".

les gouttes: mars est la saison du dégel.

Et au bout de Moscou s'arrête / L'autobus qui là-bas nous laisse: le texte dit: "Et nous laisse à la fin de Moscou / L'arrêt de l'autobus".

tous les deux: le texte dit: "nous sommes tous les deux".

jette des feux: le texte dit "brille d'un feu bleu".

avion: le texte dit "aéroplane".

il vibre: le texte dit: "il bourdonne", "il vrombit".

l'air écumant: le texte dit "l'écume aérienne".

le finish: le mot russe est la translittération de l'anglais "finish".

le départ: le mot russe est la translittération de l'anglais "start".

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