Si le « populisme » est pour certains une notion si commodément confuse qu’ils la mettent à toutes les sauces, il est important de réaliser qu’à la racine de cette confusion, c’est la notion même de « peuple » qui est porteuse d’ambigüités nombreuses et pas toutes constructives, loin de là, ambigüités qu’il convient donc d’analyser en détail et de manière critique.
Cet effort de réflexion est d’autant plus urgent que les slogans qui s’éparpillent sur les réseaux sociaux nous font découvrir presque chaque jour de nouveaux « peuples » : on nous y parle ces temps-ci de « peuple LGBT » ou de « peuple Vegan » (mais ce ne sont peut-être que des traductions maladroitement serviles de l’anglais) sans parler des politiciens impotents qui ressassent du « peuple de droite » et du « peuple de gauche ».
Cette profusion de nouveaux « peuples » me semble surtout symptomatique de la fragmentation identitaire de notre société. Pour tenter d’en limiter les dégâts intellectuels, voici une série de billets proposant quelques réflexions sur les avatars de la notion de « peuple ».
G. Lukacs distinguait la classe-en-soi et la classe-pour-soi, afin de dire la différence entre une définition « technique » objectivée, et en quelque sorte politiquement inerte, d’une classe sociale et son existence en tant que groupe humain constitué en sujet politiquement agissant, acteur de son propre destin. De manière analogue, on peut tenter de distinguer peuple-en-soi et peuple-pour-soi, car c’est dans l’articulation des deux que se logent la plupart des ambigüités et des confusions volontaires ou non qui se diffusent ensuite dans les discours que l’on qualifie sommairement de « populistes ».
Dans un premier temps, je discuterai diverses définitions de la notion de « peuple » paraissant au premier abord techniques et objectives et donc « apolitiques », en une première approche pour cerner les contours de ce que l’on peut entendre par « peuple-en-soi ».
Dans un second temps, je traiterai de différentes visions du peuple-pour-soi, en croisant les points de vue des principales références idéologiques et culturelles qui nourrissent nos représentations subjectives du peuple, du point de vue de la Droite et surtout de ceux de la Gauche.
J’essaierai en conclusion de proposer quelques précautions intellectuelles servant à maintenir notre sens critique en alerte : lorsque nous entendons le mot « peuple », ne sortons pas notre revolver, mais tenons-nous prêts à décortiquer de quelle(s) conception(s) du « peuple » relève le discours que l’on nous adresse et à garder présents à l’esprit les réactions que ces conceptions suscitent.