Michel DELARCHE (avatar)

Michel DELARCHE

retraité de l'ingénierie informatique et aéronautique et de l'enseignement dit supérieur (anglais de spécialité), écrivain et esprit curieux

Abonné·e de Mediapart

2028 Billets

0 Édition

Billet de blog 18 août 2024

Michel DELARCHE (avatar)

Michel DELARCHE

retraité de l'ingénierie informatique et aéronautique et de l'enseignement dit supérieur (anglais de spécialité), écrivain et esprit curieux

Abonné·e de Mediapart

Un poème sibérien de Nikolaï Tchijov

Un poète russe délicat, ignoré par les anthologies françaises

Michel DELARCHE (avatar)

Michel DELARCHE

retraité de l'ingénierie informatique et aéronautique et de l'enseignement dit supérieur (anglais de spécialité), écrivain et esprit curieux

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nikolaï Tchijov (1803-1848) était un jeune lieutenant de la Marine qui participa à une expédition arctique en 1821. En poste à Kronstadt en 1823, il sympathisa avec les frères Bestoujev par l'entremise desquels il fut admis en 1825 à la Société du Nord, une des deux sociétés secrètes préparant le coup d'État contre l'autocratie.

Malgré son refus de participer à la tentative de soulèvement militaire qu'il considérait comme vouée à l'échec, il fit partie des officiers hostiles à l'autocratie qui furent dégradés, privés de leurs titres de noblesse, et condamnés à l'exil intérieur en Sibérie.

En 1826, il arrive dans la région de Iakoutsk. Dans une lettre au tsar, il demanda sans succès à servir dans l'armée du Caucase. En 1833, il est admis comme simple soldat dans un bataillon d'infanterie à Irkoutsk puis à Tobolsk où il se lie avec d'autres exilés et devient sous-officier. Envoyé ensuite à Omsk, il est renvoyé de l'armée en 1843 avec interdiction de séjourner à Moscou et Saint-Pétersbourg et il est maintenu sous surveillance policière secrète. Il s'installe dans la région d'Oriol, d'abord sur la propriété de sa mère puis comme régisseur des terres de la femme du gouverneur local.

Il ne semble pas s'être adonné à la poésie avant son exil sibérien et il est resté totalement ignoré des anthologies poétiques françaises. Voici un poème représentatif de sa mélancolie d'exilé.

Журавли

Чуть-чуть видны на высоте воздушной,
Заслыша осени приход,
Несетесь с криком вы станицей дружной
Назад в полуденный отлет —
Туда, где светлого Амура воды
Ласкают зелень берегов,
Не ведая осенней непогоды,
Ни хлада зимнего оков.
Свободны вы, как ветр непостоянный,
Как лоно зыбкое морей.
Как мысль, летящая к стране желанной, —
Вы чужды участи моей.
Земного раб, окованный страстями,
Подъяв слезящие глаза,
Напрасно я хочу вспорхнуть крылами
И унестись под небеса.

Les busards
À peine un peu visibles dans les hauteurs de l'air,
Voyant que vient l'automne ici,
En criant vous filez en colonie entière,
Vol du retour vers le Midi,
Là où de la rivière Amour les eaux qui brillent
Caressent des rivages verts
Sans connaître d'automnales intempéries,
Ni les fers glacés de l'hiver.
Vous êtes libres comme l'est le vent instable,
Comme des mers le mouvant sein,
Comme pensée volant vers un lieu désirable,
Vous exemptés de mon destin.
Esclave de la terre, de passions entravé,
Des larmes m'emplissant les yeux,
Je veux en vain battant des ailes m'envoler
Et être emporté sous les cieux.

Notes sur le texte et la traduction:

Ce poème est daté du 27 juin 1828 à Olekminsk sur Léna. Il est composé d'hendécasyllabes alternant avec des octosyllabes. La traduction respecte ces variations de longueurs en combinant des alexandrins avec des octosyllabes.

Les busards: ces petits rapaces migrateurs qui vivent entre la Sibérie et la Chine sont appelés busards tchoug (circus melanoleucos).

Voyant que vient l'automne ici: le texte dit: "Ayant entendu l'arrivée de l'automne".

en colonie entière: le texte dit "une stanitsa /réunie/unanime/harmonieuse/"; la "stanitsa" était un village cosaque dont les terres étaient gérées en commun sous l'autorité de l'ataman et, par extension, la collectivité humaine qui l'occupait et ce mode d'organisation de la vie rurale s'était étendu à partir de l'Ukraine aux nouvelles terres colonisées en Russie; mais ce mot désigne aussi un troupeau, ou tout groupement d'animaux d'une même espèce. Le dictionnaire de Dahl indique d'autres sens plus spécifiques (groupe de délégués, députation, chanteurs d'église...) qui ne sont plus guère usités.

J'ai choisi de le traduire par "colonie", terme qui s'applique aussi bien aux humains qu'aux animaux, et qui est mieux adapté aux oiseaux que "troupeau".

de la rivière Amour: le texte dit simplement "d'Amour" mais c'est bien d'un fleuve du sud de la Sibérie, à la frontière avec la Chine, qu'il s'agit. J'ai traduit par "rivière" pour l'assonance avec la rime du vers suivant.

les fers glacés: le texte dit: "le froid des /chaînes/entraves/fers/."

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.