Vilguelm Zorguenfreï (1882-1938) fils d'un médecin militaire allemand et d'une Arménienne naquit en Bessarabie, aux marges de l'Empire russe d'alors. Il fit des études scientifiques (mathématiques et ingénierie industrielle) à Saint-Pétersbourg tout en écrivant des poèmes. Il devint ami avec Blok qu'il rencontra en 1906 et il lui dédia ce poème en 1913. Il fréquenta aussi à cette époque d'autres poètes symbolistes. Après 1918, Zorguenfreï se consacra à son métier d'ingénieur tout en produisant des traductions d'auteurs allemands (Heine, Kleist, Mann, Zweig) et il cessa d'écrire de la poésie.
Il sera arrêté début 1938 sous la même accusation d'un imaginaire "complot des écrivains de Léningrad" que Livchits, Zabolotskii et quelques autres intellectuels. Condamné à mort et fusillé l'année suivante, le même jour que Livchits, il sera réhabilité en 1958.
Александру Блоку
...Имею на тебя то, что оставил ты первую любовь твою.(
Откров. св. Иоанна)
Помнит месяц наплывающий
Все, что было и прошло,
Но в душе, покорно тающей,
Пусто, звонко и светло.
Над землею – вьюга снежная,
В сердце – медленная кровь,
Глубоко под снегом – нежная,
Позабытая любовь.
Скудно, скорбно дни истрачены,
Даль пределы обрела,
Сочтены и обозначены
Мысли, речи и дела.
Эту жизнь, безмерно серую,
Я ли, живший, прокляну?
Нет, и мертвым сердцем верую
В позабытую весну.
Пусть истлела нить печальная
И сомкнулась пустота –
Ты со мной, моя начальная
И последняя мечта.
И легки пути тернистые,
Твой не страшен Страшный Суд.
Знаю, чьи уста лучистые
Приговор произнесут.
Тихо радость исповедую,
Память сердца озарю:
Приобщи твоей победою
К неземному алтарю.
Высоки врата престольные,
Тяжелы земные сны,
Но любви простятся вольные
И невольные вины.
Ma traduction:
Pour Aleksandr Blok
J'ai contre toi que tu as abandonné ton premier amour.
(Apocalypse de Saint Jean)
Se souvenir du mois courant
De tout le passé parti,
Mais dans l'âme avec soin fondant,
Vide, sonore et qui luit.
Sur la terre un blizzard de neige,
Au cœur, le sang ralenti,
En profondeur dessous la neige,
Un tendre amour dans l'oubli.
Pauvres douloureux jours passés
Limites au loin touchées,
Les jours sont comptés et marqués
Discours, actes et pensées.
Cette vie infiniment grise,
La maudirai-je en vivant ?
Non, car ce cœur qui agonise
Croit en l'oublié printemps.
Qu'un morne fil parte au rebut
Et qu'un vide soit comblé.
Tu es avec moi, mon début,
Et mon rêve dernier.
Les voies aisées sont épineuses,
Ton Jugement n'effraie pas
Je connais les lèvres radieuses
De qui le verdict viendra.
Ma joie est calme j'en atteste,
J'éclairerai la mémoire
de mon cœur, sur l'autel céleste
Viens déposer ta victoire.
La porte au temple est élevée,
Les rêves mondains pesants,
Libres amours sont pardonnées
Et les écarts inconscients.
Notes sur le texte et la traduction:
Ce poème est daté de septembre 1913. La citation en épigraphe est un verset tiré de l'Apocalypse de Saint Jean (Apo. 2.4) et fait sans doute référence à l'intérêt de Blok pour diverses sectes mystiques en lieu et place de la religion établie; on peut interpréter cette citation comme un reproche du même genre que ceux qu'adressait à Blok son beau-frère Soloviov, dévot de l'orthodoxie.
Les quatrains alternent des vers de 9 et 7 syllabes à rimes croisées. La traduction s'est efforcée de maintenir cette différence de longueur avec des vers de 8 syllabes et de 7 syllabes.
qui agonise: le texte dit "mort". J'ai voulu ici produire un effet d'allitération entre "car", "cœur" et "qui" qui fasse écho à l'effet d'allitération entre мертвым, сердцем et верую.
parte au rebut: le texte dit "pourrisse", "soit réduit en /poussière/cendres/".
Ton Jugement: le texte dit "ton Jugement Dernier".
au temple: le texte dit "paroissiale".
mondains: le texte dit "terrestres", dans un esprit d'opposition du mondain au divin.
écarts: le mot вины peut se traduire par "erreurs" ou "fautes"; j'ai choisi un terme qui peut convenir aux deux sens. "Péchés" pourrait convenir au contexte mais serait un peu trop fort.