Tous les géopoliticiens de Café du Commerce vont encore se répandre en lamentations: le Rafale est décidément invendable, c'est la faute à Dassault trop habitué à sa rente de fournisseur exclusif de l'armée française et qui ne sait pas monter ses dossiers à l'export, c'est la faute aux méchants Yanquis qui nous savonnent la planche à tous les coups, c'est la faute à Sarkozy qui a énervé tout le monde avec ses roulements de caisse intempestifs, c'est la faute à Hollande qui est nul en tout (y compris en ventes d'armes), c'est la faute à ce pauvre néocon de Fabius avec ses discours ultras sur l'Iran (alors que le Brésil avait déjà mal digéré le rejet par les USA de sa tentative de médiation coordonnée avec la Turquie), c'est la faute aux militaires brésiliens qui sont corrompus et incompétents etc. etc.
Toutes ces raisons non exclusives les unes des autres sont certes parfaitement valables mais elles négligent deux autres points importants:
1°) le Brésil n'a pas besoin d'un avion multi-mission de supériorité aérienne: il est en paix avec ses voisins, n'a pas d'arrière-cour post-coloniale à tenir en ordre (il se contente d'investir dans les anciennes colonies portugaises d'Afrique), et a de longue date adopté une posture internationale de "soft power" dans une logique strictement onusienne d'intervention. D'après les derniéres statistiques disponibles (novembre 2013) la contribution du Brésil aux missions de l'ONU est d'environ 1500 hommes, postés essentiellement à Haïti (Rousseff a d'ailleurs décidé en octobre de réduire de 300 hommes ce contingent haïtien); par comparaison, la contribution de la France, qui intervient plutôt en mode bilatéral (Mali, RCA...) voire en unilatéral (Libye, Syrie...) n'est que que 950 hommes. Le Brésil, géopolitiquement, c'est une bonne grosse Suisse qui serait membre de l'ONU (ah oui, c'est vrai ça, et d'ailleurs la Suisse avait choisi le Gripen aussi pour distraire ses militaires: probablement parce que c'était le seul avion sur le marché capable d'atteindre sa vitesse maximale et d'enchaîner sur un virage serré sans sortir des frontières de l'Hélvétie.)
2°) ni le lourd passé dictatorial et le haut degré de corruption des militaires brésiliens ni la situation socio-économique actuellement très tendue n'incitent la présidente Rousseff à gaspiller de l'argent en jouets coûteux et opérationnellement surdimensionnés, et contrairement à ce que l'on entend ici ou là, je pense que dans la même situation Lula aurait pris la même décision.
Conclusion: les seuls endroits où le Rafale reste vendable sont l'Inde (si les méchants Russkoffs ne profitent pas de la débile politique ultra-atlantiste de Hollande et Fabius pour nous y savonner la planche...) et les Emirats (ils sont pleins aux as et peuvent acheter un peu de tout pour faire plaisir à tout le monde, et en plus l'Iran leur fait vraiment très très peur, donc des avions capables de faire la guerre pour de vrai, ça les motive.)