Balmont (1867-1942) était issu d'une famille de la noblesse d'origine suédoise ou balte. Ses premières années dans un manoir de campagne inspireront sa poésie. Dès 1884, il est exclu de son école secondaire pour avoir imprimé et distribué des proclamations de "La Volonté du Peuple" (mouvement populiste et terroriste responsable de l'assassinat du tsar Alexandre II trois ans plus tôt). Il est transféré au lycée de Vladimir et placé sous la surveillance d'un de ses enseignants.
Peu après son entrée à l'université de Moscou en 1886, il en fut exclu pour avoir organisé des manifestations étudiantes contre un nouveau statut réactionnaire et après trois jours en prison il fut exilé sans procès à Chouyou, la petite ville où il avait entamé ses études. En 1889, il se marie contre l'avis de ses parents qui lui coupent les vivres et il fait une tentative de suicide l'année suivante et passe un an en convalescence. Séparé de sa femme, il ne parvient pas à faire publier sa poésie.
Son premier recueil de 1894, Sous Le Ciel du Nord marque le véritable début de sa carrière et il devient rapidement un poète reconnu. En 1896, il se remarie et voyage en Europe.
En 1901, il soutient une manifestation d'étudiants contre un décret visant à envoyer dans l'armée les étudiants considérés comme politiquement "peu fiables". Son poème "Petit Sultan" qui, sous couvert de critiquer la Turquie, est une charge contre l'autocratie remporte un immense succès et sera publié par Lénine dans son journal de propagande L'Étincelle. Il est alors banni de Saint-Pétersbourg pour trois ans. Il part pour la France et l'Angleterre revenant de temps à autre à Moscou.
Il rentre en Russie en 1905, se rapproche de Gorki et harangue les étudiants sur les barricades moscovites en décembre avant de fuir à Paris pour éviter d'être arrêté. Il y reste jusqu'en 1913. Ce premier exil en France est entrecoupé de longs voyages jusque dans le Pacifique sud. Il écrit en 1906-1907 deux féroces poèmes politiques intitulé Notre Tsar et (prémonitoirement) Nicolas le Dernier. Ses recueils publiés à Paris sont interdits en Russie. La critique considère qu'à partir de 1910 son inspiration décline. L'amnistie proclamée en 1913 pour le tricentenaire de la dynastie des Romanov, lui permet de rentrer en Russie.
En août 1914, la guerre le surprend à Paris et il ne parvient à retourner en Russie via l'Angleterre et la Suède qu'en 1915. En 1916 et 1917, il écrit 255 sonnets considérés comme médiocres par la critique.
Favorable à la Révolution de Février, mais hostile aux bolchéviks, il rejette le nouveau régime, tout en continuant de donner des conférences et est employé par le Commissariat du Travail grâce à l'appui de Lounatchartski qui lui permit en mai 1920 de partir pour la France, où il est mal vu des émigrés Blancs du fait de son passé révolutionnaire et des relations qu'il maintient avec les autorités soviétiques pour tenter de venir en aide à d'autres écrivains restés bloqués en URSS. Il y poursuivit jusqu'à sa mort son œuvre, désormais passée de mode, de chantre de l'amour tout en vivotant de traductions.
Son style poétique se rattache au symbolisme. Son raffinement et son lyrisme touchant parfois à la mièvrerie l'ont fait classer parmi les décadentistes. Mandelstam ne l'aimait pas, lui trouvant un ton par trop affecté. Néanmoins, la musicalité de ses vers a inspiré différents compositeurs (dont Prokofiev et Stravinski).
Le poème qui suit, prophétiquement intitulé "Nicolas le Dernier" est le plus violent de ses poèmes politiques dirigés contre le tsar Nicolas II.
Николаю последнему
Ты грязный негодяй с кровавыми руками,
Ты зажиматель ртов, ты пробиватель лбов,
Палач, в уютности сидящий с палачами,
Под тенью виселиц, над сонмами гробов.
Когда ж придёт твой час, отверженец Природы,
И страшный дух темниц, наполненных тобой,
Восстанет облаком, уже растущим годы,
И бросит молнию, и прогремит Судьбой.
Ты должен быть казнён рукою человека,
Быть может собственной, привыкшей убивать,
Ты до чрезмерности душою стал калека,
Подобным жить нельзя, ты гнусности печать.
Ты осквернил себя, свою страну, все страны,
Что стонут под твоей уродливой пятой,
Ты карлик, ты Кощей, ты грязью, кровью пьяный,
Ты должен быть убит, ты стал для всех бедой.
Природа выбрала тебя для завершенья
Всех богохульностей Романовской семьи,
Последыш мерзостный, ползучее сцепленье
Всех низостей, умри, позорны дни твои.
Ma traduction:
Nicolas le Dernier
Toi la sale canaille aux mains pleines de sang,
Toi qui fermes les bouches, toi qui les fronts fracasses,
Bourreau chez les bourreaux à l'aise t'asseyant
À l'ombre des potences, sur des cercueils en masse.
Rebut de la Nature, quand ton heure viendra,
Le terrible esprit des cachots grâce à toi pleins,
Nuée gonflée au fil des ans, se lèvera,
Faisant jaillir la foudre et tonner le Destin.
Tu devrais être exécuté d'humaine main,
Peut-être par la tienne, à tuer endurcie,
Grand infirme de l'âme est ce que tu devins,
Tu ne peux vivre ainsi, toi un sceau d'infamie.
Par toi-même souillé, tu souillas ton pays,
Et tous les pays qui sous ton laid talon pleurent,
Nain altéré de sang, toi, boue, mauvais génie,
Tu dois être tué, pour tous tu es malheur.
La nature t'élut pour l'accomplissement
de tous les blasphèmes de cette dynastie,
Cadet abominable au lignage rampant,
Tes jours sont indignes, meurs de tes infamies.
Notes sur le texte et la traduction:
Ce poème de 1907, inspiré à l'auteur par la féroce répression de 1905, eût un immense succès et devint un instrument de propagande révolutionnaire contre l'autocratie.
toi qui les fronts fracasse: le texte dit littéralement: "toi troueur de fronts"
chez les bourreaux à l'aise: le texte dit littéralement "dans le confort avec les bourreaux"
grâce à toi pleins: le texte dit "remplis par toi".
à tuer endurcie: le texte dit :"habituée à tuer".
grand infirme: le texte dit: "démesurément infirme".
Et tous les pays: allusion à la domination de l'Empire Russe qui s'étendait alors sur la Pologne, les pays baltes, la Finlande, la Géorgie, l'Azerbaïdjan, l'Arménie et l'Ukraine qui proclameront (parfois pour peu de temps) leur indépendance en 1917 ou 1918.
pleurent: le texte dit: "gémissent".
mauvais génie: le Kochtcheï (Кощей) du texte est un mauvais génie rural du folklore russe. Il a aussi le sens de 'squelette' ou de 'fantôme'.
de cette dynastie: le texte dit: "de la famille des Romanov".
Cadet: il s'agit ici de désigner le dernier-né d'une fratrie et pas un membre du parti dit Cadet (KD pour Constitutionnel-Démocratique).
lignage: сцепленье signifie ici 'filiation' (en russe moderne, ce mot désigne surtout les systèmes mécaniques de couplage tels que les embrayages.) Le traduire par 'lignage' renvoie au statut aristocratique de la dynastie des Romanov.
de tes infamies: le texte dit: "de toutes des infamies".
Il eût un immense succès et devint un instrument de propagande révolutionnaire contre l'autocratie.
toi qui les fronts fracasse: le texte dit littéralement: "toi troueur de fronts"
chez les bourreaux à l'aise: le texte dit littéralement "dans le confort avec les bourreaux"
grâce à toi pleins: le texte dit "remplis par toi".
à tuer endurcie: le texte dit :"habituée à tuer".
grand infirme: le texte dit: "démesurément infirme".
Et tous les pays: allusion à la domination de l'Empire Russe qui s'étendait alors sur la Pologne, les pays baltes, la Finlande, la Géorgie, l'Azerbaïdjan, l'Arménie et l'Ukraine qui proclameront (parfois pour peu de temps) leur indépendance en 1917 ou 1918.
pleurent: le texte dit: "gémissent".
mauvais génie: le Kochtcheï (Кощей) du texte est un mauvais génie rural du folklore russe. Il a aussi le sens de 'squelette' ou de 'fantôme'.
de cette dynastie: le texte dit: "de la famille des Romanov".
Cadet: il s'agit ici de désigner le dernier-né d'une fratrie et pas un membre du parti dit Cadet (KD pour Constitutionnel-Démocratique).
lignage: сцепленье signifie ici 'filiation' (en russe moderne, ce mot désigne surtout les systèmes mécaniques de couplage tels que les embrayages.) Le traduire par 'lignage' renvoie au statut aristocratique de la dynastie des Romanov.
de tes infamies: le texte dit: "de toutes tes infamies".