La plupart des spécialistes académiques du péronisme se contentent par ailleurs, comme le récent ouvrage collectif: « Les Quatre Péronismes »d'une paresseuse périodisation institutionnelle alors qu'une analyse plus concrète des politiques socio-économiques réellement menée par les gouvernants se réclamant du justicialisme montre que le premier péronisme requiert une sous-périodisation interne, car le péronisme flambeur des années 40 est très différent du péronisme comprador des années 50.
Bref, personne ici ne semble envisager un pure et simple effacement progressif du mouvement justicialiste en tant que force politique capable de gouverner la nation argentine, et sa transformation en un péronisme-zombi qui ne survivrait plus que sous forme d'une vague référence idéologique sans portée politique réelle comme en France le gaullisme, ou en une force politique d'appoint (parce que devenue qualitativement obsolète et quantitativement marginale en dehors de quelques bastions résiduels) comme le Parti Communiste Français vis-à-vis du PS ou le Parti Radical argentin vis-à-vis du PRO de Mauricio Macri.
Et pourtant, il me semble que l'état actuel d'affaiblissement du péronisme pourrait annoncer son effacement définitif en tant qu'élément structurant du système politique argentin, plutôt qu'une enième recomposition et résurgence à horizon 2019 (date des prochaines élections présidentielles) telle qu'attendue par tous les spécialistes.
Aujourd'hui, le péronisme est bel et bien devenu le ventre mou de la politique argentine, après en avoir longtemps été la colonne vertébrale. La facilité avec laquelle Macri a pu rallier à sa démarche néo-libérale les gouverneurs et une large majorité des députés et sénateurs péronistes fait bien ressortir les faiblesses intrinsèques du péronisme, présentement écartelé en trois tendances principales dont l'une (le Front Rénovateur de Sergio Massa) s'est délibérément construite en dehors de la structure institutionnelle du Parti Justicialiste.
Les deux autres (le péronisme « canal historique » et le kirchnérisme) ne parviennent pas à définir un agenda politique commun en raison de profondes divergences de fond, phénomène plus rare qu'il n'y paraît dans un mouvement aussi verticaliste-unanimiste que le PJ, où les rapides réalignements opportunistes sont monnaie courante et ne s'embarrassent pas de considérations idéologiques.
Aujourd'hui le réalignement pragmatique de la majorité droitière des élus péronistes s'effectue soit directement derrière Macri soit derrière Massa, et non pas derrière une figure interne au PJ:les récents appels à l'unité du fantomatique géronte Gioja et du très démonétisé Scioli ne trouvent guère d'écho.
Pour compliquer encore la situation interne du PJ, les Jeunesses Péronistes de tendance gauchisante des années 70 que certains (y compris les intéressés) présentent comme l'ancêtre de La Campora, l'actuelle aile marchante du kirchnérisme étaient loin d'avoir une relation aussi fluide avec leur leader historique. Contrairement à Peron soi-même, Cristina Fernandez n'a jamais traité les militants de son aile gauche de jeunes idiots imberbes, bien au contraire.
Même si la brutalité de la politique macriste provoque un début de réunification du mouvement syndical, sa traduction au niveau du péronisme politique semble problématique, et l'hypothèse qui m'apparaît la plus probable est donc la persistance de l'actuelle tripartition politique entre a) la droite technocratique de Macri et ses alliés radicaux qui voudront prolonger leur mandat, b) la droite sécuritaire de Massa (qui n'a pas de divergences programmatiques majeures avec Macri) qui se donne pour objectif de continuer à ramasser les morceaux du péronisme « canal historique » afin de gagner les élections de 2019 face à un Macri affaibli par la récession économique (et sans doute par un score médiocre aux élections intermédiaires de 2017), et c) un kirchnérisme n'ayant aucune chance réelle de revenir au pouvoir du fait de la détérioration durable de son image, car le grand déballage d'une décennie de corruption généralisée dans la gestion de l'Etat ne fait que commencer. Même si elle ne termine pas sa carrière en prison, Cristina Kirchner traînera tout au long des prochaines années autant de casseroles judiciaires que notre Sarkobismuth national, ce qui lui sera un handicap rédhibitoire pour les prochaines élections présidentielles. Par sa nature même, le PJ ne survivrait pas à une deuxième défaite électorale consécutive et même une victoire de Massa sous la bannière d'un néo-péronisme de droite n'en serait qu'une résurgence en trompe-l'oeil, un peu comme croire que la victoire de Sarkozy en 2007 aurait signé une résurgence du gaullisme.
Après ce tour d'horizon de la problématique institutionnelle et de «politique politicienne » à court-moyen terme, je développerai dans un autre papier les raisons culturelles et socio-économiques de fond pour lesquelles le parti péroniste me semble à moyen-long terme destiné à s'effacer du paysage.
Billet de blog 22 avril 2016
Le péronisme, ventre mou de la politique argentine
Les multiples politologues de la sphère médiatique, qui sont à la politique argentine ce que les Barbier, Duhamel ou Fressoz sont à la politique française, semblent tous considérer le péronisme comme éternel et en quelque sorte consubstantiel au système politique argentin.
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