Le père de Dmitriï Oussov (1895-1943) étant mort très tôt, sa mère se remaria avec le frère du défunt, un professeur de zoologie à l'université de Moscou, qui l'élèvera comme son propre fils.
En 1907-1908, il accompagna son beau-père qui était en voyage scientifique en Allemagne.
Il acheva ses études secondaires en 1914 et entra à la faculté d'histoire et de philologie, entamant en parallèle une carrière de poète, de critique et de traducteur. Il écrivait également en allemand.
En 1918, il partit pour Astrakhan où il devint enseignant à l'université locale et chargé de cours d'allemand. Il se maria en 1921 contre la volonté de son beau-père mais malgré la naissance d'une petite fille, le mariage ne dura pas et il rentra à Moscou l'année suivante.
Il travailla à la Commission d'étude de la vie artistique à partir de 1923 et enseigna les sciences sociales à l'Académie d'État des Arts et des Sciences y donnant aussi des cours sur la technique de la traduction de l'allemand en 1927-28. En 1925, il épousa Alissa Levental qui lui avait été présentée par Marina Tsvétaïeva.
Après la fermeture de l'Académie en 1929, il travailla au grand dictionnaire allemand-russe et enseigna à l'institut pédagogique de Moscou et au centre de formation en langues étrangères. Il traduisit de la poésie et de la prose allemande et française. Mais sa familiarité avec la langue allemande ne tarda pas à lui attirer de gros ennuis.
Il fut arrêté en 1935 au titre de l'affaire dite "du dictionnaire", un des nombreux complots imaginaires qui fleurirent à l'époque stalinienne, une affaire dans laquelle cent quarante germanistes furent accusés d'avoir constitué une "organisation contre-révolutionnaire germano-fasciste" (sic). Oussov fut condamné à cinq ans de camp de travaux forcés, et Alissa fut exilée en Kirghizie l'année suivante.
Après sa libération en 1940, il retrouva son épouse et ils s'installèrent en 1941 à Tachkent où il redevint enseignant à l'institut pédagogique local. L'épuisement physique consécutif à ses années de camp le fit mourir prématurément d'une crise cardiaque. Il fut réhabilité en 1989.
Переводчик
Недвижный вечер с книгою в руках,
И ход часов так не похож на бегство.
Передо мною в четырёх строках
Расположенье подлинного текста:
«В час сумерек звучнее тишина,
И город перед ночью затихает.
Глядится в окна полная луна,
Но мне она из зеркала сияет».
От этих строк протягиваю нить;
Они даны – не уже и не шире:
Я не могу их прямо повторить,
Но всё-таки их будет лишь четыре.
«В вечерний час яснее каждый звук,
И затихает в городе движенье.
Передо мной – не лунный полный круг,
А в зеркале его отображенье».
Le traducteur
La soirée sans bouger, un livre entre les mains,
Et la marche des heures ne semble une évasion.
J'ai devant moi les quatre lignes d'un quatrain.
Le texte original a pour disposition:
« Le silence au crépuscule plus sonore est,
Et la ville se tranquillise avant la nuit.
La pleine lune dans la fenêtre apparaît,
Mais pour moi hors du miroir elle resplendit. »
À partir de ces vers, c'est un fil que je tends;
Ils sont donnés, ni plus larges, ni plus étroits :
Je ne peux pas les répéter directement,
Mais il n'y en aura que quatre toutefois:
« À l'heure vespérale, chaque son est plus net,
Alors que dans la ville le trafic diminue.
La lune devant moi n'est pas un rond complet,
Mais c'est dans le miroir son image apparue. »
Notes sur le texte et la traduction:
Ce poème daté du 15 février 1928 constitue une mise en abyme du processus de traduction poétique: les second et quatrième quatrains sont présentés comme deux façons de transcrire un même fragment de poème. Je n'ai pas identifié un texte-source étranger qui devrait être un poème soit en allemand soit en français, les deux langues auxquelles Oussov consacra son activité traductoriale. Il semble donc plutôt qu'Oussov a inventé de toutes pièces un premier quatrain pour jouer à le reformuler.
On peut noter que la première version est plus provocante intellectuellement ("le silence est plus sonore") et plus directement sensible, alors que la seconde est plus abstraite, plus rationalisée.
L'évocation d'un miroir participe thématiquement à la mise en abyme, en mettant les deux versions en regard l'une de l'autre, représentant ainsi le passage de la réalité à sa représentation. Le message implicite est que le processus de traduction tend à gommer le relief de l'original, tout comme un miroir réduit et aplatit la réalité en un reflet.
L'ensemble du poème est composé en décasyllabes à rimes croisées et leurs équivalents en français sont des alexandrins (en tenant compte d'un taux de foisonnement de l'ordre de 15 à 20%.)
Il convient de faire en sorte que les distorsions introduites dans la mise en vers français n'effacent pas les choix du "traducteur" éponyme passant de sa première à sa seconde version du quatrain.
sans bouger: le texte dit "immobile".
des heures: on peut aussi traduire par "de l'horloge".
Quatre lignes d'un quatrain: le texte dit seulement "quatre lignes" mais à la fois pour la rime et pour marquer que le texte original est un poème j'ai précisé "d'un quatrain".
a pour disposition: le texte dit "Disposition du texte original:"
au crépuscule: le texte dit "à l'heure du crépuscule".
le silence ... plus sonore est: le texte dit littéralement: "plus sonore le silence".
ces vers: le texte dit "ces lignes".
c'est un fil que je tends: le texte dit "je tends un fil".
Alors que: le "et" russe en début de vers marque ici une concomitance.
le trafic: cet anglicisme pour "circulation" est aujourd'hui bien installé dans la langue française.
son image apparue: le texte dit seulement "son image".