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retraité de l'ingénierie informatique et aéronautique et de l'enseignement dit supérieur (anglais de spécialité), écrivain et esprit curieux

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Billet de blog 23 mars 2017

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En marche vers le néo-libéralisme conservateur: portrait de Macron en action

Ces jours-ci, on nous vante complaisamment dans les gazettes la modernité progressiste "de droite et de gauche" de Mr Macron. La réalité de sa brève mais nuisible action au gouvernement fut évidemment bien différente... y compris dans un domaine qui ne relevait pas a priori de sa compétence: la réorganisation des Grandes Écoles et des Universités.

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Le Groupe Jean-Pierre Vernant (universitaires s'opposant aux dérives néo-libérales dans la réorganisation des universités) analyse dans un texte que je reproduis volontiers ci-dessous (en l'assortissant de quelques commentaires personnels et en supprimant les renvois à diverses références) la façon dont Macron s'est associé au sabotage du regroupement Paris-Saclay entre l'École Polytechnique et les autres écoles et universités du pôle scientifique de Paris-Sud Saclay. Comme quoi l'énarchie et la mafia polytechnicienne sont faites pour s'entendre, puisque elles sont les deux visages de ce que P. Bourdieu désignait comme "noblesse d'État".

Lobby soit qui manigance
La période entourant l’élection présidentielle est traditionnellement marquée par une grande activité des groupes d’influence, qui agissent pour promouvoir et défendre leurs intérêts. Afin de poursuivre notre analyse des programmes politiques pour l’enseignement supérieur et de la recherche, il nous a semblé important de rassembler les informations publiques disponibles sur ces influenceurs. Les lobbies technocratiques ayant une proximité idéologique évidente avec M. Macron, l’occasion nous sera ainsi donnée d’éclairer d’un jour nouveau le programme de ce dernier dans la seconde partie de ce billet (commentaire MD: texte pas encore publié) : suppression du statut de fonctionnaire pour les universitaires, suppression du Conseil national des universités (CNU), fin du recrutement par les pairs, salaire d’embauche à la discrétion des présidences d’université, privatisations partielles, fin de l’élection des présidents d’université, déclassement des universités non “excellentes”, etc. (Commentaire MD: le regroupement en cours de Paris-3 Sorbonne, Paris-5 Descartes et Paris-7 Diderot sous l'impulsion du seul secteur médical de Paris-5 et Paris-7 et à l'encontre de la volonté massivement exprimée des enseignants-chercheurs de toutes les autres UFR est l'exemple même des dérives technocratiques institutionnalisées sous Sarkozy et approfondies sous Hollande.)
Il convient de procéder avec méthode en partant des lieux de reproduction des élites du pays : les pôles d’exaltation du capital culturel que sont Polytechnique (l’X) et l’ENS (ULM), et les pôles des élites scolairement dominées, mais socialement et économiquement dominantes, l’ENA et HEC (commentaire MD: j'y ajouterais Sciences Po Paris)
Le 15 décembre 2015 a eu lieu un conseil d’administration de l’Ecole Polytechnique, qui est alors prise entre deux feux. Sur le plan managérial, deux rapports de la cour des comptes et un rapport parlementaire ont pointé l’absence de “stratégie” de l’État pour cet établissement, son inadaptation à la “concurrence internationale”, sa “gouvernance” défaillante et l’absurdité de sa tutelle militaire. Le premier ministre, M. Valls, a commandé un rapport à un énarque non polytechnicien, M. Attali, rapport préconisant la suppression du classement de sortie, la suppression de la solde et la création d’une nouvelle “École polytechnique de Paris” englobant les grandes écoles de Saclay. Reprenant ces conclusions, M. Le Drian a annoncé le 6 juin 2015 une “révolution” à l’X, “révolution” qui a ceci de spécifique qu’on en connaît la date d’avènement : le 15 décembre 2015.
Sur le plan scientifique, l’X est également critiquée pour son archaïsme : il n’y régnait jusqu’au tournant des années 2000 aucune culture ou presque de la recherche et de l’innovation ; contrairement à toutes les formations d’ingénieur de par le monde, le doctorat n’y est pas la norme. La formation technique dispensée par l’X est avant tout technocratique et abstraite, fondée sur l’analogie du calcul plutôt que sur la compréhension, ce qui ne confère à ses étudiants que les qualités requises à la gestion de l’univers bureaucratique. Il n'est question ici, ni d'émettre des doutes sur les très bons laboratoires de l'X, ni de qualifier les qualités scientifiques de la minorité de polytechniciens ayant choisi l'enseignement supérieur et la recherche. Soulignons en particulier que l'enseignement abstrait a indéniablement contribué à la formation de chercheurs de premier plan en mathématiques financières. (commentaire MD: ces deux dernières phrases ont été ajoutées après coup pour moduler la sévérité du jugement du groupe JPV sur l'X)
Aussi l’intégration dans le “cluster” de Paris-Saclay est-elle encouragée par les pouvoirs publics, les ministres de tutelle en tête : ayant investi 5,3 Milliards €, l’État, à l’évidence, se doit de tenir le cap de la politique scientifique et industrielle qu’il a décidée.
La promesse d’une communauté de destin entre Polytechnique et la plèbe universitaire est ressentie comme une menace par les lobbies polytechniciens, qui s’activent à la mi-juillet : une “task-force” est constituée autour de M. Pringuet, X-Mines et président de l'AFEP, le puissant lobby des grands patrons français, très actif dès le début du quinquennat pour obtenir – avec succès – la baisse par défiscalisation du salaire socialisé (CICE) et garantir ainsi la pérennité du taux de rendement du capital. La mobilisation de président-directeurs généraux d’entreprises françaises de grande taille (CAC40 notamment) issus du corps des Mines fait merveille : lors du conseil d’administration du 15 décembre 2015, les ministres de tutelle, M. Le Drian et M. Mandon, se trouvent flanqués de M. Macron (commentaire MD: anecdote fascinante que cette irruption de Macron dans une réunion où il n'avait rien à foutre: l'on voit ici très concrètement comment l'énarchie peut voler au secours de la mafia polytechnicienne).
En fait de “révolution”, un statu quo est proposé qui réduit à néant les efforts pour constituer Paris-Saclay. M. Macron l’accompagne, lui qui vient d’imposer des centaines de millions € de coupes à l’Université (les milliards de coupes dans le contrat de plan État-régions, les annulations de crédits, les coups de rabot…), d’une augmentation du budget de l’X de 60 millions €. On voit par là que les lobbies les plus puissants sont aussi conservateurs qu’efficaces.
Les lobbies polytechniciens aiment à se présenter comme une élite éclairée par une compétence scientifique et technique authentifiée par le concours de sortie, au service de l’intérêt général. L’anecdote précédente montre que ce discours “progressiste”, ce mythe de l’élite guidant le peuple et cette façade de rationalité méritocratique et managériale, cachent une logique de caste et une haine de l’Université, comme lieu d’émancipation intellectuelle des classes moyennes. La conservation du système de reproduction de la “noblesse d’État” passe par tous les moyens, y compris la mise à terre d’un projet aussi important et coûteux que Paris-Saclay. Cette anecdote montre aussi que la peur du déclassement touche jusqu’aux polytechniciens, qui ont vu s’instaurer au cours des trente dernières années un décalage croissant entre “mérite” scolaire et profit social, et l’ENA devenir le centre du pouvoir (commentaire MD: c'est un peu excessif, car la mafia polytechnicienne a encore de beaux restes). L’intervention réussie de l’AFEP auprès de M. Macron montre aussi que la perpétuation de la technostructure prime sur la rivalité entre l’Inspection des finances, nourrie par l’ENA, et le Corps des mines, alimenté par l’Ecole Polytechnique (commentaire MD: et aussi par Normale Sup, comme le démontre la trajectoire, ô combien funeste pour l'industrie nucléaire française, d'une certaine "Atomic Anne"). Ces deux grands Corps conduisent à des trajectoires semblables : passage dans un cabinet ministériel pour étoffer le carnet d’adresses, puis “pantouflage” dans une entreprise privée pour faire fortune avant de contribuer sur le tard à maintenir l’emprise des grands Corps sur les instruments financiers de l’Etat : Caisse des dépôts et consignations (CDC), Banque publique d’investissements (BPI), Commissariat général à l’investissement (CGI). La mutation en cours dans ces grands Corps dépasse donc le déclassement de la science, de la rationalité et du savoir au profit du management : il s’agit de l’abandon de l’intérêt général au profit de l’intérêt privé, le récit de la compétence technique n’étant plus là que pour masquer l’idéologie néolibérale. (commentaire MD: cette analyse est trop sommaire: il y aurait beaucoup à dire et à redire sur les notions mêmes de "rationalité scientifique" et d' "intérêt général" dont les universitaires aiment à se prévaloir.)
Post-scriptum
M. Macron (Inspection des finances) est à l’évidence une émanation de cette logique, incarnée par le groupe anonyme des Gracques et en particulier par M. Jouyet (Inspection des finances). M. Macron est entré en politique à l’occasion du rapport Attali-Macron commandé en 2008 par M. Sarkozy. Notons que M. Attali a la particularité d’être passé par le Corps des mines avant l’Inspection des finances. Le parrain en politique de M. Macron est M. Minc (Inspection des finances) qui s’était lui-même fait connaître par le rapport Nora-Minc. M. Minc, condamné pour plagiat, illustre bien le changement du rapport au savoir des lobbies néolibéraux : conserver l’apparence de l’érudit pour accréditer le mythe d’une sphère gestionnaire compétente au service de l’intérêt général. La tutelle sur l’organisation de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche de M. Schweitzer (Inspection des finances), nommé à 72 ans à la tête du Commissariat général à l’investissement (CGI), illustre parfaitement cet obscurantisme gestionnaire.
Comme M. Minc, M. Macron a recours à la falsification pour se construire auprès des journalistes une image d’intellectuel – son échec au concours de l’Ecole Normale Supérieure semble être resté comme une brûlure cuisante. Assistant éditorial (correcteur d’épreuves) de l’ouvrage La Mémoire, l'histoire, l'oubli (Seuil, 2000), il se présente encore comme assistant de Ricœur – qui a pris sa retraite universitaire en 1981 quand M. Macron avait 4 ans – ayant entretenu de longues conversations philosophiques d’égal à égal avec celui-ci. Chacune de ses tirades “philosophiques” suffit à démontrer que son DEA n’a laissé que de vagues traces mal digérées.

Commentaire MD: et voici le sieur Macron remis à sa vraie place

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