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retraité de l'ingénierie informatique et aéronautique et de l'enseignement dit supérieur (anglais de spécialité), écrivain et esprit curieux

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Billet de blog 23 juin 2014

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Dette argentine: les vautours communiquent

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Suite à mon précédent billet sur le sujet de la dette argentine, j'ai reçu d'une personne travaillant pour le compte d'Elliott Management Corporation un message exposant la position de certains débiteurs privés ayant refusé la restructuration de 2005 (ce que l'on appelle en jargon les "holdouts") sous la forme d'une mise au point vis-à-vis des déclarations faites la semaine dernière par Axel Kicillof

Ce genre d'action de communication ciblée est typique du mode d'action des lobbys financiers et industriels et montre que ces opérateurs financiers ont vraiment beaucoup d'argent à investir dans la veille informationnelle sur la Toile et plus largement dans la lutte d'influence médiatique (je ne sais pas si Mme Orange et Mr Casrouge qui ont également traité de ce sujet ont également eu droit à ce type de message.)

Plutôt que de répondre en bilatéral, il me paraît intéressant de reproduire les arguments exposés par EMC assortis de mes propres commentaires:

Les déclarations des dirigeants argentins suite à la décision de la Cour Suprême américaine, confirmant les décisions des juridictions inférieures, illustrent un choix politique délibéré de ne pas se conformer à cette décision.

commentaire MD: il y a effectivement de cela: l'Argentine a adopté depuis plusieurs années une attitude politique de défense intransigeante de sa souveraineté qui a porté ses fruits (cf. un de mes précédents billets sur l'exclusion du FMI des négociations avec le Club de Paris)

Que le gouvernement ait réussi à établir une sorte d'Union Sacrée avec l'opposition parlementaire autour de sa position n'a pas dû échapper à EMC, ce qui explique à mon sens l'offensive médiatique en cours

En effet, les conséquences économiques apparaissent bien plus désastreuses pour l’Argentine en cas de refus d’appliquer cette décision.

commentaire MD: je crois au contraire que l'Argentine a tout intérêt à maintenir le rapport de force pour obliger les "holdouts" à revenir se placer dans le cadre négocié avec plus de 92% des débiteurs privés

UN CHOIX POLITIQUE AVANT TOUT

Le ministre argentin Axel Kicillof a remis en cause la légitimité des obligations, celles-ci ayant été émises par de précédents gouvernements

→ Or, les dettes souveraines sont par nature héritées par les différents gouvernements successifs d’un pays ; d’ailleurs, les dettes de l’Argentine traitées en Club de Paris et couvertes par l’accord conclu fin mai sont elles-mêmes beaucoup plus anciennes, puisqu’elles datent pour la plupart des années 70 et 80, y compris donc de l’époque de la dictature, et l’Argentine n’a jamais remis en cause leur légitimité, et pour cause.

 commentaire MD: en réalité, ce que Kicillof a mis en cause c'est la légitimité politique des gouvernants néo-libéraux antérieurs à opiner sur le sujet ; à aucun moment le gouvernement argentin n'a purement et simplement nié l'existence de cette dette, mais il cherche évidemment à en optimiser les conditions (modalités et délais) de remboursement

Il a déclaré que les fonds vautours n’avaient pas prêté de l’argent à l’Argentine mais qu’elles avaient simplement racheté des obligations, suite à la faillite de pays

→ Or, un très grand nombre des créanciers, y compris parmi ceux qui ont accepté la restructuration, ont acquis ces obligations suite au défaut de l’Argentine – le fait que ces obligations soient librement échangeables sur le marché est un principe de base de fonctionnement du marché de la dette, sans lequel les Etats ne pourraient pas emprunter sur les marchés financiers

commentaire MD: le problème du marché de ces obligations est son opacité (sciemment entretenue par les grands intervenants à coup de sociétés-écrans, de fiducies basées dans les paradis fiscaux etc.); il n'y a en réalité aucun moyen de connaître les délais réels de détention continue de ces titres; compte tenu du fonctionnement habituel des "hedge funds" et autres opérateurs financiers spéculatifs, Kicillof est bel et bien fondé à pointer du doigt les opérations de ramassage tardif d'obligations décotées dont ces spéculateurs sont coutumiers.

Il a déclaré que l’Argentine avait restructuré sa dette avec succès

→ Or, le fait que l’Argentine soit exclue depuis plusieurs années des marchés de financement internationaux est la preuve que l’Argentine n’a toujours pas réglé la question de sa dette.

commentaire MD: le récent accord avec le Club de Paris a quelque peu changé la donne; mais il ne me semble de toute façon pas nécessaire que l'Argentine renoue avec la politique d'endettement sur les marchés financiers qui l'a amenée à la catastrophe en 2001: la politique du gouvernement actuel consiste à renationaliser la dette en la plaçant auprès des acteurs institutionnels argentins (ANSES etc.); on peut contester ce choix, mais il a le mérite d'aller dans le sens du maintien de la souveraineté financière (et nos gouvernants feraient bien de s'en inspirer); c'est également le choix constant d'un pays comme le Japon que d'assurer la détention de sa dette dans le périmètre national.

→ Le gouvernement argentin fait preuve d’une grande opacité en tout ce qui concerne la dette argentine. Il a par exemple demandé et obtenu du Club de Paris que l’accord passé avec lui demeure  confidentiel, et refuse d’en communiquer les termes à son propre parlement (tout comme il avait déjà refusé, en 2010, de lui communiquer la liste des créanciers qui avaient accepté la deuxième offre de restructuration de la dette).

 commentaire MD: compte tenu de la grosse décote (70%) acceptée en 2005 par la plupart des prêteurs privés on peut supposer qu'ils n'étaient pas non plus très chauds pour que leur participation à la restructuration soit rendue publique: je pense (sans évidemment pouvoir en apporter la preuve) qu'il y a eu un accord de confidentialité passé à l'époque avec certains prêteurs "restructurés" et que le gouvernement argentin respecte cet accord.

DES ARGUMENTS ÉCONOMIQUES ET FINANCIERS PEU CONVAINCANTS

Axel Kicilloff a déclaré que l’Argentine serait obligée de payer 15 milliards de dollars et non pas seulement les 1,4 milliards mentionnés par la décision de la Cour Suprême.

→ Le chiffre de 15 milliards avancé par le ministre n’a été accompagné d’aucune explication et ne correspond pas aux estimations des différents experts.

commentaire MD: ce chiffre correspond simplement à une extrapolation sommaire du jugement à l'échelle de l'ensemble des holdouts (le jugement ne portait que sur une fraction d'entre eux) et cette évaluation n'a pas été contestée par la presse locale d'opposition ni par la presse financière internationale


→ L’Argentine n’a pas encore rencontré les créanciers qui pourraient demander un traitement identique à celui de NML Capital ou Aurelius, leur demande n’est donc même pas encore connue.

→ Si les créanciers en question demandaient le même traitement, il n’est pas certain que la justice américaine leur accorderait automatiquement, et on ne sait pas dans quel délai.

commentaire MD: chat échaudé craignant l'eau froide, et compte tenu de la nature hautement coutumière du Droit américain, le gouvernement argentin n'a aucune raison de faire des hypothèses optimistes à ce stade, au moins tant que le juge Griesa (âgé de 84 ans: il a été nommé sous la présidence de Nixon !) sera en fonction. Ils doivent néanmoins espérer que Griesa finisse par crever ou par partir en retraite.

→ L’accord avec le Club de Paris ou encore avec Repsol montre que le choix de la négociation a permis de déverrouiller des situations bloquées depuis des années.

commentaire MD: la négociation a déjà eu lieu et il ne tenait qu'à EMC et autres fonds spéculatifs de participer aux restructurations antérieures en temps et en heure; je pense que le principe de l'aléa moral doit s'appliquer ; EMC et quelques autres ont pris le risque de la confrontation judiciaire et à mon avis les évolutions en cours de l'opinion publique internationale conduiront cette politique à l'échec.

Selon le ministre, une clause empêche l’Argentine de faire une offre plus favorable que celle faite lors des restructurations de 2005 et 2010

→ La clause, dite RUFO, ne s’applique qu’en cas d’offre d’échange plus favorable et « volontaire » de la part de l’Argentine à un autre créancier. Elle ne s’applique donc pas en cas de jugement l’ayant condamné à payer, ni en cas de règlement à l’amiable fondé sur un tel jugement.

commentaire MD: ce que craint le gouvernement argentin est que les débiteurs ayant accepté la restructuration antérieurement ne reviennent à la charge au nom du principe d'équité de traitement. Un règlement à l'amiable venant après le jugement mais qui n'en serait pas directement la transposition (par exemple une négociation ultérieure aboutissant à un niveau de restructuration de 40 ou 50% au lieu de 70%) pourrait bel et bien déclencher la clause RUFO.

Il met également en avant le risque systémique que pourrait avoir l’exécution de la décision sur les restructurations des dettes souveraines

→ Les juges ont insisté sur le fait que la décision découlait de la structure des obligations et du comportement de l’Argentine

→ Les obligations récentes comportent des clauses d’action collectives, empêchant des créanciers minoritaires de bloquer une restructuration de dette

 commentaire MD: oui, c'est par exemple le cas de la restructuration de la dette grecque ; mais il faut noter que le seuil d'imposition de la restructuration aux minoritaires est généralement très élevé (de l'ordre de 90%) et le jugement new-yorkais est de nature à conduire les spéculateurs à refuser systématiquement toute restructuration... d'où des difficultés supplémentaires pour franchir ce seuil.

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