Michel DELARCHE (avatar)

Michel DELARCHE

retraité de l'ingénierie informatique et aéronautique et de l'enseignement dit supérieur (anglais de spécialité), écrivain et esprit curieux

Abonné·e de Mediapart

2024 Billets

0 Édition

Billet de blog 23 juin 2024

Michel DELARCHE (avatar)

Michel DELARCHE

retraité de l'ingénierie informatique et aéronautique et de l'enseignement dit supérieur (anglais de spécialité), écrivain et esprit curieux

Abonné·e de Mediapart

Un poème satirique d'Arkadi Boukhov

Arkadii Boukhov (1886-1937) était fils de cheminot et entama des études universitaires à Kazan puis à Saint-Pétersbourg. Il fut arrêté en 1907 et exilé dans l'Oural pour avoir participé à l'agitation étudiante des années qui suivirent la révolution avortée de 1905.

Michel DELARCHE (avatar)

Michel DELARCHE

retraité de l'ingénierie informatique et aéronautique et de l'enseignement dit supérieur (anglais de spécialité), écrivain et esprit curieux

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Arkadii Boukhov (1886-1937) était fils de cheminot et entama des études universitaires à Kazan puis à Saint-Pétersbourg. Il fut arrêté en 1907 et exilé dans l'Oural pour avoir participé à l'agitation étudiante des années qui suivirent la révolution avortée de 1905. Il était alors soupçonné d'appartenir au parti SR (Socialistes Révolutionnaires). Il fut enrôlé dans l'armée en 1914 mais fut rapidement démobilisé car considéré comme "politiquement non fiable."

Auteur de premières critiques littéraires remarquées (dont une étude sur Blok), il devint un des contributeurs les plus prolifiques de la revue humoristique Satiricon où il publia des parodies et des poèmes. Dans l'élan de la Révolution de Février, il participa en 1917 comme scénariste au film de propagande "Vers la liberté du peuple".

Le Nouveau Satiricon fut fermé dès 1918, en raison du faible sens de l'humour des nouvelles autorités soviétiques. Boukhov émigra alors en Lituanie où il devint le rédacteur en chef du journal de la diaspora russe locale "Echo" où il publia Bounine et Kouprine ainsi que ses anciens collègues de Satiricon (comme la poétesse Teffi ou Sacha Tchiorny). Il rentra en URSS en 1927 et devint un agent secret du NKVD en 1928 en même temps qu'un contributeur régulier de la Literatournaïa Gazieta puis à partir de 1930 du magazine Krokodil dont il dirigea la section littéraire. Il publia un roman intitulé L'Anneau Noir en 1931.

Lors des grandes purges staliniennes de 1937, il fut arrêté, accusé d'activités contre-révolutionnaires, condamné à mort et immédiatement exécuté. Comme beaucoup d'autres, il fut réhabilité à titre posthume en 1956. Il a été jusqu'à ce jour ignoré des anthologies françaises de poésie russe et son humour grinçant n'est toujours guère en odeur de sainteté dans la Russie d'aujourd'hui...

Жестокий
Дубровин с тощею сумой
Стоял, просящий подаянья
На «Знамя русское» с мольбой
И для себя — на пропитанье…
Копейку только он просил.
И взор являл живую муку…
Тут Пуришкевич проходил
И… плюнул доктору на руку…
Так иногда кадет иной.
От оптимизма весь неистов.
Победы ждет… А за спиной
Давно стоит суровый пристав…

Ma traduction:

Cruel
Doubrovine avec sa besace famélique,
Demandant l'aumône se tenait
Devant "Le Drapeau Russe" avec une supplique
Et pour lui-même, pour manger ...
Un seul kopek il demandait
Et son regard montrait une vive douleur....
Pourichkevitch par là passait
Et il cracha dans la main du docteur...
Comme un certain cadet de temps en temps.
Par optimisme il est tout enthousiasmé
Il attend la victoire... Mais depuis longtemps
Dans son dos se dresse un rude policier.

Notes sur le texte et la traduction:

Ce poème satirique de 1908 nécessite une mise en contexte historique.

Il met en scène le politicien monarchiste Aleksandre Doubrovine (1855-1921) co-fondateur du Parti national-populiste "Union du Peuple Russe" (UPR) dont la devise était "orthodoxie, autocratie, nationalisme" (comme quoi le régime de Poutine a de qui tenir...) L'UPR est considérée par les historiens contemporains comme un des tout premiers partis proto-fascistes européens.

Doubrovine approuvait les pogroms et trouvait la Douma de 1907 trop libérale, mais il fut exclu de son parti en 1912 par des éléments plus radicaux qui le trouvaient trop mou (tout est relatif...). Comme toutes les organisations monarchistes, l'UPR fut interdite après la Révolution de Février et Doubrovine sera finalement fusillé par les Bolcheviques.

L'autre personnage mentionné est Vladimir Pourichkévitch (1870-1920) politicien monarchiste et antisémite qui provoqua à partir de 1908 des scissions plus radicales au sein des sections provinciales de l'UPR, ce qui marginalisa progressivement Doubrovine. Pourichkévitch participa à l'assassinat de Raspoutine et fut chargé de faire disparaître le corps. Il combattit au sein de l'Armée Blanche pendant la guerre civile, au cours de laquelle il mourut du typhus.

famélique: le texte dit "avec un maigre sac".

Le Drapeau Russe: nom du journal de l'UPR.

du docteur: Doubrovine était médecin militaire.

cadet: membre du Parti Constitutionnel Démocratique qui s'opposait à l'autocratie mais qui, après la Révolution de Février, siégea à l'aile droite de la Douma et voulait poursuivre la guerre contre l'Allemagne. Après la Révolution de Février, il était devenu le seul parti non-socialiste au sein de la Douma où il soutint l'autonomie de la Pologne mais s'opposa aux indépendantistes ukrainiens.

Après la démission de Millioukov, ministre des affaires étrangères et leur principal représentant au sein du gouvernement de Kérenski, il approuva la tentative de putsch du général Kornilov. Le parti des cadets fut interdit après la Révolution d'Octobre et la plupart de ses dirigeants rejoignirent les armées Blanches ou émigrèrent en Europe de l'Ouest.

Au moment de l'écriture de ce poème, ce parti faisait partie de l'opposition légale, tolérée malgré son refus de s'associer au gouvernement De Witte. Comparer Pourichkévitch aux Cadets est évidemment une moquerie de la part de Boukhov qui pointe du même coup la surveillance policière et l'infiltration d'espions au sein des groupes d'opposition, l'ironie de l'histoire étant que vingt ans plus tard lui-même deviendrait un agent du NKVD...

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.