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Michel DELARCHE

retraité de l'ingénierie informatique et aéronautique et de l'enseignement dit supérieur (anglais de spécialité), écrivain et esprit curieux

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Billet de blog 24 octobre 2014

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L'accident de Vnoukovo

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L'accident de Vnoukovo qui a coûté la vie au PDG de Total et à l'équipage de son Falcon 50 montre bien comment une situation intrinsèquement délicate (mauvaise météo, visibilité réduite) et une série de dysfonctionnements dans le respect des procédures (manque de vigilance du contrôleur de tour, apparemment débutant; état d'alcoolisation du conducteur d'un chasse-neige traversant la piste) peut mener à la catastrophe.

Mais à cela s'ajoutent d'autres facteurs:

La plupart des accidents d'avion ont lieu au décollage ou à l'atterrissage et la densité et la complexité du trafic dans les grands aéroports ont conduit depuis une dizaine d'années les autorités de navigation aérienne à améliorer les outils de surveillance du trafic de surface, en particulier à travers des programmes de déploiement de systèmes dits A-SMCGS (Advanced Surface Movement Control and Guidance Systems) incluant également des moyens de pister précisément les nombreux autres véhicules circulant au sol: camions, autobus, voitures de service... et engins de déneigement...

Cependant ces systèmes ne sont déployés que dans les aéroports les plus importants et les aéroports plus petits, en particulier ceux qui sont réservés en totalité ou en partie aux petits modules, à l'aviation d'affaire ou aux VIP (comme Le Bourget, le London City Airport des Docklands ou aussi Vnukovo à Moscou, qui est trois fois plus petit que Domodedovo et Cheremetievo) ne bénéficient généralement pas des systèmes les plus avancés et doivent souvent se contenter de moyens de visualisation limités à base de radars primaires sans corrélation.

Un autre facteur d'accroissement du risque dans les aéroports petits et moyens, est que l'on utilise logiquement les contrôleurs de tour les plus chevronnés dans les aéroports les plus importants: on ne laisserait certainement pas un contrôleur débutant donner les clairances de décollage à Roissy en situation météo difficile et je suppose qu'il en va de même à Cheremetievo (où je n'ai atterri qu'une fois; il ne m'est rien arrivé mais cela n'a évidemment pas de valeur statistique...) En revanche, la gestion du personnel est probablement moins exigeante dans des aéroports moins stratégiques en terme de volume de trafic, et la routine aidant, les choses peuvent finir par mal tourner.

À cela s'ajoute une dimension plus spécifiquement russe (ou plus exactement post-soviétique) qui est d'avoir conservé une conception essentiellement punitive de la sécurité aérienne. Au temps de Staline, pour satisfaire la paranoia du Petit Père des Peuples et de ses sbires, il fallait sans cesse trouver des "coupables" à fusiller ou à expédier en camp de travail, et il en reste encore quelque chose dans le fonctionnement du système de supervision de la sécurité aérienne dans les pays post-soviétiques: or la menace a priori d'une lourde punition en cas de problème est contre-productive car elle a pour effet de pousser les gens à dissimuler les incidents au lieu d'en faire des objets de réflexion pour l'amélioration des procédures, des infrastructures et des outils (par exemple, il existe dans la plupart des centres de contrôle un dispositif permettant de dénoncer anonymement des incidents ou des manquements aux procédures qui seront ensuite analysés confidentiellement par des experts indépendants de la hiérarchie opérationnelle.)

Par contraste avec cette approche pro-active moderne, menant une mission dans une république post-soviétique il y a déjà quelques années (les choses ont quand même dû s'améliorer depuis.. enfin j'espère...) j'avais eu l'occasion de lire quelques rapports confidentiels (rédigés en russe) sur deux ou trois sérieux incidents de navigation aérienne (dont une hallucinante quasi-collision entre un Tupolev et un hélicoptère militaire) et j'avais pu constater que la désignation du ou des coupables paraissait plus importante aux rédacteurs de ces rapports que le développement de préconisations constructives visant à remédier aux dysfonctionnements constatés (utilisation de cartes obsolètes, procédure de calibrage altimétrique défaillante etc.)

Une dernière anecdote pour conclure sur le problème de l'alcoolisme: le chef du centre de contrôle en route m'avait expliqué comment il "triait" ses contrôleurs le matin: il reniflait leur haleine et ceux qui émettaient des vapeurs trop prononcées étaient mis de côté jusqu'à ce qu'ils aient fini de décuiter...

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