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retraité de l'ingénierie informatique et aéronautique et de l'enseignement dit supérieur (anglais de spécialité), écrivain et esprit curieux

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Billet de blog 25 juillet 2014

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Quelques remarques sur le chaos ukrainien

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La démission hier du premier ministre Yatseniouk n'est qu'une nouvelle étape de la prise du pouvoir par Porochenko et la confirmation de son choix d'une alliance hautement métastable entre l'ultra-droite nationaliste (qui dirige actuellement l'offensive contre les rebelles du Donbass à travers un réseau de milices pas plus contrôlables que les indépendantistes de l'Est) et un réseau d'oligarques "libéraux" dont Porochenko est le parangon.

Son maintien au poste de premier ministre après la raclée subie par sa patronne Timochenko constituait déjà une anomalie en soi (c'est un peu comme si Fillon était resté premier ministre après l'élection de Hollande).

Il est donc logique que son rôle transitoire d'homme-lige des Américains se termine maintenant que les Américains disposent en la personne de Porochenko d'un nouvel interlocuteur légitimé par le suffrage universel et partisan de la même politique d'intégration à l'Europe et à l'OTAN.

La ligne actuellement suivie par Porochenko semble consister à jouer son pouvoir politique en Ukraine à quitte ou double: il laisse les mains libres aux ultras qui veulent liquider la rébellion à l'Est (et comme il n'aurait de toute façon aucun levier d'action sur eux vu l'autonomie qu'ils ont acquise dans le pilotage des appareils répressifs d'Etat, il préfère abonder dans leur sens, ce n'est pas très malin ni très lucide, mais comme disait feu Kanapa "On n'a pas tous les jours du courage") en pariant sur un succès militaire rapide qui consoliderait son image d'homme à poigne et lui permettrait de remporter les élections législatives de l'automne.

Yatseniouk, lui, était coincé: la seule alternative au blocage et à l'éclatement de sa majorité au Parlement aurait été de jouer la carte d'une Grande Coalition ré-incluant les Communistes et le Parti des Régions dans le jeu politique: impossible dans la conjoncture actuelle et de toute façon impensable pour un technocrate américanisé, quoique habitué aux standards moraux élastiques du néo-libéralisme mafieux de Timochenko et consorts.

Mais hier à la Rada, avant de quitter la tribune, il a posé quelques bonnes questions concernant l'intendance des affaires en cours, entre autres: comment l'Ukraine va-t-elle payer les soldats qui mènent la guerre civile à l'Est? (sous-entendu: n'y a-t-il pas mieux à faire que de poursuivre cette guerre?)

Porochenko compte surfer sur la vague d'indignation créée en Occident par la destruction du vol MH17, mais c'est un pari risqué; les preuves concernant les responsabilités des uns et des autres dans cette tragédie sont fragiles et mon sentiment personnel est que personne n'a les fesses propres dans cette histoire:

- d'après les Américains, les Russes auraient rapatrié précipitamment quelques vieux missiles sol-air confiés aux indépendantistes (indistinguables des missiles de même type utilisés par l'armée ukrainienne dont certains avaient été saisis par lesdits indépendantistes) mais la perte de deux nouveaux chasseurs ukrainiens avant-hier semblent montrer le contraire: les indépendantistes de l'Est ont des missiles et ils savent parfois s'en servir correctement (au moins contre des avions militaires.) Cela dit, les milices de l'Est ont une fois de plus fait la preuve de leur incapacité à contrôler un tant soit peu un territoire qu'ils prétendent vouloir ériger en république indépendante (il y a quelques jours un reporter de CNN présent sur le terrain expliquait que dans certaines zones il est impossible de savoir qui contrôle quoi, car il y a entre 150 et 200 groupes armés indépendantistes non-coordonnés entre eux et dont le seul ciment est la haine du gouvernement de Kiev). Dans le chaos ukrainien, les milices du Donbass jouent toujours le rôle destabilisateur que leur a assigné Poutine (mais croire que Poutine tire réellement toutes les ficelles de ce qui se passe là-bas serait sous-estimer l'ampleur du bordel ambiant) et n'ont en rien prouvé leur capacité à administrer la région.

- les Ukrainiens n'ont toujours pas publié les échanges entre les pilotes et le contrôle, ni leur propre imagerie radar de la situation aérienne dans la zone, ce qui ouvre la porte à bien des soupçons: ni eux ni les Américains n'ont démenti l'information donnée par les Russes (et étayée par des images radar) selon laquelle un avion militaire ukrainien volait à proximité immédiate du MH17 lorsqu'il a été abattu ; de plus les raisons du changement de route de l'avion civile ainsi que son altitude réelle de vol au moment où il a été abattu restent floues. L'attitude consistant à poursuivre d'intenses combats au sol tout autour de la zone tout en accusant les milices adverses de mauvaise volonté concernant l'accès au site de la catastrophe relève d'une pyramidale mauvaise foi (évidemment jamais relevée par les médias occidentaux).

- comme je l'ai expliqué longuement par ailleurs, les compagnies aériennes qui continuent de survoler des zones de guerre ont également une part de responsabilité dans ce type de catastrophe: si toutes les compagnies étaient aussi rigoureuses que Qantas ou British Airways (qui avaient arrêté tout survol de cette zone) cette catastrophe ne se serait pas produite.

Mon sentiment personnel, déjà exprimé dans un billet précédent (et avant que les Services Américains n'en fassent désormais leur hypothèse principale de travail), est qu'il s'agit de la part des séparatistes d'une confusion avec un avion de transport militaire, confusion facilitée par une situation aérienne anormale (l'avion civil volant hors des routes normales, avec des chasseurs adverses volant à proximité.) Le dépouillement des boîtes noires par les néerlandais devrait nous en apprendre plus dans les jours qui viennent.

En attendant, une fois que la mayonnaise médiatique sera retombée (en ce moment, une catastrophe aérienne chasse l'autre...), le pari de Porochenko risque de se retourner contre lui.

Porochenko, s'il était un homme d'Etat responsable, pourrait décider d'arrêter temporairement l'offensive à l'Est, de convoquer une conférence de paix avec l'entremise de diplomates occidentaux et de dépêtrer l'Ukraine de cette spirale de chaos, mais il n'en a probablement ni la liberté de manoeuvre ni non plus l'envergure politique.

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