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retraité de l'ingénierie informatique et aéronautique et de l'enseignement dit supérieur (anglais de spécialité), écrivain et esprit curieux

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Billet de blog 26 janvier 2025

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Viktor Khorodtchinskiï, un enfant-poète au camp des Solovki

Viktor Khorodtchinskiï (1913-1937) naquit à Vyborg. Son père avait été le secrétaire du dirigeant menchévique Plékhanov. et, au moment de la Révolution de Février, la famille vivait en exil politique en Italie. Ses parents décidèrent alors de rentrer à Pétrograd.

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Viktor Khorodtchinskiï (1913-1937) naquit à Vyborg. Son père avait été le secrétaire du dirigeant menchévique Plékhanov. et, au moment de la Révolution de Février, la famille vivait en exil politique en Italie. Ses parents décidèrent alors de rentrer à Pétrograd.

Cousin du dirigeant social-démocrate Martov, ce jeune opposant précoce au régime bolchevique rédigea en 1925 (à douze ans !) un premier tract manuscrit appelant à "révéler les erreurs de l'appareil du Parti" ce qui lui valut une première arrestation. Il écrivait déjà des poèmes d'inspiration politique.

Accusé d'être à la tête d'un groupe de jeunes contre-révolutionnaires, il fut envoyé au SLON, le camp des îles Solovki, à l'âge de quinze ans seulement et n'en sortit qu'en 1931. Entre temps, son père avait été lui aussi arrêté et condamné à dix ans de prison.

Arrêté à nouveau en 1932 sous l'accusation de diriger "l'organisation contre-révolutionnaire de la jeunesse menchévique", il sera condamné à cinq années de prison qu'il passa d'abord aux Solovki et pendant lesquelles il écrivit des poèmes et mena des grèves de la faim et des protestations de prisonniers, puis, après son transfert sur le continent en raison d'une tuberculose, dans d'autres camps à Iaroslavl et Tchéliabinsk. En 1937, son père fut fusillé pour lui avoir rendu visite et lui-même fut exécuté un peu plus tard à Tchéliabinsk. Il sera réhabilité en 1989.

Typhus

Тиф

Недаром я судьбы оскал
Встречаю, трепетом объятый.
В ее улыбке холод скал
И соловецкие закаты.

Иду с горячей головой,
Бреду, шатаясь, словно пьяный,
А позади идет конвой,
Уставя в спину мне наганы.

Вокруг сосновые боры,
Деревья пляшут в лунном свете,
И душный запах камфары
Меня встречает в лазарете.

Typhus

Moi je rencontre un rictus de la destinée,
Non sans raison d'un tremblement saisi,
Dans son sourire il y a le froid des rochers,
Et le soleil couchant des Solovki.


Je marche avec la tête en feu,
Comme un ivrogne, je délire en titubant
Derrière vient l'escorte, et eux
Me braquent dans le dos des révolvers Nagant.

Tout autour, il y a des bois de pins
Au clair de lune, les arbres vacillent,
Et du camphre l'étouffant parfum
Vient m'accueillir dans l'infirmerie.

Notes sur le texte et la traduction:

La Russie des années 1919-1920 connut une terrible épidémie de typhus qui fit trois millions de victimes dans toute le pays, de Pétrograd à Vladivostok, tout le long du Transsibérien pendant la retraite de l'Armée Blanche de Koltchak et aussi en Ukraine et dans l'armée de Wrangel au Sud ainsi que dans l'Armée Rouge, bien que la plupart des victimes fussent des civils.

Le manque de médicaments résultant du blocus imposé par les Alliés contre les bolcheviques aggrava la situation. Des foyers endémiques ont subsisté en URSS jusqu'au début des années 1930, faisant encore des centaines de milliers de victimes, en particulier dans les camps de travaux forcés comme le chantier du canal de la mer Blanche où les forçats étaient affaiblis par la malnutrition et les mauvais traitements.

Le poème alterne des vers de 8 et de 9 syllabes avec des rimes croisées. La traduction propose le même schéma de rimes avec également des alternances de longueurs des vers (12 et 10 syllabes dans le premier quatrain, 8 et 12 dans le second, 9 et 10 dans le troisième).

saisi: le texte dit "/enveloppé/embrassé/".

l'escorte: le mot russe конвой correspond au mot anglais 'convoy' (dérivé du français 'convoi'), mais il s'agit ici des hommes en armes escortant le prisonnier malade tout en restant à distance pour éviter la contagion.

et eux/braquent: le texte dit "braquant".

révolvers Nagant: modèle de revolver portant le nom de ses concepteurs belges et qui était très répandu en Russie dès la fin du dix-neuvième siècle. Il y fut produit jusqu'en 1940. Visuellement, il ressemblait aux colts à barillet. Le texte dit simplement "des nagants" mais ce type d'arme n'étant pas connu en français, j'ai étoffé par "révolvers".

vacillent: le texte dit "dansent". J'ai choisi cette traduction pour faire écho à la démarche titubante du malade.

camphre: principal antiseptique disponible à l'époque, il était également un insecticide.

l'infirmerie: le russe лазарет est la transcription du mot français 'lazaret' (dérivé de l'italien 'lazzaretto', lieu de mise en quarantaine créé à Venise au quinzième siècle).
Plutôt qu'un lazaret au sens historique, il désigne en russe un hôpital de campagne ou une simple infirmerie par opposition à un véritable centre hospitalier.

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