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retraité de l'ingénierie informatique et aéronautique et de l'enseignement dit supérieur (anglais de spécialité), écrivain et esprit curieux

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Billet de blog 27 janvier 2015

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Argentine: les trois mystères du suicide de Nisman

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Le feuilleton continue et prend de l'ampleur. Hier soir la présidente CFK s'est exprimée en mode "cadena nacional" (réquisition de toutes les chaines de télévision, y compris et surtout les chaînes privées oppositionnelles). Comme à son habitude, elle a touillé un peu tous les problèmes sur un mode très polémique et n'a pu se retenir d'ouvrir un nouveau front contre le groupe Clarin (en mettant en cause le frère de Largomarsino) au lieu de balayer devant sa porte.

La principale décision annoncée est la dissolution de la Secretaria de Intelligencia (nouveau nom du SIDE Servicio de Intelligencia Del Estado, mais je préfère l'ancien nom parce qu'il ressemble à SIDA et que le SIDE était un SIDA de la démocratie argentine) et son remplacement par une agence fédérale (qui aurait un directeur nommé pour 4 ans.) L'opposition a immédiatement critiqué cette mesure par automatisme, alors que les dysfonctionnements patents des services spéciaux depuis des décennies exigent depuis longtemps une remise à plat.

L'opposant péroniste historique anti-libéral Pino Solanas a réclamé un contrôle parlementaire sur la nouvelle agence, ce qui me semble effectivement une bonne idée.

Sur le fond de l'enquête, trois mystères demeurent:

1°) les deux policiers fédéraux chargés de veiller dimanche sur le procureur se sont copieusement contredits dans leurs dépositions quant au lieu de stationnement de leur véhicule, et à l'heure de leur arrivée pour sonner chez le procureur suicidé qu'ils ne parvenaient pas à joindre (14h pour l'un et 17h pour l'autre). De plus ils n'ont averti leur hiérarchie qu'à 22h et CFK a par ailleurs prétendu n'avoir été mise au courant que le lendemain matin vers 9h30 (ce qui montre que, contrairement aux histoires de coeur et de fesse des starlettes de la télévision, les informations importantes ont vraiment du mal à circuler en Argentine).

Vu le manque légendaire de professionalisme de la police argentine, le plus probable est que ces deux guignols n'ont pas du tout fait leur travail (et en plus il faut noter qu'il y avait des matchs de foot vachement intéressants dimanche dernier; pour ceux qui ne sont pas encore au courant Boca a battu River; et Boca-River c'est du chaud-bouillant; pour vous fixer les idées c'est un peu comme PSG-Marseille en plus explosivement latin) et donc je pense que les deux flics ont juste menti maladroitement pour masquer leur incompétence (toute proportion gardée, c'est un peu comme le FBI après la mort de JFK qui était bien en peine d'expliquer pourquoi ils ne surveillaient pas L.H. Oswald ce qui du coup a alimenté les théories du complot au lieu d'avouer simplement qu'ils avaient été en-dessous de tout).

Je considère donc ce premier mystère comme n'en étant pas vraiment un, sous réserve d'admettre l'axiome de base de l'incurie policière généralisée. Les deux guignols ont été mis à pied ce jour et l'analyse des allées et venues dans l'immeuble continue. Petit problème: les registres d'entrée et sortie ne coïncident pas avec ce que montrent les enregistrements de vidéosurveillance. Comme la sécurité privée de l'immeuble est gérée par une société qui a été fondée par un ancien colonel de l'armée de terre, les complotistes ont encore trouvé du grain à moudre (personnellement, au lieu de voir le mal partout, j'aurais tendance à admettre, sous bénéfice d'inventaire et en guise de corollaire à l'axiome précédent, l'idée que la sécurité privée s'est révélée tout aussi paresseuse et déficiente que la sécurité publique).

2°) Le profil de l'informaticien Largomarsino (fournisseur de l'arme utilisée par le suicidé) s'enrichit de jour en jour: il était apparemment connu pour des tweets violemment anti-kirchneristes mais aussi pour divers petits délits (par exemple, se faire passer pour journaliste afin de pouvoir prendre des photos des victimes de Cro-Magnon, ce qui est effectivement assez ignoble) et pour au moins une tentative de vente d'information sur le narco-trafic au directeur de la douane aéroportuaire. Hélas, que ce genre de loustic existe en Argentine comme partout n'a rien de bien mystérieux. On peut en revanche s'interroger sur la légèreté avec laquelle le procureur spécial Nisman recrutait ce genre de collaborateur pour des tâches aussi sensibles que le recoupement des écoutes téléphoniques: d'après une source restée anonyme, Largomarsino avait été recommandé à Nisman par un autre juge dont il avait dépanné l'ordinateur personnel... (L'Argentine reste bel et bien une terre d'opportunité pour les débrouillards pas trop scrupuleux).

Tout ceci promet d'être une mine d'or pour les complotistes qui font déjà de Largomarsino une sorte de James Bond 2.0 alors que ce n'est qu'un bidouilleur-magouilleur typiquement argentin. Fournir une arme à quelqu'un est certes un délit (et le procureur Nisman ne pouvait d'ailleurs ignorer que sa demande était une incitation à commettre un délit), mais le légendaire "amiguismo" argentin s'assied volontiers sur toutes les lois et règlements... Bref pas de quoi fouetter un chat.

3°) il y a pourtant un vrai mystère, LA question qui n'a pas encore été posée est celle-ci: pourquoi Nisman, qui possédait deux armes légalement enregistrées à son nom a-t-il demandé à Largomarsino de lui fournir une arme ?

Je vois trois réponses possibles:

- Nisman avait rangé ou caché ses armes personnelles en un endroit auquel il ne pouvait pas avoir accès ces jours-là;

- Largomarsino ou quelqu'un d'autre a tué Nisman (mais aucun élément matériel ne permet d'incriminer Largomarsino pour meurtre ni de conclure à autre chose qu'un suicide; à moins qu'une solution de continuité ne soit détectée dans les bandes de vidéo-surveillance, il est clair qu'après avoir rendu visite à Nisman le samedi, il n'est pas revenu sur les lieux le dimanche, jour de la mort du procureur et que personne d'autre ne s'est présenté chez Nisman entre temps);

- Nisman a voulu se suicider avec une autre arme que la sienne propre précisément afin de fournir une piste aux enquêteurs pour qu'ils puissent remonter, par-delà Largomarsino, vers d'autres personnes de son entourage professionnel.

Cette troisième hypothèse, sous réserve d'élimination de la première, me semble fort intéressante à creuser.

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