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retraité de l'ingénierie informatique et aéronautique et de l'enseignement dit supérieur (anglais de spécialité), écrivain et esprit curieux

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Billet de blog 28 octobre 2014

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Les élections ukrainiennes et après

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La presse occidentale nous a rabâché à satiété depuis deux jours trois conclusions pour le moins prématurées qui méritent d'être modulées voire réfutées:

1°) les élections sont un succès personnel pour le Président Porochenko,

2°) la démocratie ukrainienne sort renforcée du scrutin,

3°) les ultra-nationalistes sont finalement très minoritaires.

Discussion de la conclusion officielle N°1: En réalité, les élections sont un véritable échec personnel de Porochenko: loin des 30% que lui promettaient les sondages après son succès à la présidentielle, son bloc électoral n'arrive que second derrière son premier ministre Yatseniouk (associé à l'ultra-nationaliste Paroubyi) ce qui ne va pas faciliter sa tâche.

La démarche de Porochenko visant depuis quelques semaines à abaisser les tensions à l'Est s'est heurtée à plusieurs reprises à la ligne plus dure de Yatseniouk (qui a maintenant lié son avenir politique aux ultras de la mouvance Paroubyi) et le maintien d'une démarche d'apaisement vis-à-vis des irrédentistes de Donietsk et Lougansk (je préfère ce terme à "indépendantistes" qui surestime leurs capacités à créer des institutions politiques réellement indépendantes; je les appelais auparavant "rattachistes" mais ils ont compris que la Russie ne souhaitait pas les intégrer et se sont maintenant proclamés indépendantistes) n'est donc pas garanti.

Discussion de la conclusion officielle N°2: les données disponibles ne confirment pas vraiment le renforcement de la démocratie: la participation aux élections est en net retrait par rapport aux élections précédentes. La fragmentation partisane sur des bases plus clientélaires qu'idéologiques et le poids encore accru des oligarques régionaux (qui contrairement aux régimes précédents de Timochenko ou Yanoukovitch ne sont plus soumis à aucun contre-pouvoir central dans les villes et régions qu'ils gèrent) me semblent au contraire aller dans le sens d'une féodalisation accrue du système politique ukrainien (la principale différence avec l'époque antérieure est que "nos" oligarques occidentaux comme G. Soros ou les dirigeants de Cargill ou Exxon contribuent désormais très directement au modelage du paysage politique ukrainien.)

De plus, le différentiel d'abstention entre l'Ouest et l'Est, d'une part, et le score obtenu par les héritiers du Parti des Régions, d'autre part, me semblent montrer qu'il existe une demande de représentation autonome de l'Est qui n'est pas satisfaite par l'offre politique existante. La Russie semble faire actuellement pression sur les irrédentistes afin qu'ils permettent l'organisation prochaine d'élections dans les secteurs qu'ils contrôlent. Ceci confirme mon analyse antérieure que Moscou aurait préféré maintenir une certaine hégémonie sur une large mouvance autonomiste représentée au Parlement de Kiev plutôt que de devoir s'accommoder des foucades des irrédentistes: contrairement à beaucoup d'analystes qui présentent Poutine comme un joueur d'échec diaboliquement habile qui a toujours plusieurs coups d'avance sur ses adversaires, mon impression au fil des mois est plutôt celle d'une direction russe relativement désemparée par l'incertitude et la fluidité de la situation politique ukrainienne et qui se contente de réagir au coup par coup en jouant les cartes dont elle dispose sans forcément bien mesurer toutes les conséquences de ses actions par rapport à ses propres intérêts stratégiques. Ainsi j'expliquais il y a déjà quelque temps que l'inconvénient majeur pour Poutine du rattachement de la Crimée à la Russie serait de réduire l'expression de la sensibilité pro-russe au Parlement de Kiev, ce que tout un chacun peut aujourd'hui constater. Encore une fois, il ne s'agit pas d'idéaliser Poutine, mais il est important de ne pas se laisser intoxiquer par les propagandes et contre-propagandes des uns et des autres.

En ce qui concerne la Crimée, il me semble clair (et là aussi l'abstention différentielle au référendum que je soulignais il y a quelques mois démentait la propagande poutinienne) que les minorités d'origine ukrainienne ou tatare n'étaient certainement pas favorables au rattachement à la Russie, mais avec l'accélération de la russification des structures administratives, elles se retrouvent aujourd'hui dans la même situation d'impuissance et avec le même sentiment de dépossession de leur destinée que la minorité serbe du Kosovo.

3°) Discussion de la conclusion officielle N°3: les ultra-nationalistes partisans de la seule option militaire à l'encontre des irrédentistes ont désormais noyauté les appareils répressifs d'Etat (et en particulier le Ministère de l'Intérieur et ses unités para-militaires) et ils n'ont pas vraiment besoin d'être massivement représentés au Parlement en tant que tels: ils ont souvent préféré (avec l'appui financier de tel ou tel oligarque local soucieux de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier) se faire élire sous des bannières moins voyantes. Comme de vulgaires OCIstes venant jouer les sous-marins au PS dans les années 70, ils se sont donc distribués au gré des opportunités sur un peu toutes les listes (cf. le tandem Yatseniouk-Paroubyi, ou la présence du chef du bataillon Donbass sur une liste pilotée par le maire de Lvov).

Contrairement à ce que nous assène la propagande russe, je n'identifierais pas sommairement tous ces ultra-nationalistes à des fascistes voire des nazis, mais le maximalisme nationaliste de la campagne électorale et la symétrique intolérance des irrédentistes à l'Est restent lourds de menaces pour l'avenir. Toute personne un tant soit peu raisonnable voulant entrer vis-à-vis de l'Est dans une démarche de pacification qui ne soit justement pas ce que l'on appelait "pacification" chez nous à l'époque de la guerre d'Algérie risque de se faire taxer de trahison par les ultras (on en a déjà eu un avant-goût chaque fois que Porochenko se mettait un peu à négocier avec Poutine à Minsk ou ailleurs): c'est ainsi que les ultras de l'Algérie Française (gaullistes en tête, ce que l'on oublie trop souvent, cf. un de mes précédents billets) ont pu prendre en otage tous les gouvernements de la 4ème république tout en étant copieusement minoritaires aux élections.

Et pourtant, l'hiver n'est plus très loin, et il faudrait s'atteler à négocier sérieusement si l'on ne veut pas manquer de gaz à Kiev cet hiver.

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