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Billet de blog 30 août 2017

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L'art soviétique en Estonie

Lors d’un récent séjour à Tallinn, j’ai visité le très moderne musée d’art, le KUMU. Un étage entier de l’exposition permanente du KUMU est consacré à la période soviétique de l’art estonien et permet de suivre l’évolution de l’art officiel, d’une part, et l’émergence de l’art dissident, d’autre part, et de découvrir les espaces de liberté créatrice où se réfugiaient la plupart des peintres.

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Lors d’un récent séjour à Tallinn, j’ai visité le très moderne musée d’art, le KUMU, qui fut construit en 2006 dans le magnifique Parc du Kadriorg, à quelques centaines de mètres du palais bâti pour Pierre le Grand avant celui du Peterhof (près de Saint-Pétersbourg).
Un étage entier de l’exposition permanente du KUMU est consacré à la période soviétique de l’art estonien et permet de suivre l’évolution de l’art officiel, d’une part, et l’émergence de l’art dissident, d’autre part, et surtout de découvrir les espaces de liberté créatrice où se réfugiaient la plupart des peintres, dessinateurs et graveurs des années 1950 à 1970, tantôt dans une figuration folklorisante ou intimiste, tantôt dans une stylisation virant à l’abstraction.
Pour un parcours plus complet (mais n’incluant pas les œuvres présentées dans ce billet que j’ai photographiées à la va-vite avec un téléphone portable) on se reportera à la section correspondante du site officiel : https://digikogu.ekm.ee/eng/new_category_tree/art_in_estonia_during_soviet_socialist_realism/painting

Les œuvres que je mentionne ci-après sans les reproduire sont toutes visibles sur ce site (je précise entre parenthèses certains titres en anglais que vous pourrez utiliser comme mots-clés pour retrouver ces œuvres dans la galerie numérique du KUMU.)
L’exposition commence par un échantillon d’affiches de propagande incluant ce bijou anti-américain de Lev Samoïlov datant de 1949, dont le slogan de tête peut se traduire par « Hors d’atteinte » (le site du musée ne présente que la version en estonien, dont je suis incapable de vous certifier qu’elle correspond exactement à la version en russe exposée dans le musée et reproduite ici).

La pancarte portée dans son dos par le personnage à la main avidement tendue et monté sur des échasses proclame « L’Amérique au-dessus de tout » (en écho au « Deutschland über alles » qu’on trouve en bas du monceau de ruines et de cadavres symbolisant la chute du nazisme) et le début du texte d’accompagnement est fort explicite :
« Les fascistes sont encore ‘au-dessus’
Ils se dissimulent avec leurs crocs dans l’obscurité »

Illustration 1

Suivent des peintures relevant du plus pur académisme « réaliste-socialiste »  comme la grande toile de Elmar Kits et Evald Okas intitulée : « Lénine et Staline recevant une délégation de gardes rouges estoniens ». Dans la même veine, mais en plus agricole, on pourra également contempler « Du Grain pour l’Etat » de Victor Karms ou encore ces « Tractoristes relevant le défi des objectifs du plan » :

Illustration 2

Il faut néanmoins préciser que Kits et Okas ne se sont pas contentés d’être les Erckmann et Chatrian du chromo lénino-stalinien. Ayant obtenu le statut d’artistes officiels (Okas devint membre de l’Académie des Arts de l’URSS et obtint dès les années 60 le rare privilège de pouvoir voyager à l’étranger et d’y exposer ses œuvres) ils se tournèrent assez vite vers des travaux plus personnels : paysages, portraits individuels, dessins de nus, et le style d’Okas, en particulier, évolua vers un traitement plus stylisé des couleurs et des formes (comme en témoigne sa « Ville nouvelle (New Town) » de 1965 qui déporte le réalisme socialiste en direction des bibliothèques de Vieira Da Silva.
D’autres artistes osent pourtant proposer une peinture qui n’annonce pas un avenir radieux  mais une angoisse quasi-métaphysique, comme cette « Peur » dont je n'ai malheureusement pas noté l'auteur :

Illustration 3

Les nouvelles audaces d’Okas s’inscrivent dans la généralisation d’un réalisme-socialiste « décongelé » offrant des échappées vers un traitement pictural moins « léché », mais toujours dans le cadre du respect thématique des « figures imposées » (représentation des collectifs de travail, célébration de la modernité technique, défilés de rue et autres rituels communistes...), comme « Usine chimique  (Chemical Plant)» de Evi Tihemets (1965), « Un Chant de protestation (Protest Song)» de Valentin Loïk (1963) ou ces « Pêcheurs » de Nikolaï Kormachov (1963) :

Illustration 4

Kormachov est également l’auteur de « Béton armé » (Reinforced Concrete), une toile qui rappelle plutôt l’ambiance des places d’Italie de G. De Chirico.
Dès les années 70, l’URSS commença à se déglinguer (on entrait alors dans la période dite « de la stagnation ») et cela se traduisit dans l’art estonien par une influence grandissante d’une peinture occidentale aux antipodes du réalisme socialiste (abstraction, pop-art, art cinétique…) dont témoigne ce faussement révérencieux portrait de Lénine surmontant un soleil rouge :

Illustration 5

Ledit soleil rouge se trouve carrément condamné à l’extinction dans le « Soleil mourant (Dying Sun) » d’Ivar Malin (1972).

Je terminerai ce rapide survol par le plus célèbre des graphistes dissidents estoniens des années 70 et 80 : Leonhard Lapin. L’encore traditionnel « Fontaine - mains qui saignent (Fountain – Bleeding Hand) » de 1972 laissa place progressivement à des oeuvres de plus en plus sarcastiques comme « Suprématisme et socialisme » (1989) ou « Stalinisme et abstractionnisme » (1990) sans oublier la série de sérigraphies vengeresses de 1989 intitulées « Molotov-Ribbentropp » (très célèbres mais non répertoriées au KUMU) qui expriment le destin tragique de la petite Estonie coincée en 1940 entre l’Allemagne nazie et l’URSS stalinienne:

Illustration 6

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