Dans un autre billet, j’avais écrit que la religion est un sujet à éviter, sauf si l’on est un théologien. Certaines réactions à la fort intéressante analyse d’Yvon Quiniou sur la violence du texte coranique ( http://blogs.mediapart.fr/blog/yvon-quiniou/250215/examen-critique-du-coran#comment-6056279 ) confirment mon opinion : la violence des épithètes démontre à l’évidence que c’est un sujet qui déchaîne les insultes plutôt qu’il n’incite à l’argumentation méthodique et à l’échange serein. Après avoir lu les nombreux commentaires au billet d’Yvon Quiniou, vais-je maintenant oser m’exprimer, alors que je ne suis ni théologien, ni philosophe ? Oui, au risque de passer pour « naïf », « inculte », etc.
Les tueries de Paris, au cours desquelles le nom d’Allah a été prononcé, m’ont poussé à lire le Coran (trad. Jean Grosjean, « Folio », Gallimard, 2008). J’ai été frappé par l’insistance à séparer l’humanité entre d’une part les croyants (de l’Islam) et d’autre part « les incroyants », « les infidèles », « les ignorants », ou « les pervers » (selon les termes de cette traduction). Si l’on ne veut pas risquer « l’affreux tourment sans recours », le « tourment du feu », « la fournaise » ou la « géhenne », l’unique solution est de se soumettre à Dieu, de croire et de ne pas se tromper de religion : une seule est la bonne. Il est sans doute encore moins recommandé de choisir d’être un libre penseur.
Quitte à être accusé de prendre un extrait hors de son contexte historique ou de ne pas savoir l’interpréter, je citerai un verset qui me pose un problème, lorsqu’on l’envisage dans le contexte de la société française actuelle[1] : « Vous qui croyez, ne prenez pas de juifs et de chrétiens pour amis. Ils sont amis entre eux. Qui les prend pour amis sera des leurs, mais Dieu ne conduit pas le peuple coupable. » (Sourate V, verset 51, p. 74).
Ce qui m’intéresse, c’est l’effet de ce verset sur un simple croyant — pas un spécialiste — qui lit ce passage du Coran[2]. Sera-t-il incité par cet extrait du texte sacré à agir selon « le principe de commune humanité »[3] ? Sera-t-il prêt à militer pour le vivre-ensemble hors de l’oumma ? Œuvrera-t-il pour créer un monde commun ? L’insistante division entre croyants et incroyants contribue à mettre en avant les différences qui séparent les hommes, ce qui est sans doute plus facile que de rassembler l’humanité. « La ressemblance ne fait pas tant un comme la différence fait autre. » (Montaigne, « De l’expérience »). À force de revendiquer que l’on est autre, on oublie la « commune humanité ».
[1] Ce bref billet ne prend pas en compte des aspects importants de ce contexte, à savoir la discrimination à l’égard des musulmans ou citoyens de culture musulmane et le peu de place accordé à l’Islam dans la France aux « racines chrétiennes ».
[2] Il est possible que quelque part ce verset ait été « abrogé » et qu’il soit dit ailleurs qu’il est recommandé aux croyants de l’Islam de ne pas exclure du cercle de leurs amis des croyants d’autres religions ou des incroyants. Il serait bon qu’une note de bas de page le signale, comme dans la Constitution des États-Unis où il est indiqué par une note quels passages sont remplacés par des amendements récents. Le croyant lambda ne risquerait pas de se tromper.
[3] Manifeste convivialiste. Déclaration d’interdépendance (Le Bord de l’eau, 2013) p. 26.