Michel Granger (avatar)

Michel Granger

Retraité (professeur de littérature américaine)

Abonné·e de Mediapart

40 Billets

0 Édition

Billet de blog 28 avril 2015

Michel Granger (avatar)

Michel Granger

Retraité (professeur de littérature américaine)

Abonné·e de Mediapart

Propriété ou justice à Baltimore ?

Michel Granger (avatar)

Michel Granger

Retraité (professeur de littérature américaine)

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Encore une fois, un jeune Noir est mort la semaine dernière aux mains de la police américaine. Selon le Rev. Jesse Jackson, il y en aurait eu 111 au cours des trois dernières années. Parfois, une caméra révèle sans conteste possible l’incroyable violence policière, mais de toute façon la justice n’est jamais très diligente pour prendre le parti des victimes contre la police. À Baltimore, l’enterrement de Freddie Gray a dégénéré en de graves émeutes, suivies de destructions et de pillages de magasins dans la partie ouest de la ville. Le gouverneur du Maryland a décrété l’état d’urgence, avec couvre-feu, et la Garde nationale a envoyé des effectifs pour aider la police locale, comme aux pires heures des années 1960.

Ce qui me frappe dans ces événements, ce sont quelques réactions diffusées hier et aujourd’hui. Pour le Président Obama, « il n’y a pas d’excuse pour le type de violence auquel on a assisté aujourd’hui » ; « cette violence et cette destruction sont dénuées de sens ». Le maire de Baltimore, Stephanie Rawlings-Blake, reprend le même terme, « senseless ». Quant au Gouverneur Larry Hogan, il s’est engagé à ne pas tolérer que des bandes de casseurs « détruisent des propriétés » et a promis de restaurer l’ordre, parce que « les familles de Baltimore méritent la paix et la sécurité ». Bien sûr.

Ce n’est donc pas la mort d’un jeune Noir, prisonnier des gardiens de l’ordre public, qui préoccupe tous ces dirigeants, mais la destruction de la propriété : sa vie n’importe pas. Ces hauts responsables élus ne comprennent pas les comportements violents, l’expression de la frustration et de la rage face à l’injustice. Aucun n’envisage l’histoire de cette ville où l’on importait les esclaves, son passé de ségrégation, sa longue histoire de brutalité policière. Ils n’ont pas un mot sur l’envolée des inégalités économiques dans cette ville extrêmement pauvre et délabrée — le chômage qui atteint 30% dans le quartier qu’habitait Freddie Gray, les milliers de maisons abandonnées quand les propriétaires n’ont pu rembourser les banques qui réclamaient leur dû, les équipements collectifs qui ne sont plus entretenus…

C’est un dirigeant des Baltimore Orioles, l’équipe locale de baseball, qui a fourni un début d’explication, le contexte dans lequel sont nées les émeutes. John Angelos a fait remarquer que le report d’un match n’était rien par rapport à la souffrance due à la misère économique d’une grande partie de la population : les quatre décennies pendant lesquelles les emplois ont été transférés en Chine et d’autres pays où le coût du travail est plus bas, ce qui a ruiné l’économie de la ville. Il a ajouté la progressive diminution de la protection par les droits civils d’une population appauvrie, ainsi que la surveillance agressive (« tolérance zéro ») par un État de plus en plus militarisé.

Si l’on veut bien ne pas prendre en compte uniquement la destruction de propriété, mais la souffrance (voire la mort) due aux inégalités économiques, sociales et raciales, les émeutes de Baltimore ont bien du sens. Encore faut-il accepter de remettre en cause l’ordre économique néolibéral qui crée les inégalités choquantes, et la hiérarchie raciale qui continue de sévir un demi-siècle après la reconnaissance de l’égalité des droits civils aux Noirs.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.