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Billet de blog 1 septembre 2025

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Quelle indemnisation pour la victime de viol maltraitée à l'audience ?

Nous avons déjà abordé la problématique de la victimisation secondaire des victimes d’agressions sexuelles, forme de maltraitance supplémentaire de cette victime pendant la procédure judiciaire. Si des sanctions n’existent pas, les agresseurs sexuels maltraitent leurs victimes et/ou les font maltraiter par leurs avocats au cours des procédures judiciaires sont assurés d’une totale impunité. Et ils sont encouragés à persévérer.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Cet article a été initialement publié sur le blog Paroles de juges :   www.huyette.net

Nous avons déjà abordé ici la problématique de la victimisation secondaire des victimes d’agressions sexuelles et surtout de viols (article ici). Il s’agit des dommages, qui s’ajoutent à ceux issus de l’agression en elle-même, causés à la victime pendant la procédure judiciaire, de la plainte à l’audience de jugement. Il s’agit, de fait, d’une forme de maltraitance supplémentaire de cette victime.

Nous avons également analysé le cadre juridique qui borne les interventions des professionnels, à l’audience pénale, et notamment des avocats. (article ici). Ces règles étant un moyen plus ou moins efficace de limiter la victimisation secondaire.

Il y a quelques mois, le tribunal ayant jugé une affaire d’agressions sexuelles reprochées à l’acteur G. Depardieu l’a déclaré coupable puis a rendu sa décision sur l’indemnisation des parties civiles. Et il a écrit, après avoir décrit les parties de la procédure judiciaire qui ont donné lieu à des discussions dans le respect des droits des victimes :

« Toutefois, ces temps d’audience ont été parallèlement marqués de tensions prégnantes et d’incidents multiples et ont été particulièrement longs et éprouvants pour l’ensemble des parties. S’agissant des parties civiles, le tribunal considère qu’elles ont été exposées à une dureté excessive des débats à leur encontre, allant au-delà des contraintes et des désagréments strictement nécessaires à la manifestation de la vérité, au respect du principe du contradictoire et à l’exercice légitime des droits de la défense. Si les droits de la défense et la liberté de parole de l’avocat à l’audience sont des principes fondamentaux du procès pénal, il n’en demeure pas moins qu’ils ne sauraient légitimer des propos outranciers ou humiliants portant atteinte à la dignité des personnes ou visant à les intimider. En l’espèce il résulte des débats que les parties civiles ont été confrontées à une défense des plus offensives fondées sur l’utilisation répétée de propos visant à heurter et qui n’étaient manifestement pas nécessaires à l’exercice de droits de la défense. Ainsi le conseil de Gérard Depardieu a pu s’adresser au conseil de la partie civile en ces termes : « c’est honteux arrêtez de le cuisiner comme ça vous êtes abjecte et stupide » ou encore « c’est insupportable de vous entendre déjà votre voix c’est dur alors… », ou de même « ah le dossier X… vous voulez en parler X… la menteuse qui accuse 7 personnes de viol vous avez la bêtise de parler de X..». Il a également pu déclarer à Y… partie civile : « je n’ai jamais vu une vraie victime s’opposer à des actes aussi élémentaires. On ne vous croit pas », ou à Z… « je ne vous crois pas du tout pour moi vous êtes bel et bien quelqu’un qui ment » (..) ». Le tribunal considère que les propos susvisés de la défense, par leur nature et leur répétition, ont généré chez les parties civiles un préjudice distinct de celui né de la commission de l’infraction. Ce dénigrement objectivable, constitutif d’une victimisation secondaire ouvrant droit à réparation, renforce leur préjudice initial et doit en conséquence faire l’objet d’une indemnisation spécifique. ».

En réparation de ce dommage supplémentaire, le tribunal a alloué 1000 euros aux parties civiles.

Cette motivation a fait l’objet de plusieurs commentaires contradictoires (lire not. ici ici ici ici ici ici)

L’impression qui se dégage à la lecture de ces commentaires est que la problématique est parfois mal posée. Et quand une question n’est pas bien formulée la réponse ne peut pas être adaptée. Ce qui incite à reprendre le raisonnement depuis le début, étape par étape, pour le construire autrement, en conformité avec les situations de fait et le cadre juridique. Cela nous conduira à revenir brièvement sur quelques points déjà abordés, et à en analyser de nouveaux, essentiels au raisonnement.

En commençant par ce qui doit être la ligne directrice de tout le raisonnement, mais n’est jamais relevé.

L’auteur d’une agression sexuelle sait ce qu’il a fait quand il entre dans la salle d’audience.

Dans tout ce qui va suivre, nous ne parlerons que des procédures judiciaires impliquant des hommes qui ont réellement agressé sexuellement une femme [1], et plus particulièrement des auteurs de viol parce que ce sont dans les affaires de viol que la victimisation secondaire est la plus présente et la plus dommageable [2]Ces hommes qui sont jugés savent mieux que quiconque ce qu’ils ont fait.

Parfois, à l’audience, ces agresseurs soit prétendent qu’il n’y a jamais eu aucune relation sexuelle avec la partie civile [3], soit que cette relation sexuelle s’est parfaitement bien déroulée et avec le plein accord de celle-ci. Deux versions que ces hommes savent être contraires à la réalité.

Pour la totalité des affaires criminelles jugées, dont les viols constituent un peu plus de la moitié, le taux d’acquittement au niveau national est d’environ 5 % [4]. Concrètement, dans les procès pour viol, une écrasante majorité des accusés qui comparaissent sont déclarés coupables à l’issue de l’audience. De fait, les affaires dans lesquelles il existe une réelle et profonde hésitation sur la culpabilité de l’accusé sont peu nombreuses [5].

Cela ne veut évidemment pas dire que la justice cherche aveuglément à condamner un maximum de personnes. Cela ne veut pas dire non plus que l’institution judiciaire croit sur parole les femmes qui viennent dénoncer des agressions sexuelles [6]. Le pourcentage très élevé d’accusés déclarés coupables de viol à l’issue des procès résulte du filtrage très important qui s’est produit en amont : de nombreuses victimes de viol ne portent pas plainte ; dès les premières investigations quand il apparait manifeste que les preuves ne seront pas assez suffisantes le procureur procède à un classement sans suite ; quant à l’issue d’une parfois longue période d’information judiciaire le juge d’instruction estime que les doutes sont encore trop importants il prononce un non-lieu. Ce qui fait que le tout petit pourcentage de viols commis qui arrivent devant la justice correspond à des affaires dans lesquelles, très majoritairement, les éléments récoltés accablent l’accusé. 

C’est pourquoi, encore une fois, tout ce qui va suivre doit être lu et compris comme l’analyse du comportement d’un agresseur qui, à l’audience, remet en cause la femme à qui il sait avoir imposé contre son gré un contact sexuel.

Le viol est une infraction très difficile à reconnaître

En général, l’être humain ne se précipite pas pour reconnaître ses fautes et pour être sanctionné. Mais cette démarche de négation de la responsabilité est encore plus présente dans les affaires d’agression sexuelle et surtout de viol. Cela parce que la réprobation sociale n’est pas la même.

Un homme qui a commis des violences sur un tiers peut être vu par certains de ses proches comme un homme viril qui ne se laisse pas faire et qui a du caractère. Chez certains il va même susciter de l’admiration.

À l’inverse, la plupart du temps le viol entraîne une répulsion sociale vis-à-vis du violeur. Et cela y compris chez ses proches. C’est ce qui explique pourquoi les violeurs ont autant de difficultés à reconnaître leur responsabilité. Ils craignent la confrontation avec l’image d’eux-mêmes que leur acte leur renvoie, mais ils ont encore plus peur du regard des autres. C’est ce qui a fait dire à un homme aujourd’hui définitivement condamné pour viol, spontanément pendant une audience : « Si je reconnais je n’ai plus de famille et je n’ai plus d’amis ». Et dans une autre affaire, l’avocat d’un accusé qui ne reconnaissait pas l’agression sexuelle malgré les multiples preuves contre lui a débuté sa plaidoirie en expliquant longuement, pour les raisons précitées et en y ajoutant des considérations religieuses, à quel point il est difficile de reconnaître que l’on a violé [7].

Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est que le refus de reconnaître l’agression sexuelle, inéluctablement, déclenche de la maltraitance de la victime pendant la procédure judiciaire, y compris à l’audience.

L’agresseur sexuel qui conteste sa culpabilité est obligé de maltraiter sa victime à l’audience

L’agresseur sexuel qui conteste les faits est obligé à un moment ou un autre de l’audience de soutenir que sa victime ment [8]. En effet, il ne peut pas y avoir deux vérités incompatibles en même temps.

En conséquence de quoi, parce que cette affirmation de mensonges est discutée à l’audience et doit être étayée, on entend ces auteurs faire allusion, en parlant de leur victime, à de la vengeance, à un complot, à une soif d’argent, à des perturbations psychologiques etc… Alors qu’ils savent que ce n’est rien de tout cela.

Pour une victime d’agression sexuelle, le fait de se voir décrite ainsi par son agresseur est une très grande violence. De leur poste d’observation, les magistrats (à la cour criminelle départementale en première instance) et les jurés (à la cour d’assises en appel) voient procès après procès des femmes qui pleurent, qui ont les jambes qui tremblent, qui se tordent les mains, qui se serrent contre leurs proches, qui partent brusquement de la salle etc. La souffrance générée chez les victimes par l’attitude de l’accusé est particulièrement visible [9].

C’est dans ces circonstances que la parole dérape parfois et que l’agressivité envers la victime apparait L’auteur qui veut à tout prix échapper à la sanction alors qu’il se sait coupable est souvent fébrile, il se contrôle mal, il ne réfléchit plus suffisamment à ce qu’il dit. Alors il agresse celle qui le met en cause. Et le relais est parfois pris par son avocat.

La fréquente culpabilisation des victimes

Il n’y a pas que l’accusation de mensonge qui atteint la victime.

Lorsqu’il sent qu’il va être difficile d’échapper à la sanction, l’auteur de l’agression sexuelle et son avocat vont souvent chercher à discréditer la victime aux yeux des juges. Dans le but de réduire sa crédibilité et donc l’impact de ses dénonciations. Ils tentent alors de faire porter tout ou partie de la responsabilité de ce qui s’est passé sur celle-ci.

Cela n’a rien de nouveau et ce n’est pas seulement un mécanisme de défense. C’est le résultat de la très ancienne culture du viol [10], qui se résume encore aujourd’hui dans l’expression « elle l’a bien cherché » [11].

Comme cela est expliqué dans le livre précité (note 10) : « Il y a donc un transfert de responsabilité du coupable vers la victime en matière de violences sexuelles. Ce n’est pas au violeur de ne pas violer, mais à la victime de tout faire pour ne pas l’être : s’habiller autrement, ne pas sortir le soir, ne pas mal parler à un homme, ne pas trop sourire, voire arrêter de respirer au cas où cela provoque l’excitation de certains, etc…[12].

Les récits des femmes elles-mêmes à l’audience montrent, malheureusement, que beaucoup d’entre elles ont intégré cette culpabilisation et se sentent responsables de quelque chose, alors que la seule problématique est celle de l’absence de contrôle de ses pulsions le manque de respect de la femme par l’homme [13].

Au demeurant, cette culpabilisation, intégrée par trop de femmes, est l’un des obstacles à la dénonciation des agressions sexuelles.

Quoi qu’il en soit, ces accusations et ces reproches culpabilisateurs sont vécus comme violents par les victimes qui subissent à l’audience une maltraitance supplémentaire injustifiée.

Le droit de se défendre, mais de quoi parle-t-on ?

Alors que la notion de victimisation secondaire fait utilement son apparition dans le débat français, et que leur comportement à l’audience envers celles qu’ils savent être leurs victimes est dorénavant clairement reproché aux agresseurs sexuels, secondairement à leurs avocats (cf. plus loin), l’argument immédiatement opposé pour empêcher toute critique est celui du droit de se défendre. Droit qui est présenté comme la possibilité de dire tout au long de la procédure, et donc à l’audience, tout ce que l’on veut, et en toute impunité. Y compris le droit de s’en prendre agressivement à la partie civile, et de l’accabler injustement.

Si nous avons déjà souligné les limites juridiques et déontologiques d’une telle affirmation (lire ici), cela ne suffit pas et il faut aller plus loin dans l’analyse.

Se défendre, cela est compris habituellement comme la démarche consistant à s’opposer à quelque chose d’injuste. Dans le dictionnaire Larousse il est écrit que se défendre signifie : « Résister à une agression, repousser une attaque, une critique ; se battre » (cf. ici). Dans le dictionnaire Robert, il est écrit que cela signifie : « Résister à une attaque ; Se justifier ; se défendre contre une accusation » (cf. ici).

On se défend donc contre une mise en cause injustifiée, contre un argument fallacieux, contre un mensonge, contre une tricherie, contre une manipulation.

Mais mentir face à quelqu’un qui dit la vérité, est-ce encore se défendre ? Et si oui, c’est se défendre contre quoi ?

Alors, le violeur qui accuse sa victime de mentir et la maltraite en sachant qu’elle dit la vérité se défend-il au véritable sens du terme ?

Le bien-fondé de la mise en avant d’un droit de la défense, pour s’opposer au constat d’une violence verbale injustifiée vis-à-vis de la victime d’une agression sexuelle, et par ricochet à une indemnisation financière supplémentaire de celle-ci, mérite une réelle discussion.

Dans une affaire jugée par la chambre criminelle de la cour de cassation le 14 décembre 2010 (texte intégral ici), l’auteur du viol faisait valoir dans son pourvoi, pour s’opposer à l’indemnisation supplémentaire de la victime du fait de son attitude à son égard pendant la procédure judiciaire, que : « le prévenu bénéficie d'une immunité judiciaire dans l'exercice de ses droits de la défense ; qu'en prenant néanmoins en considération les affirmations de M. X... tout au long de la procédure au titre du préjudice moral subi par la victime de l'agression sexuelle dont M. X... a été reconnu coupable, la cour d'appel a violé les textes susvisés ». La Cour de cassation a rejeté cet argumentaire.

La faible marge de manœuvre du président d’audience

Les commentateurs du procès du comédien ont souvent critiqué la passivité du président qui aurait eu le tort de laisser l’avocat du prévenu s’en prendre de façon excessivement agressive aux plaignantes et à leurs avocates.

En complément de ce qui a été déjà écrit dans le précédent article (lire ici), nous ferons seulement deux observations car cela n’est pas au cœur de notre sujet.

La première est que, pour le président, il est difficile d’intervenir pour limiter la parole des accusés ou des avocats. Qui, comme mentionné plus haut, brandissent aussitôt que des remarques leur sont faites le principe de la liberté de parole et/ou dénoncent la partialité du président. Ce qui fait que tout président hésite à intervenir quand il sait que ses remarques, même justifiées, vont générer une multiplicité d’incidents. En plus, rappeler les règles déontologiques de leur profession laisse de nombreux avocats indifférents.

La seconde, essentielle, est que l’attitude du président ne peut pas être un moyen de justifier les attitudes inutilement et exagérément agressives d’un auteur d’agression sexuelle ou de son avocat vis-à-vis des victimes. Le président n’est à l’origine de rien.

Un dommage supplémentaire indiscutable

Les femmes victimes de viol sont et restent, après l’agression sexuelle et sur une longue période, des personnes en situation de profonde vulnérabilité.

Comme nous l’avons déjà souligné à plusieurs reprises, le viol est une infraction psychologiquement dévastatrice. À l’audience, de nombreux mois et parfois plusieurs années après le viol, les femmes parlent peu de l’aspect strictement physique du viol. La principale raison est qu’elles osent rarement s’opposer physiquement à leur agresseur, ce qui a pour conséquence qu’elles subissent peu souvent des violences physiques importantes. En revanche, elles décrivent les traces profondes laissées dans leur psychisme par la peur intense au moment de l’agression sexuelle, qui va parfois jusqu’à la peur de mourir. Et les uns après les autres, les psychologues et les psychiatres expliquent aux juridictions que ce qui atteint si profondément le psychisme des victimes de viol c’est le fait d’avoir été pendant un temps dans une situation où elles ne maîtrisent plus rien, où elles sont totalement à la merci de l’autre, situation génératrice d’une très grande angoisse qui installe un traumatisme durable.

En plus, le procès ravive cette sensibilité car la victime se retrouve pendant quelques jours à proximité de son violeur.

A l’audience, la femme victime d’agression sexuelle et dont les propos ou la personnalité sont injustement et agressivement remis en cause souffre donc profondément une nouvelle fois. Et cela est très visible par la juridiction [14].

Un préjudice qui peut être indemnisé

« Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. ». Ceci est l’énoncé du principe général de la responsabilité civile dans l’article 1240 du code civil (cf. ici).

Pour ce qui nous intéresse, il existe un préjudice spécifique décrit plus haut (essentiellement moral), un fait générateur (les agressions verbales injustifiées à l’audience), et un lien de causalité entre les deux.

Le dommage est d’autant plus indemnisable si l’on considère que l’agressivité injustifiée envers la victime ne relève pas du droit légitime de se défendre, comme mentionné plus haut.

A l’inverse, si l’on inclut dans un large droit non fautif de « se défendre » la possibilité pour l’auteur d’une infraction et son avocat de maltraiter même sans raison la victime à l’audience, alors cela aura pour conséquence que rien ne pourra jamais être fait pour empêcher cette souffrance supplémentaire, et videra de tout efficacité les textes interdisant la victimisation secondaire.

La dialectique entre l’agresseur sexuel et son avocat, ou qui est responsable de quoi

Si c’est l’auteur de l’agression sexuelle lui-même qui est à l’origine de la victimisation secondaire de la victime et de sa nouvelle souffrance, il n’existe pas de difficulté majeure. Cet auteur est condamné pénalement et civilement et, comme nous le verrons un peu plus loin, il est possible de tenir compte de son comportement à l’audience lors de la fixation de l’indemnisation finale de la victime.

Si c’est l’avocat seul qui génère ce dommage supplémentaire, il ne semble pas aisé, a priori, de mettre l’indemnisation à la charge de l’accusé. La critique majeure opposée à une telle option est que l’agresseur sexuel n’a pas tenu lui-même les propos maltraitants, et qu’il ne peut donc pas être condamné pour les propos tenus par une autre personne [15].

Dans un premier temps, l’argument semble convaincant. Mais il faut aller au-delà de l’apparence, en repartant de notre point de départ : celui qui est poursuivi sait qu’il a commis une agression sexuelle. Ce qui permet d’analyser les mécanismes en œuvre autrement.

1er cas : L’auteur dit à son avocat qu’il a commis l’agression sexuelle puis les deux le confirment à l’audience

Pendant les débats l’avocat pose peu de questions à la victime, puis plaide les circonstances des faits et la personnalité de son client. Cette hypothèse est en dehors de notre débat mais doit être rappelée comme une possibilité offerte à l’auteur. Elle se rencontre de temps en temps aux audiences.

Il n’y a alors ni victimisation secondaire ni indemnisation supplémentaire à ce titre.

2eme cas : L’auteur dit à son avocat qu’il a commis l’agression sexuelle mais qu’il soutiendra son innocence à l’audience. A l’audience les deux contestent l’agression sexuelle en sachant qu’elle a eu lieu

Dans cette configuration, comme expliqué plus haut, la maltraitance de la victime est inéluctable.

Mais ce qui nous intéresse ici, c’est le fait que si l’avocat maltraite la victime à l’audience quand bien même il sait que son client à bien agressé sexuellement cette femme [16], le point de départ de cette maltraitance n’est pas dans les propos de l’avocat mais dans le choix de l’auteur de l’agression sexuelle de mentir sur ce qu’il sait avoir fait.

Ou pour le dire à l’envers, quand l’auteur accepte de reconnaître l’agression sexuelle, son avocat n’a aucune raison de maltraiter la victime à l’audience et donc ne le fait jamais.

C’est pourquoi il est trop simple de prétendre que l’auteur ne peut pas être tenu pour responsable des propos de son avocat contre la victime. Le point de départ de la maltraitance de la victime, y compris par l’avocat, est toujours le refus de l’auteur de reconnaître les faits. C’est son choix initial qui conduit son avocat, qui ne fait que soutenir la thèse de son client, à s’en prendre injustement à la victime. Et cela quel que soit le ton employé par cet avocat, même exagérément agressif.

3eme cas : L’auteur dit mensongèrement à son avocat qu’il n’a rien fait. A l’audience les deux contestent l’agression sexuelle

L’avocat a lu l’intégralité du dossier judiciaire. Ce qui fait que, très souvent, il sait que son client est coupable même si celui-ci lui affirme qu’il n’a rien fait.

Mais à supposer même que l’avocat ait un doute, il sait qu’il y a au moins une probabilité sur deux qu’il s’en prenne injustement à une véritable victime.

Et là encore, s’il le fait, le point de départ de cette maltraitance injustifiée à l’audience est le refus de l’auteur de reconnaitre les faits.

Une autre question se pose : l’auteur anticipe-t-il/accepte-t-il/encourage-t-il la maltraitance virulente de la victime par son avocat ?

Il peut être soutenu que l’auteur qui nie mensongèrement avoir commis une agression sexuelle, même s’il sait que son avocat va mettre injustement en cause la victime, ne souhaite pas forcément des comportements brutaux et agressifs de celui-ci. Donc qu’il est encore moins possible de lui en imputer les conséquences [17] [18].

Mais que l’agressivité et la brutalité excessives de l’avocat soient la conséquence de sa seule initiative sans avis préalable à son client, ou d’une demande de l’agresseur, ou des deux, ce qui peut être retenu une fois de plus c’est que les excès n’existeraient pas si l’auteur avait reconnu les faits.

Les modalités de l’indemnisation civile

Considérer que la victimisation secondaire à l’audience de la victime d’une agression sexuelle a comme élément déclencheur initial le refus de l’auteur condamné de reconnaître les faits, que cette maltraitance découle de ses propos ou de ceux de son avocat, semble permettre, à l’issue de l’audience et au moment de statuer au civil, d’écarter l’argument selon lequel l’auteur ne peut pas être tenu responsable des propos de son conseil.

Une fois l’auteur déclaré coupable, la juridiction le condamne toujours à verser un dédommagement financier à la victime [19].

A priori, rien n’interdit, dans le choix de la somme finale allouée en réparation du préjudice moral, de tenir compte de ce que la victime a subi pendant la procédure judiciaire et encore à l’audience du fait du comportement de l’auteur et de son avocat en son nom. La référence à un préjudice moral global issu des faits peut suffire.

C’est ce qu’a validé la chambre criminelle de la Cour de cassation dans l’arrêt déjà cité du 14 décembre 2010 (texte intégral ici). Alors que l’auteur d’un viol faisait valoir que contrairement à ce qu’avait retenu la cour d’assises « le préjudice lié au déroulement de la procédure et notamment les souffrances imposées à victime du fait des audiences et des expertises au cours desquelles sa parole a été remise en cause et qui l'ont obligé à revivre les faits ne se rattache pas par un lien de causalité directe et certain à l'infraction ayant motivé la déclaration de culpabilité », que « le préjudice lié aux affirmations de M. X... qui, tout au long de la procédure, n'aurait cessé de porter atteinte à l'honneur, la réputation et la probité de Mme Y..., est sans rapport direct avec l'infraction ayant motivé la déclaration de sa culpabilité »,  la cour de cassation n’a pas retenu son argumentaire et validé la décision civile.

Une conséquence indirecte : l’augmentation de la sanction pénale

Il faut mentionner une autre conséquence, méconnue, du comportement injustement agressif d’un auteur et/ou de son avocat vis-à-vis de la victime.

Il arrive parfois pendant le délibéré, au moment du choix de la peine, que ces comportements aient pour conséquence une augmentation de la durée de l’emprisonnement. En effet, qu’elle soit l’œuvre de l’auteur ou de son avocat qui lui est assimilé pour les raisons mentionnées plus haut, cette agressivité injustifiée dégrade l’image de l’auteur aux yeux des magistrats et encore plus des jurés, qui sont très sensibles aux souffrances des victimes.

En plus, l’agressivité envers la victime est perçue comme un élément négatif de personnalité de l’auteur, qui apparait comme un homme dépourvu d’empathie et indifférent aux souffrances nouvelles qu’il inflige à sa victime à l’audience, souffrances dont il est pourtant le témoin immédiat. Ce qui par ricochet incite à penser que le risque de récidive est important puisque le manque d’empathie pour l’autre est l’une des conditions des passages à l’acte violents. Or il est écrit dans le code pénal que la sanction doit être choisie en fonction des faits et de la personnalité de l’auteur (texte ici).

Cela d’autant plus que si pendant les débats les propos dénigrant la victime peuvent un temps être analysés comme correspondant à l’hypothèse d’une plainte mensongère, dès que la culpabilité est retenue en délibéré ces mêmes propos deviennent, rétrospectivement, des agressions injustifiées de la part d’un auteur et de son avocat vis-à-vis d’une réelle victime.

Quoi qu’il en soit, les avocats ne savent probablement pas à quel point, pendant les délibérés, les propos des jurés envers ceux d’entre eux qui agressent inutilement les victimes sont parfois cruels [20].

Une évolution récente des pratiques des avocats

Pour finir il est indispensable de décrire un phénomène récent et important. Et qui est favorable aux victimes.

De plus en plus, des avocats comprennent que l’agression injustifiée de la victime à l’audience nuit considérablement aux intérêts de leur client, et ils ne veulent plus agir en ce sens. En plus, certains avocats, sensibles aux évolutions de la société, ne veulent plus être à l’origine de souffrances supplémentaires inutiles de victimes d’agressions sexuelles.

Alors on les entend à l’audience prendre une position contraire aux dénégations de celui qu’ils assistent et qu’ils savent être coupable.

Cela prend divers aspects : Certains poussent au maximum l’auteur à reconnaître les faits à l’audience, et cela fonctionne parfois. D’autres au moment de plaider rappellent la thèse de leur client qui persiste à nier mais font comprendre aussitôt qu’ils ne peuvent pas sérieusement la soutenir. D’autres encore rappellent la difficulté de reconnaître une agression sexuelle et surtout un viol. En pratique, ces avocats disent à la juridiction, clairement ou à mots couverts, que leur client a bien agressé sexuellement la partie civile. Ensuite ils plaident sur les circonstances des faits, plus encore sur la personnalité de leur client, et sur la peine adaptée [21]. Et cela évite parfois à leur client de prendre quelques années de prison en plus [22].

Si ces avocats ont stratégiquement raison d’agir ainsi parce que c’est dans l’intérêt judiciaire de leur client, une question déontologique se pose quand même : Ces avocats disent-ils clairement à leur client, avant l’audience, qu’ils ne les soutiendront pas dans leur dénégation des faits ?

A l’inverse, d’autres avocats n’ont jamais mis leur logiciel à jour et défendent comme cela se faisait il y a quelques dizaines d’années, en épousant à la virgule près la thèse de leur client quand bien même ils savent que cette thèse n’est pas soutenable. Ces avocats semblent considérer que leur rôle est d’aller dans le même sens que leur client, peu importe les conséquences pour lui de ce positionnement. Mais ont-ils conscience qu’en agissant ainsi ils lui nuisent considérablement ? [23]

Conclusion

Après l’agression sexuelle, le parcours judiciaire, du dépôt de plainte au jugement, est trop souvent un calvaire pour les victimes.

Les délais d’attente avant jugement sont toujours trop longs. D’autant plus que les juridictions criminelles sont de plus en plus engorgées, et que les dossiers dans lesquels la personne poursuivie est libre attendent parfois des années avant d’être audiencés [24].

Plus largement, alors que la notion de victimisation secondaire est entrée dans notre environnement juridique (lire ici), la Cour européenne des droits de l’homme (son site) vient de juger dans un très important arrêt d’avril 2025 (doc intégral ici, § 103) que : « Dans la conduite de la procédure, en parallèle avec le respect effectif des droits de la défenseles autorités judiciaires doivent veiller à protéger l’image, la dignité et la vie privée des victimes présumées de violences sexuelles (..) ».

Cela fait écho à ce qui était déjà écrit dans la Directive européenne de 2024 (doc ici) : Les Etats doivent « veiller à ce que les victimes soient traitées de façon respectueuse et à ce que les procédures soient menées de telle sorte à éviter une victimisation secondaire ou répétée. »

Ces exigences qui font partie de notre environnement juridique incluent l’audience.

Alors que dans certains autres pays l’audience criminelle est un temps de débat très strictement encadré, pendant laquelle aucun dérapage n’est permis sous peine de sanction immédiate, en France elle reste sur le vieux schéma dépassé d’un combat permettant tous les excès.

Il est très difficile de contenir ces excès, et pour ce qui nous intéresse d’empêcher la maltraitance à l’audience des victimes d’agressions sexuelles par l’agresseur qui pourtant sait ce qu’il a fait, et parfois par son avocat.

Ce sont pourtant certains avocats qui démontrent le mieux que l’agressivité envers la victime n’a pas lieu d’être. Quelques uns défendent remarquablement leurs clients agresseurs sexuels sans jamais hausser le ton ni s’en prendre injustement à la victime. Mais il faut beaucoup plus d’intelligence pour développer un argumentaire subtil et respectueux de tous que pour gesticuler et agresser.

La prévention efficace contre la victimisation secondaire des victimes d’agressions sexuelles étant malheureusement hors de portée pour l’instant, il ne reste pour tenter de la contenir que la sanction judiciaire sous ses deux formes : une éventuelle plus grande sévérité dans le choix de la peine pour celui qui à l’audience montre de nouveau son mépris pour sa victime, et des dommages-intérêts augmentés qui incluent le préjudice causé lors de la procédure judiciaire et notamment à l’audience.

Si ces sanctions n’existent pas, les agresseurs sexuels qui sans raison maltraitent leurs victimes et/ou les font maltraiter par leurs avocats au cours des procédures judiciaires sont assurés d’une totale impunité. Et ils sont encouragés à persévérer.

[1] Par facilité, et parce que cela correspond à l’écrasante majorité des affaires judiciaires, nous travaillerons au cours de cet article sur les hypothèses d’une femme agressée sexuellement par un homme. En ayant bien sûr en tête que toutes les autres configurations sont également possibles. »

[2] Sur la définition du viol lire not. ici et les renvois.

[3]  Est partie civile la victime qui souhaite participer à la procédure judiciaire et, à son issue, demander un dédommagement. (texte ici)

[4] Il est écrit dans le document statistique du ministère de la justice pour l’année 2023 (doc intégral ici page 101) : « Les cours d’assises et les cours criminelles départementales ont condamné en premier ressort 3 000 personnes et en ont acquitté 160, soit un taux d’acquittement de 5 % (6 % dans les cours d’assises et 3 % dans les cours criminelles départementales). (..) En 2023, les cours d’assises d’appel ont prononcé 480 arrêts portant condamnation de 510 personnes et acquittement de 24 individus. Le taux d’acquittement en appel (5 %) est le même qu’en premier ressort. »

[5]  Dans d’autres affaires, les accusés admettent la relation sexuelle imposée mais en discutent les circonstances.

[6]  Dans aucune procédure judiciaire, contrairement à ce qui est trop souvent affirmé à tort, ce n’est jamais « la parole de l’un contre la parole de l’autre ». La culpabilité de l’auteur d’un viol ne peut être retenue que si une pluralité suffisante d’éléments la démontrent.

[7]  Ce qui est, comme discuté plus loin, une façon indirecte d’admettre la culpabilité de son client.

[8]  D’ailleurs, cette accusation de mensonge contre les victimes a été reprochée à l’avocat de G. Depardieu (cf. le passage cité plus haut dans l’article)

[9]  L’autre constat, assez déroutant, est l’indifférence de l’accusé pour cette souffrance visible de la partie civile à l’audience. Ce qui est à mettre en lien avec une fréquente absence d’empathie décrite par les psychologues qui l’ont examiné pendant l’instruction, absence qui finalement ne surprend pas puisqu’elle est l’une des conditions du passage à l’acte violent sur autrui.

[10]  Un livre très intéressant sur le sujet : « Une culture du viol à la française » (site éditeur ici).

[11]  Sur ce thème lire ici.

[12]  Prenons un seul exemple : Il est souvent reproché aux femmes qui dénoncent un viol de ne pas s’être battues, défendues contre leur agresseur. Or les professionnels le savent, la plupart de ces femmes ont très peur lors de l’agression et n’osent pas s’opposer physiquement à un homme qu’elles savent bien plus fort qu’elles et qui est déjà agressif et menaçant. D’où leurs réactions de peur, de sidération et parfois de dissociation (lire ici).

[13]   A la surprise de toute la salle, une femme victime de viol a déclaré pendant l’audience : « Ce soir là il m’a violé, mais cela faisait cinq jours que nous n’avions pas eu de relation sexuelle ». Certaines femmes ont inconsciemment intégré l’idée que les hommes ont sur elles une sorte de droit à la relation sexuelle, et qu’elles sont coupables si elles ne répondent pas suffisamment à leurs sollicitations. Cela est analysé notamment dans un livre paru en 2025, intitulé « Penser les violences sexuelles » (page éditeur ici), et écrit par Marie Chartron.

[14]     « Le préjudice de la victime ne vient pas seulement de la violence des faits commis à son encontre, mais aussi de leur dénégation par l’auteur, ou de leur banalisation. » Antoine Garapon dans « La justice reconstructive », p. 298, cité par Véronique Le Goaziou dans « Viol, que fait la justice ? ».

[15]  Les conditions juridiques de la responsabilité du fait d’autrui, restrictives, sont mentionnées dans l’article 1242 du code civil (texte ici).

[16]   Ce qui étonne toujours l’observateur, notamment les jurés qui en parlent parfois pendant les suspensions, c’est cette aptitude de certains avocats à se débarrasser de toute forme d’empathie vis-à-vis des victimes, qu’ils voient souffrir, et qu’ils continuent pourtant à agresser inutilement sans le moindre problème de conscience.

[17]  Cela interroge la transparence de l’avocat vis-à-vis de son client au moment de lui expliquer comment il envisage de le défendre à l’audience. Mais c’est au-delà de notre sujet.

[18]   A minima, il peut être reproché à l’accusé qui voit son avocat agresser violemment la victime de ne pas, pendant les suspensions, demander à son ce dernier d’être moins violent vis-à-vis de celle-ci. Et l’on voit parfois à l’audience des accusés manifestement ravis d’avoir un avocat violent avec la partie civile.

[19]  C’est d’abord la victime qui présente sa demande. La juridiction lui accorde ce qui est demandé ou une somme inférieure. Elle ne peut pas lui allouer plus même si elle estime que cela serait justifié par les faits et leurs conséquences à court, moyen ou long terme.

[20]   C’est pourquoi il est important que les élèves avocats viennent aussi souvent que possible assister aux audiences et aux délibérés des cours d’assises, pour qu’ils constatent eux-mêmes comment les comportements des avocats sont analysés par les jurés, et quelles en sont parfois les conséquences négatives pour les accusés.

[21]  Dans une affaire de viol, deux avocats se sont présentés pour un accusé à l’audience. Au moment des plaidoiries en défense le premier a contesté la réalité du viol comme l’auteur. Et juste après le deuxième a commencé sa plaidoirie en disant que cette dénégation n’était pas soutenable du fait de la multiplicité des charges, et a fait comprendre que son client était bien l’auteur du viol. Ce second avocat a peut-être évité une peine plus sévère pour l’auteur. Mais celui-ci savait-il que les deux avocats venus pour lui plaideraient de façon radicalement opposée ? Et le premier avocat savait-il ce que dirait le second ?

[22]   Ce qui arrive mais n’est pas toujours le cas. En effet certains agresseurs sexuels sont tellement odieux avec leur victime à l’audience que l’avocat ne peut pas faire grand-chose pour leur éviter le pire.

[23]   Parfois, les observateurs se demandent si les avocats sont vraiment intéressés par le sort de leur client, tant leur comportement est contraire aux intérêts de celui-ci.

[24]     La comparution en jugement d’un détenu est soumise à des délais impératifs. Mais quand cette personne est libre il n’y a plus de délai maximal, à part le « délai raisonnable ».

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