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Billet de blog 16 novembre 2025

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La nouvelle définition des agressions sexuelles (et du viol)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C'est article a été mis en ligne sur le blog "Paroles de juge" : www.huyette.net

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Nous avons déjà abordé ici, à plusieurs reprises, la question de la nécessité de modifier la définition légale du viol (cf. ici et les renvois). Cette problématique fait depuis des années l’objet de très nombreux articles ou interventions publiques.

Après une longue période de gestation parlementaire, une loi modifiant la définition des agressions sexuelles a été publiée au journal officiel du 7 novembre 2025 (texte intégral ici) (texte rectificatif ici[1].

Mais avant d’analyser ce nouveau cadre juridique, et pour bien comprendre ce qui va suivre, une remarque préalable s’impose.

Une indispensable précision de vocabulaire

Dans le code pénal, dans le chapitre concernant les atteintes aux personnes, il existe une section intitulée « Du viol, de l’inceste, et des autres agressions sexuelles » (textes ici).

Les agressions sexuelles sont le grand ensemble comprenant tous les contacts sexuels imposés à un tiers. Il existe deux sous-ensembles : d’une part les contacts sexuels avec pénétration qui constituent les viols, et d’autre part tous les autres contacts sexuels sans pénétration que sont les attouchements. Le viol est donc l’une des agressions sexuelles punies par la loi.

La loi du 6 novembre 2025 est intitulée « modifiant la définition pénale du viol et des agressions sexuelles ». Au regard de ce qui vient être précisé, il aurait pu être écrit : « ..modifiant la définition du viol et des autres agressions sexuelles », ou plus simplement « ..modifiant la définition des agressions sexuelles », celles-ci incluant le viol.

Quoi qu’il en soit, après avoir lu ce titre chacun s’attend à trouver deux modifications : celle de la définition générique des agressions sexuelles, et celle de la définition du viol. Mais tel n’est pas le cas. Ce qui peut surprendre.

L’ancienne et la nouvelle définition des agressions sexuelles et du viol

             La définition générique des agressions sexuelles

L’ancienne définition était :

« Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ou, dans les cas prévus par la loi, commise sur un mineur par un majeur.

Le viol et les autres agressions sexuelles sont constitués lorsqu'ils ont été imposés à la victime dans les circonstances prévues par la présente section, quelle que soit la nature des relations existant entre l'agresseur et sa victime, y compris s'ils sont unis par les liens du mariage. » (article 222-22 texte ici)

La nouvelle définition est :

« Constitue une agression sexuelle tout acte sexuel non consenti commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur ou, dans les cas prévus par la loi, commis sur un mineur par un majeur.

Au sens de la présente section, le consentement est libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable. Il est apprécié au regard des circonstances. Il ne peut être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction de la victime.

Il n'y a pas de consentement si l'acte à caractère sexuel est commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, quelle que soit leur nature. 

Le viol et les autres agressions sexuelles sont constitués lorsqu'ils ont été imposés à la victime dans les conditions prévues par la présente section, quelle que soit la nature des relations existant entre l'agresseur et sa victime, y compris s'ils sont unis par les liens du mariage. » (texte ici)

Nous regarderons plus loin les principaux enjeux d’une telle modification.

             La définition du viol

L’ancienne définition du viol était :

« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol.» (article 222-23 texte ici)

Et la nouvelle rédaction est :

« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital ou bucco-anal commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. »   (texte ici)

Il n’y a donc aucun changement de définition du viol, sauf en ce qui concerne l’acte « bucco-anal » qui a été ajouté par la nouvelle loi pour faire le pendant avec l’acte bucco-génital qui existait déjà. Cette modification seulement à la marge de l’article sur le viol semble en contradiction avec le titre de la loi.

Dès lors, même si cela n’est pas essentiel au fond, l’absence de modification de la définition du viol peut sembler critiquable puisque l’une des raisons d’être de la modification du cadre juridique applicable à toutes les agressions sexuelles était de ne plus faire de certaines circonstances traditionnelles (violence, contrainte, menace ou surprise) le cœur de l’infraction, et d’y mettre à la place l’absence de consentement.

C’est pourquoi la nouvelle définition du viol aurait pu être :

« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital ou bucco-anal, non consenti au sens de l’article 222-2 du présent code, commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur est un viol » [2].

Les juristes se pencheront dans les mois qui viennent sur cette particularité qui, si elle ne modifie probablement pas l’impact de la nouvelle loi, pourrait susciter quelques controverses et générer quelques difficultés pratiques [3].

Quoi qu’il en soit, à supposer que la réforme des définitions ait été incomplètement effectuée dans le code pénal, il est certain que les nouvelles circonstances des agressions sexuelles issues de la loi de novembre 2025, avec le consentement au centre des débats, s’appliqueront au viol comme à toutes les autres agressions sexuelles.

La nouvelle loi ne modifie pas l’appréhension juridique du viol

Le viol a toujours été et restera toujours un acte sexuel imposé contre son gré à une personne qui le refuse [4], et donc qui n’est pas consentante. La question du consentement était déjà et restera au cœur de l’analyse dans toutes les affaires de viol. Ce qui fait qu’introduire le mot consentement dans la nouvelle définition du viol ne fait que rappeler une réalité juridique existante, et au-delà une évidence factuelle [5] [6].

Les circonstances de violence, contrainte, menace ou surprise, malgré les apparences textuelles trompeuses n’étaient pas dans l’ancienne définition des composantes du viol, en ce sens que de nombreuses brutalités sont exercées sur des femmes sans être suivies de viol ou même d’un quelconque contact sexuel. Ces éléments factuels étaient des preuves, parmi d’autres, de l’absence de consentement au moment de la relation sexuelle.

Mais l’introduction du mot « consentement » permettra de mieux désigner les circonstances de certains viols. Par exemple, quand une femme dort profondément (parfois sous l’effet de somnifères mis en cachette dans un aliment) et quand un tiers pratique sur elle un acte sexuel sans lui avoir demandé son accord auparavant, il n’y a ni violence, ni menace, ni contrainte, et on ne voit pas bien en quoi il y a surprise puisqu’elle n’a aucune conscience de ce qui se passe. Mais dans une telle hypothèse, en l’absence de brutalités, il fallait jusqu’à ce jour obligatoirement mentionner dans la décision judiciaire un « viol par surprise », ce qui n’avait pas beaucoup de sens. Il est bien plus simple, et plus clair, d’écrire dorénavant que le sommeil exclut le consentement et que par voie de conséquence il y a viol [7].

Il en va de même dans les nombreux cas de femmes qui ont très peur et qui ne réagissent et dont nous reparlerons plus loin, de telle sorte que l’agresseur n’a pas besoin d’être brutal (lire ici[8]. Là encore, le mot « surprise » n’est pas le plus adapté pour qualifier cette situation.

La nouvelle loi clarifie les composantes du consentement

Le plus important est ici.

La nouvelle rédaction clarifie de façon opportune les contours du consentement. Si ce qui va suivre était déjà largement pris en compte par les juridictions, le fait d’apporter certaines précisions dans le texte facilite le travail judiciaire parce qu’il permet de nommer les choses en référence à la loi, donc de façon moins discutable.

Arrêtons-nous sur les apports essentiels.

             L’absence de consentement comme élément central de toutes les agressions sexuelles

Dans les anciennes définitions, les mots repérés par les auteurs étaient « violence, contrainte, et menace ». Ce qui faisait dire à certains accusés à l’audience qu’en l’absence de brutalités de leur part il ne pouvait pas leur être reproché un viol. Dorénavant, ces trois éléments ne vont être que des éléments de preuve parmi d’autres. Le débat judiciaire sera directement centré sur le consentement, sans passage obligé par les brutalités.

Nous nous arrêterons plus loin sur l’intérêt pédagogique d’une telle modification de la loi.

             Le consentement « libre et éclairé »

Pour comprendre l’intérêt majeur de cet ajout dans la loi il faut prendre un exemple.

Quand une personne est très fortement alcoolisée, est devenue incapable de réaliser et de maîtriser ce qui se passe, et est incapable de s’opposer à un quelconque agissement d’un tiers, elle n’est plus du tout en état de consentir de façon conscience et lucide à une relation sexuelle et à toutes ses composantes. La profonde ivresse est incompatible avec un consentement « libre et éclairé ».

Ici aussi, il était souvent mis en avant et discuté par l’accusé l’absence de brutalités de sa part et l’absence d’opposition de la victime. Dorénavant, le débat sera immédiatement et essentiellement centré sur l’aptitude d’une personne ivre à donner un véritable consentement.

             Le consentement « spécifique, préalable et révocable »

Pour beaucoup (trop) d’hommes, il suffit qu’une femme accepte le principe d’une relation sexuelle pour qu’ils se croient autorisés à faire avec elle tout ce qui leur passe par la tête. Mais le consentement doit concerner, bien au-delà de l’accord de principe, le moment de la relation sexuelle, le lieu de la relation sexuelle, et chacun des actes sexuels. C’est en ce sens qu’il doit être « spécifique ».

Le consentement doit être « préalable » en ce sens que l’autre doit s’assurer de son existence avant d’entamer quoi que ce soit.

Le consentement doit être accepté comme « révocable » en ce sens qu’une personne peut envisager un acte sexuel à un moment donné, le faire savoir, mais ne plus le souhaiter quelques heures plus tard. Le premier consentement, révoqué ensuite, ne peut pas à lui seul autoriser l’autre à imposer un acte sexuel.

             Le « silence ou la seule absence de réaction de la victime » ne valent pas consentement

Cet aspect est tout aussi essentiel, et nous l’avons déjà abordé sur ce blog (lire ici).

L’étude de très nombreux dossiers judiciaires de viol, et notamment des récits semblables des victimes, montre que très souvent celles-ci décèlent dans le comportement et parfois les regards de l’autre [9] une agression à venir, ont très peur de ce qu’il pourrait leur faire, sont sidérées et tétanisées, ce qui a pour conséquence qu’elles ne se battent quasiment jamais. Mais leur passivité due à leur peur panique  ne signifie nullement qu’elles sont consentantes. C’est pourquoi la loi rappelle opportunément que ne pas réagir ne signifie pas consentir.

Il faut à ce sujet avoir en tête que pendant très longtemps la victime qui ne se défendait pas était vue comme en partie responsable [10]. Cette nouvelle phrase dans la loi est donc un important progrès puisqu’elle reflète bien plus exactement la réalité des agressions sexuelles que la mention de brutalités.

             La « violence, contrainte, menace ou surprise » éléments de preuve parmi d’autres de l’absence de consentement

En prévoyant, et seulement dans le troisième paragraphe du texte, que « Il n'y a pas de consentement si l'acte à caractère sexuel est commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, quelle que soit leur nature. », la loi remet ces quatre éléments à leur juste place de preuve parmi d’autres du refus de l’acte sexuel. Ce ne sont plus des éléments constitutifs de l’infraction.

Cela est en lien avec le point précédent. Puisque dans de nombreuses situations la victime est tétanisée par la peur, l’agresseur n’a pas besoin de faire usage de brutalités [11]. Ces éléments de brutalité ne doivent donc pas être la référence première lors des débats sur les agressions sexuelles.

La nouvelle loi s’applique immédiatement

Quand une nouvelle loi pénale est publiée au journal officiel, se pose aussitôt la question de son application dans le temps, et notamment celle de son application à des faits commis avant son entrée en vigueur. Les règles, que nous ne détaillerons pas ici [12], sont prévues par le code pénal (textes ici).

Pour ce qui nous intéresse, la loi nouvelle ne fait que officialiser le cadre juridique implicite qui existait déjà et qui était avant son entrée en vigueur mis en œuvre par la justice pénale, même sans les références textuelles. C’est ce que l’on appelle une loi interprétative [13] [14]. Ce qui a pour effet que les nouvelles définitions doivent s’appliquer immédiatement et aux faits poursuivis non encore jugés.

La nouvelle définition du viol va donc être utilisée par les juridictions pénale dès maintenant.

La seule exception concerne l’acte bucco-anal qui, étant un fait qui n’était pas qualifiable de viol auparavant, ne sera punissable comme crime que pour les faits commis à compter de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle [15].

Les participants aux procès de viols et d’agressions sexuelles en cours et à venir semblent donc pouvoir s’emparer des termes de la nouvelle loi dès à présent.

La nouvelle loi ne modifie pas le principe de la charge de la preuve

L'un des commentaires erronés entendu fréquemment concerne la charge de la preuve, qui serait bouleversée et de façon nuisible pour les femmes par la modification de la définition juridique du viol et plus précisément par l’introduction de la notion de consentement. Mais il n'en est rien.

Le mécanisme de charge de la preuve découle du principe de présomption d'innocence. Les deux sont étroitement liés. Il est écrit dans l'article préliminaire du code de procédure pénale (texte ici), qui contient les principes les plus fondamentaux, notamment que : "Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie". Cela a pour conséquence concrète que chaque fois qu'une personne est soupçonnée d'avoir commis une infraction ce n'est jamais à elle de démontrer qu'elle est innocente. C'est à l'inverse toujours au ministère public, secondairement à la partie civile [16], de rapporter la preuve de la commission de l'infraction.

Il n'y a pas et il n'y aura jamais d'exception à ce principe dans les affaires d’agressions sexuelles. Ce qui fait que cela n'a jamais été et ce ne sera jamais à l'accusé de viol de démontrer que la partie civile était consentante. Cela a toujours été et ce sera toujours à l'accusation de démontrer qu’elle ne l'était pas.

C'est pourquoi devant la juridiction criminelle, cour criminelle départementale ou cour d'assises, le débat dans les affaires de viol portait et portera toujours sur les éléments recueillis pendant l'instruction puis pendant les débats et qui sont susceptibles de démontrer que l'acte sexuel a été imposé à une personne qui ne le voulait pas. Donc à une personne qui n'était pas consentante.

Autrement dit, quand bien même la loi nouvelle précise les contours des infractions, cette évolution de rédaction ne change rien pour les victimes qui vont continuer à suivre le même parcours judiciaire.

Les victimes n’ont rien à craindre de la loi nouvelle.

La nouvelle loi ne modifie pas les modes de preuve

Il faut donc (re)préciser comment est établie la culpabilité dans les affaires d’agressions sexuelles et surtout de viol.

Là où se déroule la relation sexuelle, il n’y a la plupart du temps ni caméra ni témoin. Et pourtant chaque année des dizaines d’agresseurs sexuels sont condamnés, et pas sur les seules déclarations des plaignantes [17]. La culpabilité n’est retenue que quand une pluralité d’indices, qui s’additionnent, désignent de façon certaine la personne poursuivie.

Parmi les éléments analysés dans tous les procès il y a, notamment : les circonstances de la rencontre des deux protagonistes, les circonstances de leur séparation, les bruits ou cris entendus par le voisinage, les confidences de la plaignante à des tiers juste après les faits, l’état de la plaignante juste après les faits et dans les jours qui ont suivi, les traces sur le corps de la plaignante [18],  les circonstances et le contenu de la plainte, l’analyse du psychologue qui a rencontré la plaignante et les marqueurs d’un état de stress post-traumatique ainsi que l’absence d’autre élément traumatisant dans la vie de la plaignante sur la même période, la fiabilité et la crédibilité des récits de la plaignante et de la personne poursuivie etc..

Cette démarche sera la même demain, sans que la modification de la loi y change quoi que ce soit.

Là encore, les victimes n’ont aucune raison de craindre quoi que ce soit découlant de la modification du cadre légal [19].

Une nouvelle définition pour la répression, mais surtout pour la prévention

Nous l’avons vu, la nouvelle loi ne modifie pas fondamentalement les composantes des infractions sexuelles, et n’aura probablement pas d’impact majeur sur les décisions qui seront prises à l’avenir. Elle permettra toutefois, pendant l’enquête et l’instruction, puis à l’audience de jugement, d’aborder les mêmes problématiques mais avec un cadre juridique en accord avec les réalités humaines. Cela est déjà un vrai progrès.

Mais quand le législateur fait d’un comportement un interdit pénalement sanctionnable, et fixe la peine encourue pour montrer la gravité de ce comportement, son objectif est aussi que cette loi pénale soit une référence pour les citoyens. C’est là l’autre intérêt de cette loi.

Alors que depuis des années arrivent en raz de marée des plaintes pour agressions sexuelles, que l’on mesure aujourd’hui avec effarement l’ampleur du dérèglement des comportements lors des contacts sexuels, cela dans toutes les couches de la société et dans tous les milieux professionnels, il est urgent que, chaque fois que possible, le débat s’installe sur la notion de consentement, ses multiples composantes, et ses conditions d’appréhension. Et tout autant, mais cela déborde de notre sujet qui en est l’un des aspects, sur la relation viciée depuis la nuit des temps entre les hommes et les femmes [20].

Pour aller dans ce sens, la loi nouvelle est un excellent point de départ.

Les professionnels de l’éducation doivent se l’approprier sans tarder pour en faire un support de discussion avec les ados et les jeunes adultes. Et discuter avec eux, comme les termes de la loi les y invitent aujourd’hui clairement, de ce qu’est le consentement avant une relation sexuelle.

Réprimer les agressions sexuelles est indispensable.

Mais tout mettre en oeuvre pour en réduire le nombre devrait être la priorité. Alors que dans ce domaine l’essentiel reste encore à faire.

[1] La loi initiale était intitulée « loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles ». La loi rectificative l’a intitulée « loi modifiant la définition pénale du viol et des agressions sexuelles ».

[2] Au début du parcours parlementaire, dans la proposition de loi déposée en janvier 2025, il avait été prévu d’ajouter « non consenti » et le mot « notamment » pour avoir la phrase suivante dans l’article 222-23 : « « Tout acte de pénétration sexuelle non consenti, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur, notamment par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol.» (doc ici) Cette piste a ensuite été abandonnée.

[3] L’une de ces difficultés sera la formulation des questions pour les affaires jugées par la cour criminelle départementale et la cour d’assises, qui statuent sur la culpabilité en répondant oui ou non à des questions (sur ce sujet lire ici). Si un accusé est poursuivi pour un viol et pour une agression sexuelle sans pénétration, faudra-t-il poser les questions pour la première en mentionnant comme auparavant les violence, contrainte, menace ou surprise, et pour la seconde mentionner l’acte sexuel et l’absence de consentement ? Ou faudra-t-il considérer que la définition générique des agressions sexuelles prévaut sur celle du viol et dès lors pour le crime poser de la même façon une question sur l’acte et une question sur le consentement ?

[4] A l’exception de la relation sexuelle, assimilée au viol depuis avril 2021, quand les deux partenaires sont un mineur de moins de 15 ans et un majeur ayant au moins 5 ans de plus, quand bien même le mineur était consentant.

[5] cf ici avec les renvois et le podcast de la chambre criminelle.

[6] (sur l’ancienne rédaction) « L’acte de pénétration doit avoir été accompli avec certains moyens qui permettent de caractériser l’absence de comportement ». Thierry Garé, Droit pénal spécial, éd. Bruylant, 11eme édition, p. 309. ;  

« Il serait, cependant, plus exact au fond, plus simple et plus élégant en la forme, de constater que l’agression sexuelle est le fait d’obtenir de quelqu’un un comportement de nature sexuelle auquel il n’a pas consenti. », « Le viol étant une agression sexuelle, suppose l’absence de consentement, tel que nous venons de le définir ». Rassat, Michèle-Laure. Droit pénal spécial - Infractions du Code pénal 9ed (n° 595sv). Groupe Lefebvre Dalloz.

Le mot « consentement » apparait 43 fois dans le fascicule du Jurisclasseur (Editions LexisNexis) relatif aux agressions sexuelles. Il y est notamment écrit : « La question principale de culpabilité peut continuer d'être unique mais elle doit mentionner à la fois l'existence d'un acte de pénétration sexuelle et l'absence de consentement de la victime qui tient au fait que la pénétration a été commise avec violence, menace, contrainte ou surprise » (..) « L’agression sexuelle figure dans un ensemble de dispositions fondées sur une absence de consentement de la victime. ».

« Le viol suppose que le coupable a utilisé certains moyens pour atteindre son but en dehors de la volonté de la victime. La violence physique, la menace, la contrainte morale ou la surprise sont en effet exclusives de tout consentement libre de la part du partenaire ». Véron, Michel. Droit pénal spécial (p. 174). Sirey.

[7] Sauf bien sûr s’il est démontré que la femme a donné son accord pour l’ingestion de somnifères et pour qu’un acte sexuel soit pratiqué sur elle pendant son sommeil par telle personne.

[8] Parfois ce sont les comportements antérieurs violents de leur agresseur, quand il y a déjà une relation de couple entre eux, qui font que des femmes craignent de voir réapparaitre les mêmes violences quand leur partenaire s’approche en voulant à tout prix une relation sexuelle, ce qui leur ôte toute capacité de résister et n’oblige pas ce partenaire à faire preuve de nouvelles brutalités.

[9] Il est fréquent que les victimes de viol parlent des changements très visibles dans les yeux et le regard de l’agresseur, ce qui est l’un des déclencheurs de leur grande peur.

[10]   Comme cela a été rappelé notamment dans une étude sur les anciens condamnés accueillis à la prison de Casabianda, « affirmer que les relations ont eu lieu sans violence revient implicitement à attribuer à la victime une part de responsabilité dans l'acte immoral » (..) « La violence du quotidien dans le cadre familial, transforme la soumission à l'autorité ou à la force, la passivité ou la résignation en consentement présumé. » (Nathalie Goedert, Semaine Juridique Octobre 2025). Cela est également détaillé dans le livre « L’histoire du viol » de Georges Vigarello (site éditeur ici).

[11] C’est pour cela que les traumatismes profonds et durables causés par les viols, racontés par les victimes et constatés par les psychologues, sont beaucoup plus psychologiques que physiques.

[12] Les principales règles sont que les lois pénales plus sévères ne s’appliquent que pour l’avenir et non aux faits commis avant leur entrée en vigueur, les lois pénales plus douces sont d’application rétroactive.

[13] Quand une loi a précisé dans un article du code pénal les contours de la contrainte morale, la cour de cassation a jugé qu’il s’agit de « dispositions interprétatives » pouvant être immédiatement prises en compte par les juges (décision intégrale ici ; autre décision ici).

[14] Dans son avis en date du 11 mars 2025 le Conseil d’Etat a considéré de la même façon que : « doit être regardée comme interprétative, ce qui permet son entrée en vigueur immédiate et son application aux situations en cours. Il rappelle que la qualification juridique de loi interprétative ne signifie pas que les dispositions concernées seraient dépourvues de portée novatrice ou utile et se réduiraient à un commentaire. Ces dispositions peuvent, comme en l’espèce, marquer une évolution importante, dont toutefois l’existence des linéaments et des prémices dans la jurisprudence, ou la potentialité résultant de la définition des termes qualifiant le crime, permettent de regarder le contenu comme applicable aux faits antérieurs à son adoption, et ne mettant aucunement en cause la continuation des poursuites  engagées » (doc ici)

[15] L’opportunité d’assimiler l’acte bucco-génital et dorénavant l’acte bucco-anal à un viol, qui est fondamentalement un acte de pénétration, peut être discutée. Ces deux actes sont des contacts sexuels et qualifiables de délits d’agressions sexuelles s’ils ne sont pas consentis. Les faire réprimer de quinze ans de prison peut laisser perplexe d’un point de vue de cohérence juridique et répressive. Toutefois, comme par le passé, il n’y aura probablement jamais poursuite criminelle si seul un de ces actes est commis. Et il n’est même pas certain que dans une telle configuration il y aura des plaintes.

[16] Dans notre système juridique français la partie civile a le droit de s’exprimer tant sur la partie pénale que la partie civile de l’affaire jugée. D’ailleurs, à la cour criminelle départementale (qui dorénavant juge presque la majorité des affaires de viol – cf. ici et les renvois) ou la cour d’assises, qui jugent les crimes et notamment les viols, il y a d’abord une audience exclusivement pénale, au cours de laquelle la partie civile participe aux débats et plaide avant le ministère public, puis, séparément, une audience civile.

[17] Contrairement à ce que l’on entend parfois, dans un procès pour agression sexuelle ce n’est jamais « parole contre parole ». Aucune condamnation ne peut être décidée sur les seules affirmations d’une plaignante.

[18] Certaines blessures sont pour les médecins légistes caractéristiques de pressions exercées sur le corps d’une femme. C’est le cas des hématomes à l’intérieur des cuisses, au même niveau sur les deux membres, qui résultent d’une pression physique exercée par l’agresseur sur les jambes de cette victime pour la contraindre à les écarter.

[19] Mais leur parcours judiciaire restera une épreuve difficile à supporter (lire not. ici).

[20] Il faut lire, entre autres ouvrages : « Le mythe de la virilité » de Olivia Gazalé (page éditeur ici) ; « Le contrôle coercitif, au cœur de la violence conjugale » de Andreea Gruev-Vintila  (page éditeur ici) ; « Viol que fait la justice » de Véronique Le Goaziou » (page éditeur ici) ; « Le viol conjugal » par plusieurs auteurs (page éditeur ici) ; « Histoire du viol » de Georges Vigarello (page éditeur ici) ; « En finir avec la culture du viol » de Noémie Renard (page éditeur ici).

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