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Billet de blog 26 novembre 2023

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Faut-il changer la définition juridique du viol ?

Pour remettre le consentement au coeur des débats sur le viol, il est nécessaire d'en modifier la définition dans le code pénal.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

rem : Cet article a été pub lié initialement sur le blog "Paroles de juges" : www.huyette.net 

Le débat autour de la définition du viol n'est pas récent. Les interrogations sont anciennes.

Certains pays ont déjà ouvert le débat sur une évolution de leur législation (en Suisse ici et ici) (en Suède ici) (au Danemark ici) (en Belgique ici).

Au-delà, l'Europe envisage une évolution commune des législations (lire ici).

En tous cas, la question centrale posée est celle de l'opportunité de définir le viol seulement comme le rapport sexuel qui intervient sans le consentement de l'autre, sans aucune autre indication (lire ici). Ce qui n'est pas le cas en droit français.

Et pour y répondre, il faut notamment passer par l'analyse des affaires traitées par la justice (1).

L'opportunité de changer la définition française du viol

- La définition actuelle et ses inconvénients

Le viol est actuellement défini à l'article 222-23 du code pénal français (texte ici) de la façon suivante : "Tout acte de pénétration sexuelle (2), de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol." (3)(4)

La loi française ne mentionne pas l'absence de consentement mais les circonstances qui vont caractériser une telle absence.

Mais ce que l'on remarque tout de suite c'est que dans l'énumération de ces circonstances les trois premiers mots sont violence, contrainte et menace. C'est ce qui explique qu'une lecture rapide du texte incite à penser que le viol c'est uniquement en cas de brutalités sur la victime. Et pourquoi les présidents de cours d'assises, et dorénavant des cours criminelles départementales (sur les CCD lire ici et ici, et les renvois), entendent à longueur d'année des accusés dire : "je ne l'ai pas violée puisque je ne l'ai pas frappée". Et des femmes dire : "Au début je n'ai pas pensé à porter plainte car il ne m'a pas tapée"

Mais, dans la réalité, il y a de très nombreux viols sans brutalité de l'auteur, et cela dans plusieurs circonstances qui, à chaque fois, mettent en situation une victime qui ne peut pas se défendre.

C'est d'abord le cas quand la victime dort, ou est très fortement alcoolisée, ou sous l'effet de drogues, ou est très fatiguée. 

C'est ensuite le cas quand la victime est un enfant trop jeune pour comprendre ce qui se passe et/ou pour pouvoir s'opposer à l'adulte qui l'agresse, ou a des troubles psychiques qui ne lui permettent pas d'appréhender ce qui se passe.

C'est enfin le cas, et la précision est essentielle parce que de telles hypothèses sont très fréquentes, quand la victime même adulte a très peur de l'agresseur, et par crainte d'être sévèrement violentée renonce à se défendre. Soit parce qu'elle pressent qu'elle n'aura pas le dessus et qu'elle risque de subir l'acte sexuel et en plus de graves violences physiques, soit parce que dans les heures qui précèdent le viol l'agresseur a exercé des violences physiques qui font que quand il veut un acte sexuel la victime n'ose pas s'opposer. (5).

Dans toutes ces hypothèses l'agresseur a imposé à la victime un rapport sexuel auquel elle n'a jamais consenti. Mais il n'y a au moment de l'acte sexuel ni violence autre que celle de la pénétration sexuelle non acceptée, ni contrainte physique, ni menace physique ou verbale.

Ce sont alors deux notions inclues dans la définition du viol qui sont utilisées.

* La première est celle de contrainte morale.

L'article 222-22-1 du code pénale (texte ici) précise ceci : 

"La contrainte prévue par le premier alinéa de l'article 222-22 peut être physique ou morale. Lorsque les faits sont commis sur la personne d'un mineur, la contrainte morale mentionnée au premier alinéa du présent article ou la surprise mentionnée au premier alinéa de l'article 222-22 peuvent résulter de la différence d'âge existant entre la victime et l'auteur des faits et de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci a sur la victime, cette autorité de fait pouvant être caractérisée par une différence d'âge significative entre la victime mineure et l'auteur majeur. Lorsque les faits sont commis sur la personne d'un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l'abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes."

La contrainte morale peut donc être retenue notamment quand la victime est fortement impressionnée par la stature de son agresseur ou par son âge, ou/et quand elle a très peur des violences qu'il pourrait exercer sur elle, et qu'elle n'ose pas résister au moment de la pénétration sexuelle.

* La seconde est celle de surprise.

Les juridictions criminelles considèrent qu'il y a surprise dans plusieurs situations et notamment : quand pendant une relations sexuelle au départ souhaitée par les deux l'agresseur pratique un acte sexuel que la victime n'accepte pas sans la prévenir ; ou quand la victime n'est pas en état de comprendre ce qui se passe (trop jeune, soûle, droguée, endormie, psychiquement instable..).

Et s'agissant des enfants, les juridictions retiennent en même temps la contrainte morale et la surprise.

Dans toutes ces hypothèses, il n'y a pas de consentement réel, éclairé et lucide de la victime au contact sexuel, et ce constat d'absence de consentement pourrait suffire pour retenir le viol. Mais en droit français, la réflexion juridique se fait en deux temps : d'abord l'analyse des circonstances qui caractérisent l'absence de consentement puis, en plus, le choix de l'un (ou de plusieurs) des quatre mots du code pénal pour qualifier ces circonstances.

- Le remplacement nécessaire par l'absence de consentement

Le passage obligatoire par cette surcouche juridique et les mots inclus dans la définition du viol peut sembler inutile. 

En effet, si par exemple la juridiction constate que la victime était trop soûle pour comprendre ce qui se passe et pour réagir, il est évident qu'elle n'a pas pu consentir pleinement à l'acte sexuel, et l'on ne saisit pas bien la nécessité de qualifier en plus cela de viol par surprise. Le constat de l'absence de consentement du fait de l'ivresse profonde suffit amplement pour caractériser l'abus qui a été commis. Il en va de même si la victime était bien trop jeune pour comprendre ce qui se passait. Nul besoin de rajouter qu'il y a contrainte morale ou surprise.

Il pourrait toutefois être soutenu que même si cette surcouche juridique n'est pas indispensable, l'important est que la définition française du viol permet de prendre en compte toutes les situations d'absence de consentement. Ce qui est exact mais n'est pas de nature à faire obstacle à une simplification textuelle.

Parce que l'essentiel n'est pas là.

La principale raison d'approuver un changement de la définition du viol est éducative, secondairement juridique. 

Comme cela a été mentionné plus haut, beaucoup trop d'hommes et d'ados associent viol et brutalité. Ce qui leur fait penser à l'envers que s'ils ne brutalisent pas ils ne violent pas. Il est donc indispensable, alors que le nombre des agressions sexuelles reste toujours très élevé, de modifier profondément leur façon d'aborder les relations sexuelles, cela en leur mettant en tête que leur première préoccupation doit être en permanence la vérification du consentement de l'autre, que leur comportement agressif ou non.

Mais ce que l'on constate aussi en écoutant les femmes victimes, c'est qu'elles aussi se trompent souvent sur ce qu'est le viol dans la loi française. Il arrive bien trop souvent que des femmes ne portent pas plainte parce qu'elles ont eu très peur, qu'à cause de cette peur elles ne se sont pas physiquement défendues après avoir exprimé leur désaccord à l'autre.

Elles pensent alors que si elles portent plainte leur agresseur va tout de suite mettre en avant l'absence de violences physiques de sa part.

Parce que leur repère est pour elles aussi l'existence de brutalités.

Le piège se referme alors sur toutes ces femmes.

Et la loi en est largement responsable.

Remplacer dans le code pénal l'expression "par violence contrainte menace ou surprise" par "en l'absence de consentement" est manifestement de nature à modifier radicalement la compréhension de ce qu'est un viol par la population française. Chacun percevrait alors que l'élément central est le consentement du partenaire sexuel, qu'il peut y avoir légalement viol sans violences, et par voie de conséquence que la priorité est de s'assurer de l'existence de ce consentement, dans toutes les situations de contact sexuel sans aucune exception. 

Judiciairement, l'accusé poursuivi serait interrogé d'abord sur ce qui lui a montré clairement que l'autre était consentant, et ensuite seulement sur l'existence d'éventuelles menaces ou contraintes.

C'est pourquoi le changement de rédaction du texte sur le viol, en gommant toute référence aux brutalités et en ne mentionnant que le consentement, pourrait en l'accompagnant d'une vaste campagne d'information de la population être le point de départ d'un profond changement des mentalités. 

C'est pour cela qu'une telle modification du texte doit être encouragée.

Mais encore faut-il savoir ce que contient la notion de consentement.

- La bonne compréhension de la notion de consentement

Là encore il y a souvent des malentendus, chez les hommes comme chez les femmes.

Le consentement n'existe pas dans la seule acceptation d'une relation sexuelle. Cela n'est que la première partie du consentement.

Pour que le consentement soit entier, celui avec qui la relation sexuelle est envisagée doit être d'accord avec le nombre de partenaires, l'identité du/des partenaires, le moment de la relation sexuelle, le lieu de la relation sexuelle, et avec chacun des actes sexuels de nature différente envisagés. Ce n'est que quand l'accord a été clairement donné sur tous ces aspects de la relation sexuelle que celle-ci peut-être considérée comme réellement et totalement consentie.

La charge de la preuve

Contrairement à ce qui est parfois affirmé à tort, la modification de la définition du viol n'aurait pas d'impact sur la charge de la preuve. Il ne sera jamais demandé à celui qui est mis en cause de prouver que l'autre était consentant pour la double raison que cela reviendrait à faire peser sur lui une charge impossible et que le mensonge étant très présent lors d'un procès criminel l'accusé peut travestir à son gré la réalité des faits.

Par contre, il est arrivé dans des affaires judiciaires que l'accusé poursuivi, interrogé sur le comportement de l'autre au moment du contact intime, décrive une personne totalement passive n'ayant ni regard, ni mot, ni geste pour montrer un intérêt quelconque à la relation sexuelle. Ou qu'il mentionne son état (fatigue, alcoolisation, élocution difficile, etc..). Ce qui est de nature à faire apparaitre l'absence de consentement puisqu'une personne qui souhaite une relation sexuelle y participe activement d'une façon ou d'une autre. Le besoin de s'interroger sur d'éventuelles brutalités s'amenuise alors.

S'ajoutent comme indicateurs de l'absence de consentement, dans de très nombreuses procédures judiciaires, le comportement de la victime juste après la relation sexuelle : appel au secours et/ou à des tiers, départ précipité du domicile de l'agresseur, pleurs, état de stress etc..). Ce qui encore une fois écarte la nécessité de rechercher d'éventuelles brutalités au moment du rapport sexuel.

De même, quand d'autres violences ont eu lieu en plus du rapport sexuel imposé, les blessures constatées par un médecin-légiste.

Et l'analyse psychologique des deux personnes concernées par un professionnel.

En résumé et pour le dire le plus simplement possible, le point de départ judiciaire de toute analyse d'une potentielle scène de viol doit être la recherche de ce qui démontre le consentement/l'absence de consentement de l'éventuelle victime, et non en priorité la recherche d'agressivité chez la personne soupçonnée.

Conclusion

La protection des femmes contre les agressions sexuelles doit, pour être efficace, reposer notamment sur un arsenal juridique simple, clair, et immédiatement compréhensible par tous.

Les conséquences de la définition actuelle, tellement souvent mal comprise par les hommes mais aussi par les femmes, font que la protection légale des femmes n'est pas à la hauteur de ce qu'elles sont en droit d'exiger.

Toutes les ambiguïtés résultant de l'actuelle définition juridique du viol doivent être définitivement écartées. Ceci dans l'intérêt des femmes mais tout autant des hommes. Pour cela le consentement doit devenir le repère central pour tous ceux qui s'engagent dans une relation sexuelle, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Il pourrait être écrit dans le code pénal que : "Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur, en l'absence de consentement, est un viol."

Par ailleurs, dès leur plus jeune âge, garçons et filles doivent apprendre que toute relation sexuelle non pleinement consentie est un viol, même en l'absence de brutalités, et y compris au sein des couples.

La répétition et l'ampleur sans fin des agressions sexuelles rendent cette réforme indispensable et urgente.

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  1. Sur les chiffres des violences sur les femmes lire not. ici.
  2. L'expression "tout acte de pénétration sexuelle" permet de retenir comme étant des viols les fellations, les pénétrations avec le sexe, les doigts, ou un objet dans le sexe ou l'anus de la victime.
  3. Les expressions "ou tout acte bucco-génital" et "ou sur la personne de l'auteur" n'existaient pas à l'origine et ont été ajoutées dernièrement. Nous ne nous y arrêterons pas dans cet article.
  4. C'est la loi 80-1041 du 23 décembre 1980 (JO du 24) qui a pour la première fois inséré dans le code pénal une définition détaillée du viol, définition qui a ensuite été plusieurs fois complétée. La loi de 1980 a repris les critères dégagés auparavant par la jurisprudence.
  5. Les victimes de viol décrivent très bien, et les psychologues ont documenté, les phénomènes de sidération et de dissociation qui font que la victime, qui est psychiquement paralysée, n'a plus la capacité de se défendre contre son agresseur quand bien même elle refuse totalement la relation sexuelle.

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