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Billet de blog 5 décembre 2021

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EQUIWOKE DEUXIEME PARTIE

A force de proclamer son attachement à l’égalité des citoyens devant la loi et sa détermination à lutter contre le racisme, notre République a fini par oublier l’objet unique de l’humanisme qui n’est pas de se comparer mais de se reconnaitre.

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EQUIWOKE PREMIERE PARTIE (rappel) : https://blogs.mediapart.fr/micheljoli43/blog/261121/equiwoke-premiere-partie

       Dans mon précédent billet je vous ai parlé de Rama Yade pour illustrer une forme pacifique et artificielle d’un wokisme plus bourgeois que contestataire. Evidemment, je me dois aujourd’hui de vous parler de Joséphine Baker qui fut woke avant la lettre en s’imposant dans le monde des blancs sans en demander la permission et en usant d’une la provocation originale, celle de l’empathie. Une réplique à l’intolérance d’une société qui piétine allégrement ses propres valeurs. Elle n’a rien cédé de ses origines et de ses convictions. Son seul désir de conquête fut celui d’une reconnaissance égalitaire dépourvue de tout sentiment de revanche. Certes, il fallut pour cela une situation extrême de destructuration sociale et morale. Un grand désordre qui révéla  que derrière l'opacité des conventions du temps de paix, se cache toujours une trésor de liberté et de sympathie, ce que nous appelons l'humanisme. A cet égard je pense que l'exemple de Joséphine Baker méritait d'être rappelé par  une utile consécration.

EQUIWOKE DEUXIEME PARTIE

     I

         A force de proclamer son attachement à l’égalité des citoyens devant la loi et sa détermination à lutter contre le racisme, notre République a fini par oublier l’objet unique de l’humanisme qui n’est pas de se comparer mais de se reconnaitre : de reconnaitre l’autre comme autre soi-même au-delà de ce qui le distingue, le pire comme le meilleur.

     Il ne peut y avoir d’égalité sans empathie et c’est sur ce point qu’il faut attirer l’attention des tenants du wokisme. Leurs revendications égalitaristes ne justifient pas une attitude séparatiste, voire violente, qui consiste à faire des procès rétroactifs devant un tribunal qui n’existe pas pour désigner des coupables qui n’existent plus. Certes, leurs descendants, vous et moi, se trouvent dans une position de receleurs qui profitent de biens mal acquis. Mais cette conviction s’épuise devant une autre réalité.  Celle des injustices actuelles, bien réelles et consistantes, contre lesquelles nous devons tous agir dans une implication commune.

     Cette affirmation peut apparaitre comme une double peine pour tous ceux qui éprouvent l’injustice du sort qui fut réservé à leurs ancêtres avec l’esclavage et le colonialisme. En effet, la rémanence des traumatismes psychologiques qui s’inscrivent de façon quasi génétique dans le patrimoine identitaire ne peut cesser que par une résolution analogue à une fin de deuil.  L’accomplissement d’une vengeance est la plus souhaitée mais la moins souhaitable. Il en est une autre forme utile socialement : l’engagement actif à un « plus jamais ça » qui sublime la douleur et ouvre la voie à un projet de vie sans pardon ni remord. Combien sont nombreuses les victimes d’attentats terroristes qui se sont ainsi engagées pour affronter avec courage tout ce qui pourrait réactiver une souffrance et réveiller une haine devenue inutile.  

    Cela n’empêche pas le souvenir des origines de peser lourd dans l’évocation des inégalités. L’obligation d’égalité existe bien en Droit, mais ce n’est pas un droit naturel. Il faut s’interroger sur sa portée effective alors que, depuis l’abolition de l’esclavage et la proclamation constitutionnelle des droits de l’homme et du citoyen, il n’a fait que se réduire pour n’être plus qu’un droit de vivre…et encore !

 II

     Force est de constater en effet que pour bénéficier du droit républicain à l’égalité, les divers chemins possibles sont interdits et barricadés de prétextes inavouables par ceux-là mêmes qui se prétendent républicains. Tous ont en partage l’idée, exprimée ou refoulée, que les inégalités sont indispensables à la dynamique d’une civilisation fondée sur l’absolue satisfaction des désirs et le non moins mépris des besoins.    

    C’est ainsi que sont refoulés des hommes et des femmes migrants qui ont quitté leur pays, poussés par des besoins irrépressibles, la misère, la faim, la sécurité, la santé…et le bonheur. Ils n’exigent pas le remboursement d’une dette dont ils sont pourtant les créanciers et forcent notre porte non pour nous « remplacer, » mais pour nous rappeler un devoir de fraternité anthropologique.    

     Toute une population hétéroclite et invisible se presse ainsi dans les espaces de vie disponibles et proches des exutoires de notre société desquels il n’est possible de sortir que par chance.

     Mais nulle part leur est offert le droit à l’égalité des chances. C’est une loterie à laquelle ne peuvent accéder que ceux qui peuvent payer leur droit d’entrée dans le casino du libéralisme.

      Toute notre société fonctionne aujourd’hui sur la stigmatisation des différences de ceux qui n’ont pas la servilité et la soumission nécessaires pour les dissimuler. Ils rejettent cette tentation dissimulatrice et dénoncent ouvertement la sollicitude de l’antiracisme blanc. Selon eux l’antiracisme a pour seule fonction de protéger la bonne conscience des dominants en se limitant à une reconnaissance du droit à la vie aux minorités ethniques, religieuses, culturelles et de genre sans s’attarder sur leur droit naturel d’être reconnus comme semblables.   

  III

     Cette situation est très voisine de celle qui conduisit au fameux débat ouvert à Valladolid au milieu du XVIième siècle pour déterminer jusqu’à quel point les Indiens conquis en Amérique pouvaient être à la fois de bons travailleurs et des êtres inhumains dépourvus d’âme et hors du champ de la rédemption chrétienne.   

     Aujourd’hui ce n’est plus de l’âme dont il s’agit mais de l’être : être ou ne pas être reconnu humain à égalité avec les autres humains ? 

     L’abolition de l’esclavage, la proclamation des droits de l’Homme, l’égalité des genres, les progrès de la démocratie… n’ont pas permis à ce jour de faire de l’humanisme autre chose qu’un ralliement à une culture dominante qui ignore ou méprise toute alternative à une civilisation « globale ».

     C’est ainsi qu’est entretenue l’idée que l’humanisme n’implique pas un devoir de protéger et de maintenir une diversité vitale et un métissage dynamique de notre espèce.

     La réactualisation de l’humanisme dans sa variété est par conséquent une urgente obligation au même titre que la restauration de la biodiversité. Cette contemporanéité n’est pas le fruit du hasard puisqu’elle répond à une dégradation généralisée de la biosphère en raison de l’emballement civilisationnel, cette hypertélie soigneusement décrite par Patrick Tort*.   

     Lutter contre ce phénomène consiste à s’opposer au productivisme aveugle et prédateur qui entretient des déséquilibres dans la nature et des injustices de civilisation sous le prétexte absurde d’une mondialisation économique prééminente de l’humanité.

*Patrick Tort : L’intelligence des limites, essai sur le concept d’hypertélie. Gruppen édition avril 2019, 206 pages.

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