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Billet de blog 5 décembre 2021

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EQUIWOKE Première partie

Le woking est une théorie qui associe étroitement la lutte contre les inégalités et l’antiracisme. Elle permet de s’opposer, avec toute la vigueur de l’antiracisme à toutes les formes de rentes de situation et de privilèges indus. Elle pourrait préfigurer une nouvelle lecture de l'humanisme.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

EQUIWOKE Première partie (version amenée et corrigée le 27 nov 12h

 I

Les Antillais ont saisi le prétexte d’une obligation vaccinale tombée du ciel comme une charité métropolitaine pour dénoncer une nouvelle provocation néocoloniale. Quoiqu’on en pense avec notre rationalité occidentale, ce n’est pas un pass sanitaire que les Antillais attendent depuis des années mais la fin des inégalités de ressources et de vie entre l’archipel et la France hexagonale. Celles-ci sont sans cesse mises au compte du climat et de la distance, deux invariants extra politiques dont profitent au long cours les systèmes maffieux intermédiaires, au détriment des productions locales.

Curieusement le racisme, dans sa version historique la plus banale, n’est pas évoqué dans les revendications antillaises ni l’anti-racisme dans la réponse des institutions républicaines. Or, comment dénoncer les inégalités dans nos lointains territoires de la République sans faire référence à une histoire coloniale qui nous colle à la peau.

Alors que les Antilles se mobilisent une fois encore, un débat nouveau agite la classe politique sur l’opportunité d’une approche nouvelle des inégalités. Faut-il se référer à la persistance d’un racisme endémique longtemps dissimulé par l’euphorie néolibérale ? Ce débat est en relation avec un emprunt à l’histoire américaine, le wokisme.

       II

Le wokisme est une théorie qui associe étroitement la lutte contre les inégalités et l’antiracisme. Elle permet de s’opposer, avec  la légitimité morale de l’antiracisme, à toutes les formes de rentes de situation et de privilèges indus y compris celles qui ne sont pas en rapport avec une stigmatisation raciale.

Cela peut parfois paraitre excessif (surtout aux titulaires des privilèges) mais pose en termes nouveaux l’extension du racisme à toute les formes de dominations et d’exploitation. D’où la globalité d’un combat pour l’égalité qui ne se limite plus au « racisme » d’antan.  

En accord avec les sciences de l’homme nous savons que les races humaines n’existent pas depuis que notre espèce d’hominidé est devenue la seule sur terre, issue d’une unique variation évolutive. L’usage du mot race a été maintenu par analogie avec le monde animal pour la seule satisfaction et justification des… racistes et la promotion de la « pureté aryenne ». Ainsi la discrimination raciale n’a pour seule but que de satisfaire un narcissisme communautaire et le désir de domination de l’autre pour s’affirmer soi-même. C’est ce désir en forme de « propre de l’Homme » qu’il nous faut combattre quel que soit nos différences d’origine historique, géographique, culturelle et génétique au nom d’un inestimable bien commun : l’appartenance à une même espèce.  Cela est valable non seulement pour les individus dans leur comportement social mais aussi pour les collectivités nationales, religieuses et idéologiques qui entretiennent des frontières infranchissables entre les cultures et les peuples comme la composante essentielle de leur dynamisme.  Ainsi se trouve interdit toute manifestation de la fraternité, cet instinct social primordial qui fut à l’origine de la civilisation.

L’émergence de cette nouvelle forme de lutte sociale devrait bousculer les convictions conservatrices qui ont enfermé le couple racisme/antiracisme dans une forme d’isolement cathartique qui exonère toutes les autres formes d’injustice et d’exploitation.   

Cependant le « wokisme » à la française ne doit pas se limiter à une copie hâtive de son modèle américain. Celui-ci  se superpose à la culture historique du pays au point d’adopter la dichotomie  du bien et du mal en rapport avec le fondement religieux de sa culture évangélique. En France, le wokisme serait mieux inspiré à témoigner de la dérive de l’humanisme fondateur de notre République et à s’employer à sa restauration.

 La déclaration récente de Rama Yade sur ce sujet vieux comme l’essentialisme blanc, apporte un témoignage utile à la compréhension d’une désillusion personnelle mais ne réactualise pas vraiment le sujet.

Cette ancienne ministre de Nicolas Sarkozy a cru sincèrement qu’elle pouvait effectuer un parcours politique en France sans rien craindre de son origine africaine. En s’engageant en politique elle a sans doute pensé que sa principale différence, la couleur de peau, serait un atout politique par simple effet d’affichage. Mais, pour en profiter pleinement il lui fallut taire ses fiertés identitaires, celle de ses origines, d’une autre histoire et d’une autre culture. Ce renoncement avait pour effet de lui donner une maitrise absolue de sa singularité en échappant à la norme collective des origines tout en devenant un modèle de ralliement, ce que d’autres appellent l’image de la diversité…

Il est bien difficile de vivre dans le renoncement de soi-même et, à la lecture de ses récentes déclarations, j’ai le sentiment qu’elle a compris que l’oubli des origines affaiblit plus qu’il ne renforce une intégration culturelle, même lorsqu’on appartient à l’élite sociale.     

Cette première course vers les sommets, courte et pleine d’enseignements, lui a permis de voir le monde autrement et d’avoir, semble-t-il, une attention particulière pour ceux qui, dans des situations moins confortables ont connu les mêmes désillusions.

L’importance que prend aujourd’hui la culture woke dans la dénonciation du racisme et des inégalités identitaires résulte d’un long parcours dans la brume d’une relégation imposée par l’histoire. Les nouveaux venus dans la société occidentale ont subi, dans la soumission et la marginalité sociale, une stigmatisation constante de leur impuissance. Cependant, parmi ces migrants et réfugiés, certains ont réussi à contourner l’assimilation destructrice et à relever le défi d’une hybridation culturelle.

 III

 Vers une nouvelle formulation de l’humanisme

Cela aurait pu se poursuivre sans heurt si le terrorisme, la crise sociale et, aujourd’hui les menaces sanitaires et climatiques, n’étaient venu brouiller les cartes et faire renaitre sous une forme nouvelle la détestation de l’autre et de la diversité.

Heureusement, le point de non-retour était déjà dépassé et les progrès accomplis avaient permis la sortie progressive des ghettos d’accueil d’une population en marge de la société. La scolarisation des enfants, l’accès à la culture, aux médias et au réseaux sociaux, l’apprentissage des techniques de revendications, la découverte des subtilités perverses de la démocratie, et l’éveil d’ambitions individuelles par les associations solidaires ont permis de développer l’affirmation de soi et, peu à peu un esprit de renaissance, voire de conquête.     

Ceux qui en doute devraient se reporter aux images de notre société du siècle passé qui nous montraient la résignation fataliste et soumise des minorités plutôt qu’une volonté de se soustraire à la stigmatisation raciste. C’est de cette métamorphose que résulte le mouvement woke « à la française » qui n’est qu’une prise de parole longtemps impossible pour témoigner d’un affranchissement irréversible. Dans cet esprit, ce n’est évidemment pas un paradoxe que ces « éveillés » se soient approprié des moyens et des méthodes résultant de l’empreinte occidentale.  

Notre société est ainsi interpellée par une revendication longtemps refoulée qui pose tout naturellement la question de l’égalité républicaine.

 Une question d’actualité avec le retour d’un racisme hygiéniste global qui réhabilite toutes les détestables notions de normes et de déviances, de pureté de la race, de soumission des faibles et de fidélité aux vieilles lunes zemmouriennes. L’« éveil » du wokisme n’est rien d’autre qu’une mobilisation qu’il nous faut saluer et à laquelle tous les humanistes devraient participer. Il n’est pas un simple spectacle livré à toutes les instrumentalisations médiatiques, ni un concert de provocations adolescentes. C’est le début d’une transformation en profondeur de notre civilisation à la veille des grands tourments qui la guettent.

.La suite dans le prochain billet de Michel Joli: EQUIWOKE seconde partie. Début décembre 2021

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