
L’épidémie de corona virus vient de frapper Poulit ; non dans sa chair d’âne, mais dans sa fragile et naïve crédulité. Voila qu’il m’a réclamé à cor et à cri (et comme tous les ânes, il sait faire les deux en même temps !) un masque pour faire barrage au virus chinois. J’ai cédé en mettant à sa disposition un vieux slip blanc (et propre) qui s’accroche aux oreilles. Il est rassuré et heureux. Il fait rire les poules qui le regardent de côté en se tordant le cou. La seule chose que Poulit n’a pas prévue, c’est qu’il aura du mal à manger et à boire.
Une courte diète plus tard Poulit a mis un terme à cette ridicule mesure de prévention, mais il insista néanmoins pour que je ne m’approche pas de lui à moins de deux mètres, que je ne lui postillonne pas dans le nez et que nous n’invitions pas d’étrangers à la maison. Pas de chance pour mes amis kurdes ! Mon âne redoute les personnes qui viennent d’au-delà de la Méditerranée, ces terres barbares où travaillent encore les ânes et prospèrent toutes sortes de virus.
Je comprends que mon poitevin, soumis à la pression épidémiologique de nos média soit un peu troublé. Avec les menaces de collapsus qui l’inquiète déjà depuis longtemps, il s’interroge sérieusement sur l’avenir des équidés. Cette épidémie le trouble d’autant plus qu’il a tendance à confondre les crises dont notre facteur, son informateur, lui apporte quotidiennement les échos avec La Dépèche: la retraite, les gilets jaunes et surtout le réchauffement de la planète.
LA PLANETE A LA FIEVRE
Après tout, la crise climatique est assez voisine de celle du Corona virus : La planète a la fièvre, elle respire mal et les espèces vivantes s’éteignent dans l’attente d’un traitement adapté.
A y regarder de plus près, la confusion de Poulit est acceptable et porte même un peu d’optimisme :
On peut se moquer de tout –et je ne me prive pas ! mais, sérieusement il me semble que nous ne pouvons rien reprocher à la manière dont s'est organisé la lutte mondiale contre le corona virus, la rapidité de la réaction, la discipline des populations, la mobilisation des transporteurs, les réquisitions, les informations, …Tout cela n’a été rendu possible que par l’existence d’administrations dédiées à la santé publique, par une bonne coopération internationale, une supervision discrète et efficace de l’OMS, sans oublier le rôle essentiel des organisations non gouvernementales et des laboratoires publics et privés.
L’épidémie Corona va bientôt s’éteindre comme un incendie australien et nous aura donné au passage un bon exemple de ce que peuvent faire les hommes hors de toute recherche de profit. Nous compterons plus tard les victimes, probablement en nombre limité au regard des difficultés d'identification du coupable, des multiples formes de propagation, des prises en charge tardives et de l’inexistence de traitement spécifique.
Les morts sont toujours de trop mais, en regardant Poulit, enfin rassuré, brouter avec application l’herbe clairsemée de cette fin d’hiver je me dis que la peur de l' épidémie aura réactivé une solidarité ancestrale qu’il nous arrive trop souvent d’oublier. Un rappel à notre irréductible appartenance au monde vivant au même titre que toutes les autres espèces, pour le meilleur et pour le pire. Une chauve souris ou un pangolin peuvent transmettre à l’homme une maladie contagieuse, juste par cohabitation, aussi facilement qu’un baiser d’adolescent au printemps.
Poulit est effrayé par l’humanité qui transporte à travers le monde, avec ses bateaux de croisière, ses déplacements professionnels et économiques, ses vacances touristiques, ses déplacements humanitaires et des guerres…tout un tas de virus dont chacun n'a pour but que de trouver une cellule hébergeante pour se reproduire à l’infini. La grippe espagnol qui a explosé en 1918 a fait plus de morts que la grande guerre elle même et nous ne pouvons pas faire mine de croire que la corona sera "la der des der".
UNE INSTITUTION MONDIALE POUR LA PROTECTION DU VIVANT
Comparaison n’est pas raison, je sais ; mais si l’organisation, le génie et pour tout dire l’intelligence de l’humanité sont capables de contenir les offensives épidémiologiques aussi graves et brutales en déployant tous les moyens technoscientifiques dont elle dispose, ne peut-elle pas prévenir les conséquences infiniment plus graves de la crise climatique ? Celle-ci ne mérite-elle pas aussi une organisation mondiale dédiée disposant de moyens suffisants et d’une autorité incontestable pour gérer des mesures de surveillance et de prévention et mettre en œuvre les actions nécessaires de réparation, de substitution, de mobilisation et d’innovation sociale et technologique ? Sur ce modèle nous pouvons imaginer une institution dédiée à la protection du vivant dans toute sa diversité. Même l’économie pourrait y trouver son compte par un regain d’idées innovantes et alternatives. Un tel dispositif nécessiterait évidemment de faire des choix budgétaires comme autrefois avec l’entrée en guerre des USA suite à Peal Harbour et, plus tard avec le plan Marshall. Mais pour cela il nous avoir une ambition et un projet unanime, une nouvelle idée du progrès impliquant un fort désir de restauration de notre lien avec la nature.
Réduire les effets de serre c’est bien ; mais renforcer l’unité de notre espèce par un concept nouveau de solidarité avec le vivant synonyme de solidité, de résistance, de créativité et fondé sur une fraternelle communauté de destin c’est encore mieux…et d’ailleurs, l’un ne pourra pas se faire sans l’autre.
En écho, Patrick Tort ajoute *« L’humanité a besoin pour subsister d’une coopération planétaire instruite par une science globale des risques majeurs menaçant la survie de toutes ses populations et de leurs environnements ; l’idée même de frontière nationale devient un handicap pour cette avancée ultime de civilisation que serait une mutualisation complète des données et des solutions par une communauté scientifique mondiale entièrement collaborative et indépendante des intérêts privés.(…) qui élaborerait dans l’urgence un contrat planétaire de survie solidaire fondé sur une science globale des interactions et des compatibilités : une socio-écologie critique. »
Il est urgent d’employer notre intelligence à changer le monde et de trouver en nous la force et le plaisir de censurer nos débordements inutilement activistes et destructeurs. L’humanité a fait une éclatante et mortifère démonstration de sa capacité à changer le monde et l’espèce s’est auto qualifiée de « sapiens » comme pour marquer la fin de l’histoire.
En faisant de l’intelligence des limites* le nouveau credo du progrès, l’espèce humaine donnerait le signal de sa volonté de poursuivre l’aventure en devenant enfin « sapiens-sapiens » comme le suggère Patrick Viveret.** Une aventure qui sera non seulement celle des humains mais aussi celle de la biosphère toute entière rendue possible par une juste compréhension de la complexité du monde.
Michel Joli
*Patrick Tort : https://www.themeta.news/la-civilisation-selon-darwin-valorise-la-cooperation/ L’intelligence des limites, Essai sur le concept d’hypertélie. Edition Gruppen,2019
**Patrick Viveret : intervention au Colloque du Pacte civique Université Toulouse 1 : 30 janvier 2020
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