ALTERNATIVE VITALE (Seconde partie) et fin du confinement (PS)
Il y a quelques années, à la fin d’un débat sur le réchauffement du climat précédé du film de Al Gore, j’ai découvert que beaucoup de participants étaient de l’avis que nous ne devions pas nous sentir responsables et encore moins coupables des difficultés que nous étions en train de créer aux générations futures et que notre CO2 serait leur problème. On ne parlait alors que du changement climatique mais, déjà, à propos de nombreuses dérives de notre société capitaliste on entendait s’élever des voix pour exonérer nos contemporains et ne rien changer à leur mode de vie.
VIVANTS ET NON VIVANTS
C’est alors qu’il m’est venu un questionnement inédit, une idée absurde que j’ai toujours contournée car je la trouvais trop clivante: pourquoi se prendre la tête avec ce qui arrivera à des humains qui ne sont pas encore nés ? Et même s’ils devaient tous mourir ce serait leur fin du monde et non la nôtre. Pourquoi devrions nous nous affliger d’une occurrence incertaine qui concernerait une population de personnes auxquelles nous ne devons rien et desquelles nous n'attendons ni jugement ni reconnaissance posthume.
Provocateur, non ?
CROYANTS ET NON CROYANTS
Certes, les croyants ne se posent pas cette question, pour eux l’humanité est une création globale qui inclut nécessairement toutes les générations et incite à une procréation un peu besogneuse pour fonder et transformer progressivement une espèce en « communauté de foi » titulaire d’un bail dont le terme est inconnu.
Mais pour les non croyants comme moi cela pose un problème car, il faut trouver ailleurs l’origine de notre intérêt pour l’avenir de l’humanité, son destin et son déterminisme (ou ce qui en tient lieu), et la cause de notre sentiment de responsabilité à l’égard de ce qui devrait passer pour des inconnus quasi extra terrestres. Cet intérêt est décuplé par la menace d’un effondrement de notre civilisation humaine et le retour parmi nous des partisans du fléau de Dieu et autres complotistes médiévaux.
DROIT DE PROPRIETE
Tout d’abord il faut constater que notre espèce est bien la seule qui s’inquiète pour son avenir et celui de la biosphère, la seule qui a consacré toute son existence à construire une représentation opérationnelle et rationnelle des réalités inaccessibles du monde. Une capacité d’intervention (devenue prédatrice) sur son milieu pour compenser la faiblesse native d’individus menacés en permanence par la sélection naturelle. Cela ne lui donne pas un droit de propriété mais un avantage qui devient de moins en moins acceptable par une nature épuisée.
SOIF D’ETERNITE
En raison de l’influence métaphysique que toutes les religions ont exercée et exercent encore sur les humains, ceux-ci sont obsédés au-delà de toute raison par l’éternité et toutes ses représentations. Les tombeaux préhistoriques, les momies, la résurrection sous toutes ses formes, les lendemains qui chantent, le Reich pour 3000 ans, et plus près de nous, le néo libéralisme financier qui permet de mettre au futur le poids des dettes contractées au présent (notamment celles qui ont contribué à la dégradation de la biosphère, double peine pour les successeurs !) sans oublier les pyramides, y compris celles du Louvre, qui sont comme des défis du pouvoir adressés au temps. Le trans-humanisme est le dernier avatar de cette obsession. L’avenir fantasmé de notre espèce donne un support formidable à l’illusion d’éternité. Elle prospère grâce à des hommes et des femmes qui en attendent la réalisation sous la forme d’une résurrection pour faire savoir autour d’eux que rien n’est jamais fini… De plus notre projection sur l’avenir ouvre largement les portes aux espérances particulières des puissants et des riches qui confondent le progrès avec la poursuite généalogique de leurs prétentions dominatrices et accumulatrices.
Le rêve d’immortalité de chaque être humain est artificiellement produit, dans toutes les cultures, par des pouvoirs autoproclamés et non pas seulement religieux, qui exercent un habile chantage au conformisme et à l’obéissance. La foi en l’immortalité du corps, voire de l’âme, est une forme d’investissement sur l’avenir, comme une loterie dont les gagnants seraient toujours les mêmes.
Cela explique aussi le caractère paternaliste de cette relation avec les générations futures, une relation dominée par une attitude de chef de famille anxieux de l’avenir et pour qui la jeunesse, quoique relative, implique pour nos successeurs un statut d’enfant. Nous les traitons comme des êtres inférieurs pour lesquels il faut tout prévoir : nous pensons à leur place, nous prévoyons leurs besoins, organisons la vie pour qu’ils ne dilapident pas notre héritage matériel, intellectuel et artistique…Bref, comme si nous avions un droit patriarcal sur eux. Ce sentiment accompagne un pseudo-droit de propriété sur leur être biologique au prétexte que nous leur avons transmis notre génome.
LA FRATERNITE SANS ALTERNATIVE
Tout cela est il suffisant pour aborder une période difficile pour nos successeurs sans compromettre notre propre survie ? Qu’est qui nous permet de tenir ensemble au-delà des fascinations, des mensonges et de la connaissance rationnelle ? qu’est qui fait que l’espèce humaine est la seule à se projeter en permanence dans le futur sans pour autant être missionnée « de l’extérieur » ? Quelque chose qui aurait un rapport avec la conscience de soi que nous partageons avec d’autres espèces, notamment de Primates, mais quelque chose qui va plus loin, qui permet l’échange de nos représentations par le langage, symbolique et verbal, et les instincts sociaux qui nous ont permis d’organiser nos vie en civilisation.
Les hommes sont bourrés de défauts, ils sont prédateurs, égoïstes et prétentieux. Ils se sont mis en tête qu’ils possèdent l’univers et ont écrit de nombreuses fables pour s’en convaincre de génération en génération. Mais ils ont une arme secrète, cette chose indéfinissable que nous appelons Fraternité. La fraternité qui rend compte de notre aptitude à la solidarité au sein de notre unique espèce d’hominidés répandue sur terre mais aussi de la solidité de sa construction dans le temps. Notre espèce animale génère sa créativité, sa diversité et ses rapports solidaires par un dialogue permanent avec la complexité de la vie. Cela ne peut lui être retiré et, s’il existe une nature de l’homme, c’est bien cette propriété globalisante de l’espèce qui ira en s’affirmant.
En chacun de nous le sentiment de fraternité, qu’une mauvaise analogie nous fait confondre avec la parenté mais qui va bien au-delà, nous apporte une capacité exceptionnelle d’identification à nos contemporains mais aussi d’entrer en relation fantasmée avec les hommes et les femmes non vivants que nous ne connaîtrons jamais. Ils sont d’autres nous-mêmes et entretiennent à ce titre notre attraction pour le futur. En fait c’est le sentiment de fraternité qui permet à notre imagination de nous présenter d’autres mondes et d’autres modes de vie, de croire et d’aiguiser notre curiosité pour d’autres humains qui nous attendraient ailleurs, dans le futur comme dans le présent.
C’est surtout grâce à la fraternité que la cohérence de l’humanité reste insensible à son apparent désordre dû au décalage des vies et des espérances, aux pyramides d’âges enchevêtrées, à la dispersion dans le temps et l’espace des naissances et des morts…Indifférente aussi aux classifications démographiques malthusiennes qui font de la génération une unité de compte, bien loin des cycles de vie semblables aux vagues qui se succèdent, individuelles par leur forme et identiques par leur substance océanique et leur éternel battement.
Les humains ne peuvent pas se détourner de l’avenir, ils en ont un besoin vital. En revanche, ils doivent comprendre que leur avenir, c’est aussi celui du vivant dans son ensemble ; un vivant qui nous porte et nous supporte. Tous les projets de changements, d’évolution, de transformation, tout ce qui concourt à notre bien-être doit être mis en rapport avec les besoins vitaux de la planète. C’est par fraternité et non par charité paternaliste qu’il nous faut veiller à mettre un terme au pillage de la planète avec pour mots d’ordre : « qu’ils se débrouillent » ou « après moi le déluge ! » Face à cette attitude dominatrice qui est sans doute l’expression d’un désir ancestral nous ne pouvons opposer que la solidarité fraternelle, laquelle devrait s’étendre de proche en proche au monde animal et à la Nature tout entière. MJ
P S : FIN DU MOIS, FIN DU MONDE...FIN DU CONFINEMENT
Après deux mois de confinement vécus par certains comme une retraite monacale, les français réalisent que dans bien des domaines ils ont été manipulés. C’est la pandémie elle-même qui a mis au grand jour l’un des chantiers cachés du capitalisme néolibéral révélant la déconstruction de la santé publique dans tous les secteurs non rentables. Les pouvoirs (publics ?) n’ont pas prévu cette révélation prématurée et parlent d’impréparation pour faire porter la responsabilité à leurs prédécesseurs. Or, il est évident qu’une « préparation » aux situations de risques majeurs n’était pas à l’ordre du jour…alors que jamais en temps de paix les risques majeurs naturels, technologiques et anthropiques n’ont été autant prévisibles. Mais ce serait un retour en arrière inadmissible pour les libéraux qui, partout dans le monde veulent capter les sources de profit et laisser à des administrations cachexiques le soin de s’occuper des pauvres, des vieux, des maladies orphelines, des handicapés, des malades mentaux...
Il est devenu indispensable de prendre en exemple cette déconstruction ratée pour mettre en échec toutes les autres manœuvres de privatisation libérale, y compris pour les retraites, que les assurances et les fonds de pension guettent avec avidité. C’est pourquoi nous pouvons prévoir et souhaiter que toutes les victimes du Corona virus s’associent à toutes les « opérations barrières » destinées à faire refluer les entreprises capitalistiques dans leur prétention de nous dicter un mode de vie dévastateur et injuste. Il n’y a pas à choisir entre la fin du mois et la fin du monde. Au contraire, c’est un unique objectif qui remet en cause le culte du court terme et de la recherche des meilleurs rendements, au profit de projets socialement responsables et prioritairement dévolus à la restauration et à la protection des humains dans le respect de la nature. Nul doute que les confinés d’hier, solidement vaccinés contre la stupidité des temps modernes, sauront nous rejoindre dans cette nouvelle protestation. MJ