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Billet de blog 11 août 2022

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CLIMAT : L’ADAPTATION ET SES LIMITES première partie

Cependant l’adaptation, même considérée comme une attitude de protection logique, peut aussi être la pire des conduites qui consiste à rendre supportable voire acceptable le « nouveau climat » et, par voie de conséquence, à retarder les mesures radicales qu’il nous faut prendre pour en finir avec les causes de la dérive climatique.

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Michel Joli 11 août 2022

CLIMAT : L’ADAPTATION ET SES LIMITES première partie, version corrigée

L’été 2022 aura été le temps historique d’une large prise de conscience populaire du péril climatique. La souffrance bien réelle due aux canicules en répétition, les incendies spontanés dus à la sècheresse et les événements météorologiques extrêmes ont assombris les perspectives d’avenir par un sentiment d’impuissance collective. Les responsables politiques, grâce aux péripéties électorales de l’année se sont enfin exprimé avec pour principal mot d’ordre en forme de programme : il faut nous adapter !

Il est évident que le climat est, depuis longtemps une source infinie d’adaptations tant en ce qui concerne la protection individuelle, l’habitat et l’agriculture que l’organisation sociale. Mais il serait coupable de penser que l’adaptation, dans le cas précis de cette transformation globale du climat, soit une réponse suffisante. L’adaptation a pour effet essentiel de transformer une prise de conscience en action et de faciliter une mobilisation individuelle et collective. C’est la seule attitude qui permet de s’opposer au déni de réalité en créant les conditions d’un engagement rationnel et unanime en faveur d’un changement profond des modes de vie. Elle permet une d’adopter une attitude positive, créatrice et ouverte sur l'avenir et d’accepter les mesures stratégiques de plus en plus contraignantes contre les causes de la détérioration du climat.

Cependant l’adaptation, même considérée comme une attitude de protection logique, peut aussi être la pire des conduites qui consiste à rendre supportable voire acceptable le « nouveau climat » et, par voie de conséquence, à retarder les mesures radicales qu’il nous faut prendre pour en finir avec les causes de la dérive climatique.

En effet les mesures d’adaptation au climat ont aujourd’hui pour seule ambition le maintien des modes de vie du court terme selon les règles économiques en vigueur. Elles se traduiront par une inévitable création d’un marché mondial de l’adaptation infiniment plus rémunérateur que la lutte radicale contre les énergies fossiles, les pollutions et les gaspillages. Cette orientation consumériste comparable au greenwashing « bio » sera difficilement évitable.

Qu’on le veuille ou non, l’adaptation risque de profiter surtout à ceux qui sont les véritables responsables des causes du réchauffement climatique et qui nous ont fait perdre déjà plus de 30 ans dans une prise de conscience consciencieusement refoulée et habillement dissimulée par des mensonges et des atermoiements sans fin, jusqu’à financer des études académiques biaisées et rassurantes comme ce fut le cas pour le tabac. Comment peut-on leur faire confiance ?

L’hypocrisie économique

Le scorpion, en dépit de sa promesse, a tué la grenouille qui avait accepté de le prendre sur son dos pour traverser une rivière : « je suis désolé lui dit-il en guise d’oraison, mais c’est dans ma nature, je n’y peux rien changer… » fable africaine.

Il est dans la nature du libéralisme de rechercher sans cesse de nouvelles sources de profit et de coloniser tous les secteurs de la vie économique, sociale et culturelle par une neutralisation absolue des principes démocratiques.

Or, les entreprises supranationales ont beaucoup à gagner avec les mesures d’adaptation surtout si elles s’abstiennent simultanément de lutter contre les causes du réchauffement. En effet le maintien de l’exploitation des énergies fossiles permettra longtemps encore de générer d’importants profits enracinés dans un mode de vie garant de la pérennité des enrichissements capitalistiques (transport, industries des polymères, industries de transformation, textiles et agroalimentaires, de chauffage et climatisation, de défense et de conquêtes ...).

Les Gouvernements quant à eux ont longtemps refusé de regarder la maison qui brûle. C’est ce que leur reprochait Jacques Chirac, sur les conseils de Monsieur Hulot, lors d’un déplacement officiel en Afrique. Les choses n’ont pas beaucoup changé. Aujourd’hui ils regardent tous bruler la maison, mais ne prennent aucune des dispositions nécessaires pour éteindre l’incendie. Tout se passe comme s’ils avaient fait le choix de ne pas lutter contre les causes structurelles du réchauffement au profit d’une rationalisation exclusive de l’adaptation. Est-ce leur façon de s’adapter eux aussi à une situation qui dépasse les limites de toutes les crises systémiques traversées dans le passé ? La seule façon de taire leur indifférence et/ ou leur impuissance consiste à développer des stratégies de sauvetage, de tenir un discours de précaution et de fixer l’attention sur le court terme sans s’engager dans une lutte radicale contre les causes du réchauffement de la planète. Les dirigeants nous présentent un agenda d’adaptation comme une forme interventionniste de modernisation du mode de vie actuel avec l’espoir d’éteindre la peur du futur.

Nous apprenons en ce mois d’août 2022 que le Sénat américain s’est prononcé en faveur d’un investissement massif pour le climat et la santé avec pour objectif une réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030. Il s’agit surtout d’inciter la population à être plus vertueuse, notamment en hâtant la disparition des véhicules thermiques. Ces mesures sont clairement destinées à lutter à la fois contre les causes du réchauffement et ses conséquences. Il faut saluer cette décision prise a une très courte majorité (une voix) qui traduit la sortie des USA d’un trompisme stupide et trompeur. Une fois encore il faut bien admettre que l'Amérique est capable de censurer son propre mode de vie rendu possible par une surconsommation quasi exclusive d’énergie fossile. Au cœur de la canicule en cours cet été, c’est plutôt une bonne nouvelle. C’est sans doute à cette décision que le président Biden attachera son nom. Encore faudra-t-il que cette décision soit suivie d’effet dans un pays cruellement divisé par un populisme ravageur hostile à toute remise en cause de ses fondements constitutionnels qui protège à l’excès la liberté d’entreprendre, de produire et de consommer.

Accepter aveuglément une politique d’adaptation c’est oublier qu’il n’existe aucune raison de penser à un repli spontané de la crise climatique qui progresse sans cesse et ne présente aucun signe de réversibilité. A ce train, l’adaptation finira bientôt par connaitre ses limites en raison de la multiplication des catastrophes naturelles et technologiques majeures et, au quotidien, en raison d’un épuisement économique, d’une lassitude psychologique ou d’une tentative de sortie de crise par la violence.

Faire de l’adaptation une priorité sans consentir le moindre effort pour neutraliser les causes du réchauffement par effet de serre, conduit à détourner des moyens et efforts sur le court terme et n’a pour seul effet que de créer un marché productif parasite dominé par le profit.

C’est aussi prendre le risque que l’adaptation se concentre sur des populations dominantes qui poursuivent le rêve post-humaniste d’émergence d’une nouvelle espèce techno-scientifique. La mise à mal en cours des valeurs humanistes au profit de diverses formes de suprématismes est à cet égard très inquiétante.

Nous n’avons pas à choisir entre deux modes d’intervention complémentaires, au risque de les rendre concurrentes et d’en paralyser les effets. L’adaptation est évidemment indispensable à la protection mais elle doit naturellement s’intégrer dans les stratégies de neutralisation des causes du changement climatique. Pour que cela soit bien clair il est préférable de parler d’adaptation préventive par analogie avec les vaccinations qui protègent chaque individu tout en contribuant de façon décisive à l’extinction d’une maladie.

La suite dans mes deux prochains billets:

-Que faire des scientifiques?

-Comment se tirer d'affaire? l'adaptation préventive. Pédagogie d'anticipation et de motivation, l'intelligence des limites

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