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Billet de blog 14 mars 2020

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Coronamorphose

Métamorphose : refaire ce qui a été défait en révisant la relation des humains avec la complexité de la nature.

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CORONAMORPHOSE

Puisque nous sommes confrontés au début de la métamorphose de la civilisation humaine, puisque nous ne pouvons que tourner en rond, puisque nous avons enfin le temps de penser aux choses de la vie et surtout à leur sens, puisque nous avons la plus belle démonstration de notre communauté de destin, puisque, enfin , (et jusqu’à présent) le désespoir n’est pas au rendez- vous… je me suis livré à une petite réflexion philosophique dans la poursuite de ce que j’ai écrit ici au sujet de l’hypertélie et de son bon usage.

Il y a plus d’un million d’années

Les naturalistes décrivent l’hypertélie comme un phénomène de croissance extrême qui transforme un avantage évolutif en désavantage au point d’accélérer la disparition du porteur. Patrick Tort *nous propose de considérer la civilisation humaine comme une hypertélie indispensable pour compenser la faiblesse native de l’homme.

Tout a commencé tranquillement il y a plus d’un million d’années par l’émergence de la vie sociale, la protection des faibles et le développement progressif d’une propriété décisive : l’intelligence. Arrivé au stage sapiens, les choses se sont accélérés en raison de la grande capacité de l’homme à modifier son environnement avec pour effet de faciliter la croissance et le bien-être de l’espèce mais aussi son caractère prédateur confirmé et encouragé par toutes les religions qui proposèrent aux humains de se servir largement des ressources naturelles animales et végétales comme dans un généreux open bar.

Cette adaptation par la transformation de l’environnement est devenue franchement hypertélique il y a deux siècles avec la civilisation industrielle et le capitalisme. Grâce aux énergies nouvelles notre environnement s’est modifié intensément, notre mode de vie aussi. Mais cette transformation a eu pour effet de modifier l’écologie des autres espèces qui n’avaient pas les capacités cognitives et intellectuelles leur permettant de résister et que la nature ne put sélectionner utilement en raison de la lenteur du processus darwinien.

En fait, la capacité d’aménager son environnement est universelle. Toutes les espèces en sont pourvues. Entre l’homme et les autres espèces il n’y a qu’une différence de degré. Ce qui est trompeur c’est le sentiment que l’homme est un cas unique tant cette singularité est affirmée.  L’absence de toute autre espèce comparable à ce point de vue nous fait oublier qu’il y a eu dans le passé de nombreuses espèces connues ou inconnues d’hominidés qui ont tenu des positions intermédiaires. Elles ont toutes disparu victime de…l’espèce sapiens à la fois survivante et gagnante de la conquête du monde.

 Le rapport des humains avec les autres espèces.

Le rapport de l’homme avec les autres espèces n’est pas analysable espèce par espèce ou catégorie par catégorie comme le propose le philosophe Francis Wolff**. Il distingue les animaux familiers qui auraient une relation contractuelle affective avec l’homme, les animaux domestiques (élevage) qui produiraient pour l’homme et seraient protégés en retour(?) Les animaux sauvages auxquels nous confions le soin de maintenir de grands équilibres naturels par la biodiversité. Il semble également négliger la part végétale du vivant indispensable au principal équilibre de la nature (biosphère).

Son raisonnement implique une segmentation du monde animal tout à fait nécessaire aux naturalistes pour décrire la diversité de ses filiations mais qui porte un coup fatal à l’unité du vivant que l’intelligence de l’homme doit privilégier en raison de l’impact de son activité sur la nature toute entière (biosphère).

Ce qui compte c’est d’appréhender globalement le rapport de toute l’humanité avec la totalité du vivant. Ce ne sont pas les relations bilatérales des espèces vivantes avec les humains qui ont de l’importance mais la permanence de tout ce qui constitue l’équilibre dynamique du vivant, la solidité (pour de pas dire la solidarité) des modes de vie, leur complémentarité, les creux et les bosses des individus, l’adaptation des espèces aux climats, aux reliefs, leur codéveloppement et leur compétition. Ce qui est important, c’est de maintenir et même d’accroitre la complexité du tout ! Cela n’exclut pas une réflexion sur l’influence de l’espèce humaine comme un élément d’environnement pour les espèces animales.

Car l’espèce humaine est prédatrice de deux façons :

-Par l’exploitation insensée des ressources naturelles détournées pour le profit d’une minorité au détriment des besoins de tous,

-Mais aussi par une déstructuration mortelle de l’ensemble du vivant dont nous ignorons les règles d’unité en dehors de l’évidente complexité qui en est la principale caractéristique et que nous nous obstinons à vouloir simplifier et virtualiser à défaut de comprendre.

Tout ce qui « simplifie » le vivant lui est toxique et tout ce qui renforce sa complexité lui est favorable.

L’homme qui a su si efficacement adapter le vivant à ses besoins au point de l’épuiser, doit s’obliger aujourd’hui à renforcer la cohérence du vivant, sa densité et sa vigueur.

L’intelligence de l’homme est le seul recours

L’espèce humaine se distingue du vivant par sa capacité prédatrice mais elle ne s’en détache pas pour autant. L'hypertélie qui lui confère un statut particulier doit poursuivre sa spirale mobilisatrice pour refaire ce qu’elle a défait, reconstituer et enrichir le vivant.

Ce n’est pas une affirmation déterministe, l’homme n’a été missionné pour cela-ni élu !- . Il a seulement envie de vivre et réalise brutalement qu’il doit sauver le vivant pour se sauver lui-même. L’hypertélie lui a permis de développer ses capacités de perception de compréhension et de représentation du monde et d’établir un dialogue permanent avec la nature pour prélever ce qui est nécessaire à la satisfaction de ses besoins et désirs et aussi, malheureusement pour gaspiller ou accumuler des biens et richesses.

L’Homme est condamné à devenir le jardinier de la terre avec des principes et des ressources nouvelles issues des sciences humaines, sociales, physiques et numériques et le secours de l’Intelligence artificielle. Il sera en effet très difficile d’acquérir les connaissances utiles et surtout de les mettre en œuvre au profit de tous sans le recours à l’IA notamment pour appréhender les conséquences prévisibles et les limites de nos activités.

La tentation sera en effet très forte pour tous ceux qui constituent « l’élite » actuelle de l’humanité (par la richesse, le pouvoir, la prédation et l’exploitation) de construire grâce aux artifices de l’intelligence une nouvelle civilisation de trans humanistes à partir d’un petit nombre d’humains technologiquement mutants.

Le clivage de l'humanité en deux espèces au destin différent est sans doute une utopie pour science fiction mais si on peut en douter il ne faut pas en revanche douter du pouvoir destructeur des imbéciles qui souhaitent prendre cette direction. Comme dans les manifestations il faut s'y opposer "tous ensemble"...

*   L'intelligence des limites, Patrick Tort, 2019 Gruppen éd.

** Francis Wolff, Philosophe France inter vendredi 13 février, Plaidoyer pour l’universel. Fonder l'humanisme,édition A. Fayard, 2019, 285 p.

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