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Billet de blog 16 mai 2020

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1914, UN ETE PRECURSEUR ?

Ce récit est celui d'une obsession face à la désinformation et à l'indifférence du peuple:"Comment faut-il leur dire?, comment les convaincre? " c'était la même obsession que celle de Jaurès. Car le déni est aussi une source de profit pour tous ceux qui vivent de la surconsommation généralisée des biens communs du vivant et s'appliquent avec sollicitude à entretenir l'idée d'un progrès infini

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 1914, UN ETE PRECURSEUR ?

Mon confinement m'a donné l'occasion de faire quelques relectures que j'avais mises depuis longtemps de côté. C'est ainsi que j'ai repris "les Thibault" *dont je vous avais parlé de mémoire dans un billet précédent. J 'y reviens donc car c'est une oeuvre qui mérite un arrêt sur image depuis notre prise de conscience récente des périls qui nous menacent.

Je recommande tout particulièrement le tome 3 qui raconte au jour le jour l'été 14. Il s'agit de l'histoire de Jacques un des deux frères Thibault, un révolutionnaire convaincu sur un fond bourgeois et profondément pacifiste.

Engagé politiquement il vit dans une communauté de pensée avec d'autres révolutionnaires européens à Genève dans des conditions trés austères. Il vomit le capitalisme. Il est convaincu que le risque de guerre est le fait des industriels et des sociétés d'armement, plus encore que des alliances internationales organisées en menaçante cascade.

Bien qu'il ne soit pas activiste, au sens violent du terme et contrairement à certains de ses amis, Jacques passe pour un intellectuel dangereux car il se déplace beaucoup en Europe. Quand il est à Genève il fréquente des camarades avec lesquels il a de trés passionnantes conversations. Tous ne sont pas d'accords sur l'analyse géopolitique, sur l'issue de la crise, sur l'intérêt stratégique et politique d'une guerre et surtout sur les moyens à employer pour stopper cette course vers une apocalypse, annoncée mais pas entendue.

Ce récit est celui d'une obsession face à la désinformation et à l'indifférence du peuple :"Comment faut-il leur dire?, comment les convaincre? " c'était la même obsession que celle de Jaurès.

Ce tome 3 s'achève sur l'assassinat de Jaurès et l'effondrement de tous les espoirs des européens pacifistes. Jacques disparaît quelques heures avant le début des hostilités dans une ultime et tragique mission de propagande à l'adresse des soldats en route pour le front. "Vous voilà aujourd'hui face à face, avec des balles dans vos fusils, stupidement prêts à vous entretuer...".Dernière ligne écrite de sa main dans son dernier manifeste.

ANALOGIE 1914/2020

Pourquoi je vous raconte cela? Vous l'avez compris, c'est parce qu'il y une très forte analogie avec la situation que nous connaissons aujourd'hui. Certes il y a une différence de fond puisque nous ne sommes pas à la veille d'une guerre armée contre une Nation ennemie. Il ne s'agit pas aujourd'hui de décider si nous envoyons des millions d'hommes se faire massacrer dans les tranchées de la Somme et de Verdun.

Pourtant l'enjeu est de taille... c'est une menace majeure pour l'humanité toute entière.

Ne suffirait-il pas de prendre en compte ce risque et d'apporter à la terre les moyens de restaurer son équilibre naturel? N'est ce pas la seule réponse à une question vitale qui concerne notre espèce entière et qui devrait mobiliser toute notre énergie et notre intelligence? Seulement voilà, le risque s'approche en silence, comme l'astéroïde des dinosaures, et peu nombreux sont les humains qui le voient. Parmi eux beaucoup préfèrent mettre en doute sa trajectoire plutôt que s'interroger sur les conséquences prévisibles de son impact.

"Comment faut-il leur dire, comment les convaincre...?"et puis, bien sûr, que faut-il faire" remplacer l'ignorance par la panique? Prendre des décisions qui bousculent les modes de vie et les habitudes, parler sans cesse de la gravité de la situation? Ne rien faire et réagir au coup par coup, à la demande, comme pour un traitement symptomatique. Ou bien, enfin, déclencher une "mobilisation générale" comme dans l'attente d'un incertain séisme?

LE DENI

Comme Jacques nous sommes paralysés par le déni des citoyens, des responsables politiques, de la haute administration et des leaders d'opinon majoritaire. Les raisons de ce déni sont complexes et je ne veux pas ici m'aventurer dans l' énumération de ses caractéristiques psychosociologiques.

Mais le déni est aussi une source de profit pour tous ceux qui vivent de la surconsommation généralisée des biens communs du vivant, pour ceux qui vivent de la rente pétrolière, pour ceux qui parlent du progrès et de la croissance, la main sur le coeur, mais en s'interdisant d'ajouter le fameux "pour tous" auquel Danielle Mitterrand tenait tant quand elle parlait de la gratuité de l'eau.

C'est le même problème aujourd'hui qui s'est démultiplié dans tous les secteurs de l'économie. Mort à ceux qui ne peuvent pas payer! Et pourtant la crise sanitaire offrait à nos dirigeants une belle occasion de montrer que l'égalité et la solidarité étaient au rendez vous d'une catastrophe sanitaire majeure qui aurait pu être aussi bien climatique que numérique. C'est l'impréparation qui fut au rendez-vous, comme si personne n'avait, depuis 30 ans, donné l'alerte d'une croissance infinie dans un monde fini.

PREVENIR OU GUERIR?

La prévention nécessite peu d'investissement matériel et s'organise par étapes au long cours. Elle fait appel à l'éducation et la conscientisation des risques, à la solidarité et à l'organisation de la puissance publique. Cette stratégie mobilisatrice en permanence a pour effet de donner un sens commun -entre autre- à la vie collective et donc de stimuler la responsabilité individuelle.

 Mais les Etats inféodés aux règles du productivisme à outrance préfèrent de loin guérir plutôt que prévenir. La prévention immobilise des moyens et des actifs, tandis que la crise, présentée comme une guerre est une source de revenus considérable "quoiqu'il en coûte" autorisant l'endettement, la production en masse de produits industriels et de services privés, la reprise en main des humanistes et le développement des mesures sécuritaires d'ordre public, elles mêmes génératrices de profit. Ainsi nous voyons que notre principal ennemi, ce n'est pas telle ou telle menace écologique qui nous tomberait dessus comme un astéroïde, mais tous ceux qui en attendent aujourd'hui une nouvelle source d'ordre et d'enrichissement. Cela est valable pour tous les pays et révèle à l'évidence que le néolibéralisme se met en situation de tirer de nouveaux profits à l'occasion des crises qui ne manqueront pas de se reproduire. La préparation de ces crises est du même ordre que le surarmement des Nations en prévision d'une guerre. Du même ordre aussi que le renoncement aux stratégies de prévention. Nous voyons bien qu'elles ne se mettent pas en place, notamment pour ce qui concerne la lutte contre le réchauffement du climat.

Mais pour que tout cela fonctionne bien il faut à tout prix éviter des situations de panique, de renoncement ou de fatalisme. C'est simple, il suffit d'entretenir le déni, l'idée qu'il n'y a rien de tragique et que le progrès par la croissance permettra bientôt de trouver, dans le calme et la discipline, une réponse à tous ces problèmes.

Le déni est l'allié objectif du profit car il permet à l'économie libérale, sous couvert de sollicitude, de bousculer les obstacles que la démocratie lui oppose avec de plus en plus de vigueur. Le désordre est lui même source de profit qui offre une occasion inespérée de reprise en main toujours plus productive et totalitaire.

Et c'est contre ce déni que Jacques Thibault se battait déjà dans le mois qui précédait la grande guerre.

NE PAS BAISSER LES BRAS

Heureusement l'adversaire est aujourd'hui victime de sa logique et le monde fini devient 'naturellement' (ou pas!) un allié de l'humanisme universel. Il imposera nécessairement au capitalisme les limites indispensables à l'établissement d'un équilibre tolérable entre la restauration et la protection de la nature, et la juste répartition de ses ressources. D'autres alliés pourront y contribuer puissamment si nous leur assignons une utilisation éthique sans faille. Cela vaut essentiellement pour les ressources numériques dont les capacités sont les plus faciles à mobiliser et à contrôler, il suffit de le vouloir. Mais il faut aussi compter sur le partage qui s'impose comme une stratégie de développement loin des mièvreries charitables des plus riches. Elles se développent avec effronterie et progressent chez les vrais gens, ceux qui ouvrent les yeux sur le monde nouveau. Enfin, la fraternité trouve peu à peu sa place de principale caractéristique de l'espèce humaine sans référence aux valeurs conjoncturelles, religieuses, secteuses ou politiques qui lui ont fait tant de mal. Nous ne sommes pas désarmés, loin de là, mais ici aussi il nous faut trouver d'urgence les chemins d'une mobilisation nouvelle.

Jacques Thibault n'avait bien sûr aucune idée de l'écologie et la nature était pour lui essentiellement un spectacle gratuit offert à la satisfaction esthétique des hommes. La révolution sociale et radicale dont il rêvait avec Proudhon et Marx s'est perdue dans les idéologies totalitaires fondées sur un égalitarisme uniformateur qui a stérilisé la liberté d'être: être un individu différent, être porteur d'une représentation du monde personnelle, être créatif pour soi-même comme pour les autres, être libre de croire ou de ne pas croire, être libre de choisir d'être représenté mais aussi de participer personnellement à la vie de la cité....et faire des choses "en commun" sans autorisation préalable. Ne baissons pas les bras, le moment est venu de passer à l'acte, fort de l'expérience que nous a apporté la crise sanitaire.

DEUX MODES D'ACTION

Nous ne disposons de deux moyens d'action:

le premier c'est la prise de conscience qui est le préalable à toute action collective pour faire pression sur les décideurs politiques afin qu'un traitement prioritaire du désordre écologique soit appliqué dans tous les secteurs de la vie économique et sociale.

S'il est avéré que le néolibéralisme crée des injustices sociales et économiques dont il a d'ailleurs besoin pour prospérer, on oublie trop souvent que nous nous trouvons dans un système de double peine. Non seulement parce qu'il détourne le capital d'intelligence de l'humanité à son profit pour satisfaire une demande qui repose artificiellement sur l'émerveillement et le désir. Mais aussi parce que les scientifiques sont empêchés de ce fait, d'exercer leur intelligence sur d'autres terrains que ceux de la consommation, de la domination et de la guerre. Nous devons les tenir quittes des dérives passées au service de l'économie mondialisée et leur apporter les moyens d'une vocation tournée exclusivement vers la satisfaction des besoins matériels, culturels et intellectuels par la croissance des connaissances scientifiques, notamment dans le domaine des sciences du vivant.

Il est indispensable pour cela de montrer que la lutte contre le déni est aussi générateur de nouvelles formes de plaisir: plaisir de comprendre et d'expliquer la réalité du monde, plaisir de remettre les pieds sur terre et d'en finir avec la société hors sol des productivistes, plaisir d'agir en commun, plaisir de s'investir pour le bien être des générations futures, plaisir, enfin, de convaincre ceux qui s'obstinent à croire contre toute évidence que la croissance que nous avons tant aimée profite également à tous.

Le second moyen dont nous disposons pour mobiliser l'effort collectif consiste à apporter notre aide et notre assistance à toutes les initiatives collectives-le plus souvent associatives- qui conduisent à des réponses alternatives, à des combats nouveaux, à la mise en oeuvre d'idées originales qui constituent ensemble le véritable laboratoire de la société humaine. Un laboratoire qui combine la connaissance scientifique et son application raisonnée, l'éthique de vie et la juste répartition des richesse. Son objectif principal, le bonheur pour tous, ne doit pas être au seul profit des générations futures mais aussi à celui des générations vivantes, bien vivantes, du présent. Notre bonheur présent, celui des hommes et des femmes en vie aujourd'hui ne doit pas être un objectif égoïste construit sur un endettement pénalisant pour ceux qui ne sont "pas encore" vivants. Au contraire nous devons considérer que le bonheur présent est une nécessité absolue pour préparer un avenir qui ne soit pas enraciné dans les dogmes boulimiques responsables de toutes les souffrances et des injustices du monde. Nos enfants, nous le voyons bien depuis le printemps des jeunes l'an passé, réclament du bonheur pour tous à commencer pour eux mêmes et ils ont raison. Etre heureux autrement sans contribuer au malheur des autres est un objectif à la portée de tous. Là encore il faut éveiller et encourager toutes les initiatives alternatives qui promettent non seulement un changement dans nos pratiques de production, de consommation et de coexistence culturelle, mais aussi un changement de nous mêmes, de nos désirs, de l'emploi de notre temps, de notre rapport à la nature et aux Autres.

MJ

* Les Thibault L'été 14 ; Roger Martin du Gard (Gallimard 1955 Le livre de poche)

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