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Billet de blog 21 novembre 2022

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QUI PENSE ENCORE A IVAN ILLICH?

Par une curieuse conjonction, la COP17 a précédé  de quelques jours l’anniversaire de la mort de Ivan Illich à Brême en Allemagne il y a 20 ans. le 2 décembre.

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QUI PENSE ENCORE A IVAN ILLICH, ?

                   La  COP 27  a fermé ses portes en Egypte  après avoir fait une fois encore la démonstration de son impuissance . Aucune stratégie collective n’a pu émerger en réponse aux menaces croissante d’une  situation climatique critique. Nous avions cru à l’issue de la magnifique COP 21 de Paris que l’universalité des décisions se traduirait par une universalité des actions et que nous  entrions dans une phase irréversible et déterminée de prévention et de réparation sous la pression raisonnable d’une volonté démocratique.  Las, rien n’a été fait et la crise s’est enflée pour une seule et constante raison : le dogme du progrès infini. Nous savons tous aujourd’hui que les grandes entreprises multinationales et les milliardaires actifs et rentiers pèsent un poids économique qui écrase toutes manifestations du pouvoir démocratique.

                        Celui-ci, qui aurait dû être l’aboutissement de tant de révolutions et de guerres, est réduit aujourd’hui à la seule représentation d’un avenir inaccessible. Seuls les plus riches peuvent encore faire mine de croire qu’ils sont libres et, qu’à leur image, les pauvres peuvent, librement, devenir riches. Il en va des peuples comme des personnes dont la diversité ne saurait résister à leur suprématisme technoscientifique et contre humaniste.

                        C’est cette conviction qui  a paralysé encore  une fois la COP, même si les mots étaient choisis pour en atténuer le sens. C’est à juste droit que les pays pauvres, c’est-à-dire une majorité d’hommes et de femmes durement condamnée par le réchauffement climatique, demandent aux plus riches de s’engager à leur cotés pour des mesures d’adaptation et, par conséquent de protection, indispensables à leur survie, là même où ils vivent. Une revendication raisonnable si nous la rapportons à tous les prélèvements de richesses naturelles (y compris les hydrocarbures et les terres rares) effectués dans les pays du sud pour pourvoir au développement des désirs des uns au détriment des besoins des autres.

                           Pourtant la satisfaction de cette revendication par les pays du nord devrait leur fournir un prétexte « humaniste » au refus d’accueillir des réfugiés « climatiques »… Ils n’en éprouvent même pas le besoin car la rigueur de nos souverainistes et populistes va beaucoup plus loin , nous avons pu la mesurer avec l’errance de l’ocean viking et l’annonce d’un bilan de 3000 migrants noyés en méditerranée  en 2021.

                              Non seulement ils souhaitent imposer leur « marché » de l’adaptation aux plus pauvres mais ils exigent des pays du sud qu’ils se  joignent à la lutte contre les causes initiales du réchauffement par une drastique limitation de l’usage des énergies fossiles et par la création de puits de carbone naturels, c’est-à-dire par la (re) forestation des déserts….

                          Quelle est cette hypocrisie qui vient obscurcir notre raison quand nous apprenons que les pétroliers dans le même temps et une parfaite unanimité refusent de suivre les recommandations de la COP 21 et des accords de Paris de 2015 ? Et quand on découvre que les pays riches et climatiquement modérés ne font rien pour améliorer la décarbonation de l’atmosphère par l’entretien de leurs forêts et leur extension pour remplacer des pâturages émetteurs de Gaz à effet de serre.

                           Tous les progrès réalisables par cette voie profitent à la terre entière, quel que soit la zone géographique ou s’effectue la capture de CO2. Il est évident que les pays du nord doivent montrer l’exemple avant d’imposer aux pauvres le soin de réduire le taux de CO2 dans l’atmosphère au-delà de leur propre production dont on ne voit pas, d’ailleurs comment ils pourraient se passer. 

                           Comme toutes les organisations internationales, la COP en dépit des bonnes volontés qui animent les représentants de la société civile et de la justesse de leurs revendications, ne peut se défaire de l’imperium économique qui domine ses travaux de deux façons : d’une part par le souci de ne pas s’engager à fond perdu dans des actions de solidarité sans retour géopolitiques, d’autre part ne pas contribuer au développement de contrepouvoirs écologiques qui remettraient en cause les fondements du libéralisme économique.

                             Par une curieuse conjonction, la COP17 a précédé  de quelques jours l’anniversaire de la mort de Ivan Illich à Brême en Allemagne il y a 20 ans. le 2 décembre.  Comme il est coutume de bruler ses idoles ou de tuer le père, il me semble honnête de rappeler ici l’œuvre prémonitoire de cet homme avant qu’elle ne soit réduite définitivement en cendres. Ivan Illich fut en effet dans les années 70 et pour toute une génération de jeunes en quête de nouvelles formes d’engagement, le théoricien et pédagogue pluridisciplinaire d’un urgent changement de mode de vie. Il est devenu en quelques années un maitre à penser universel et fugace par l’évidence d’une critique radicale des principaux piliers de la modernité productiviste :

                 - l’encombrement des transports dont il démontre le coût des nuisances et des effets pervers à long terme,

                 - l’effet ralentisseur de la vitesse, 

                 - l’effet corrupteur de l’énergie utilisée sans modération et sans équité

                 - le totalitarisme des politiques de santé qui « exproprient » l’homme hors de la Nature,

                 - la vanité des système éducatifs qui sacrifient l’épanouissement des enfants sur l’autel d’un l’apprentissage professionnel et consumériste précoce …

                       L’ensemble de son œuvre supporte une forme unique et universelle de mode de vie qui accorde aux valeurs immatérielles de créativité, d’imagination, de sobriété et de partage, une place éminente et dominante sur la productivité économique : La convivialité. Il nous appelait à sa réalisation avant que la croissance qui affaiblit notre civilisation, finisse par la tuer.    Ecoutons Ivan Illich ( La convivialité, ed Le seuil, 1973- 160 p)  « Je crois que la croissance s’arrêtera d’elle-même. La paralysie synergique des systèmes nourriciers provoquera l’effondrement général du mode industriel de production. Les administrations croient stabiliser et harmoniser la croissance en affinant les mécanismes et les systèmes de contrôle, mais elles ne font que précipiter la méga-machine institutionnelle vers son second seuil de mutation. En un temps très court, la population perdra confiance non seulement dans les institutions dominantes, mais aussi gestionnaires de la crise. Le pouvoir qu’ont ces institutions de définir des valeurs (l’éducation, la vitesse, la santé, le bien-être, l’information, etc…) s’évanouira soudainement quand sera reconnu son caractère d’illusion ».

Ce prophétique tableau qui soulevait tant de critiques contre son auteur se révèle dans toute sa redoutable exactitude aujourd’hui. Il ne lui manque pour être parfait qu’une mise en perspective de la révolution numérique, une nouvelle culture de communication, de création et d’innovation. C’est d’ailleurs le développement de la culture numérique qui est probablement la cause d’une désaffectation pour la « libération de l’avenir » dont Illich avait décrit les fondements. Cette destitution progressive fut renforcée par la conviction chez les jeunes que la lutte contre le productivisme n’avait pas d’autre voie que celle de l’écologie politique, neutre, laïque et rationnelle alliée à un recours libérateur du numérique.

Cependant La générosité de la pensée d’Ivan Illich et la clarté de ses critiques ont fait de lui un lanceur d’alerte généreux et accueillant ce qui  explique l’avidité des jeunes pour son œuvre. Ils ont été (l’œuvre et l’avidité) à l’origine de toutes les aspirations d’éthique de vie enfin accordée à l’universalité de notre espèce au moment où la géo politique succombait au « there is no alternative » du neo libéralisme

La publication si opportune du livre de Jean Michel Djian **il y a deux ans « Ivan Illich, l'homme qui a libéré l’avenir "(seuil) nous rappelle de vieux rêves contestataires et de nostalgie.  Ivan Illich à bien ouvert la porte à des rêves de cœurs et de raison. Longtemps refoulés ils revivent aujourd’hui alors que meurent ceux de la croissance infinie ensevelis sous les tombereaux du gaspillage marchand, de l'uniformisation culturelle, de l’ivresse populiste et de la récupération politique. En dépit de toutes ces menaces qui ne sauraient disparaitre instantanément, la libération de l’avenir reste une nécessité absolue ; il suffit de la vouloir.

Cette situation qui résulte de mauvais choix de vie aurait pu être évité si nos dirigeants, nos leaders d’opinion, nos intellectuels avaient accordé toute leur attention aux critique formulées dans les années 70 par cet homme visionnaire.  Son dernier ouvrage H2O* *publié peu de temps avant la fin de sa vie manifeste une dernière fois son opposition à toute forme d’épuisement et de saccage des ressources naturelles du vivant. Il sonne comme un ultime avertissement.

             Si Ivan Illich avait bien prévu la crise énergétique, celle-ci est apparue selon une voie imprévue, celle du réchauffement de la biosphère par un effet de serre que seuls les rares spécialistes de la physique et de la chimie de l’atmosphère voyaient poindre à l’horizon.

A certains il fut demandé de se taire quant aux autres, convaincus de l’imminence d’une catastrophe ils sont restés inaudibles ou incompris des dirigeants économiques. Pendant trente ans ils ont fait et refait leurs calculs et prévisions qui, malgré les alarmes des écologistes les mieux informés, n’ont suscité chez nos « décideurs » qu’un scepticisme croissant au même rythme que la menace selon la règle désormais bien connue du déni.

Finalement c’est la crise écologique elle-même qui s’est transformée en catastrophe majeure au terme d’une progression silencieuse jusqu’à devenir irréversible.

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