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Poulit est rentré de son séjour à la neige, il semble ravi mais, cependant quelque chose le tracasse. Il a passé ces quelques jours de vacances avec un groupe d’ânes divers, des très petits d’Afrique, des petits d’Algérie, des moyens de Syrie et des gros comme lui, du Poitou. Il était très heureux de rencontrer ces nouveaux amis qui, ensemble, constituaient une communauté d’ânes skieurs. Mais là- bas dans ces montagnes ariègeoises modestement enneigées, des perchistes mal renseignés (ou gilets jaunes mal intentionnés) leur ont dit que le Président de la République avait, sans penser aux ânes, décidé de transformer le communautarisme en séparatisme. Poulit a pensé que cela signifiait que les remonte-pentes, biens communs de ceux qui peuvent se payer des vacances à la neige, seraient désormais réservés à des séparatistes munis d’une carte spéciale. Il était réellement inquiet et n’avait à l’évidence, rien compris. J’ai donc entrepris de lui expliquer ce qui est passé dans la tête de notre Président (je résume avec humilité):
"Certaines personnes musulmanes de religion (et pas que…) qui vivent en France n’aiment pas notre pays, soit pour des raisons personnelles, soit pour des raisons politiques ou religieuses et rejoignent des mouvements violents, voire terroristes, dont le but est de remplacer les valeurs de la République par des valeurs issues de cultures différentes. Moi, Président, je vous dis : il ne faut pas pour autant stigmatiser l’islam, mais seulement la frange intégriste de cette religion qui nous donne tant de soucis. Comme il faut bien lui donner un nom, nous qualifierons désormais cette frange intégriste par le mot séparatiste. En effet, pour gagner une guerre il faut commencer par circonscrire et nommer son ennemi. Nous allons donc procéder ainsi :
- séparer le bon grain de l’ivraie et réhabiliter le communautarisme dans ses particularismes avec en retour une vigilante subordination aux valeurs de la République en respect des dispositions de la loi de 1905 sans en ajouter ni en retirer.
-et concentrer notre appareil d’Etat et notre détestation sur les intégristes désormais « séparatistes" autrement dit « ennemis de l’intérieur" ou en passe de le devenir.
C’est beau comme l’antique !
Poulit n’a évidemment rien compris sauf que les séparatistes n’auraient aucune prétention à remplacer les communautaristes, ce qui évitera des bagarres dans les queues d’attente des télésièges. Il pense aussi, c’était prévisible, qu’il sera du côté « bon grain », sans savoir d’ailleurs ce qu’il faut faire pour en obtenir.
Il est perplexe et ne comprend pas où je veux l’entrainer…
Personnellement j’ai toujours été favorable à un communautarisme subordonné aux lois de la République, mais libre d’exprimer ses différences, sauf évidemment celles qui dérangent gravement l’ordre public(cf la laïcité). Je comprends que les nouveaux venus en France (tous statuts confondus) recherchent la compagnie de leurs semblables d’origine et que se forme ainsi des quartiers communautaires. Ce qui ne m’empêche pas de penser que c’est aussi le rôle de la communauté nationale de faire la preuve de sa solidarité en faveur des réfugiés et celui de la République de mettre en œuvre ses valeurs –et notamment la fraternité- pour faciliter l’intégration des migrants de toutes origines en tant que personnes porteuses d’une expérience de vie, d’une singularité et d’une représentation du monde qui contribueront à enrichir notre propre identité. En ce sens je crois que le communautarisme est une indispensable expression de la diversité culturelle de l’espèce humaine dont la défense est aussi nécessaire à la vie que celle de la biodiversité (je reviendrai un jour sur ce sujet). Je crois aussi d'une façon plus pragmatique que les années qui viennent avec les grands mouvements de population qui se préparent nous placeront dans l'obligation, non de lutter avec les communautés mais d'organiser leur coexistence.
Cette position ne contrevient pas à la laïcité de la République qui se protège à bon droit depuis 1905 du risque de soumission politique et collective à une religion. Quant à protéger la liberté de croire ou de ne pas croire j’en approuve bien évidemment le principe mais en regrettant que la loi ne s’exerce pas contre les assauts répétés de la publicité, du consumérisme, des réseaux sociaux, des fake news, et contre la soumission de chaque citoyen à l’air du temps. Privé du temps de réfléchir par soi-même, il ne peut croire ce qu’on lui demande de croire.
Là, Poulit m’adresse un grand sourire, dans les limites de son licol, en secouant la tête en signe d’approbation. Il aurait aimé applaudir ; mais la dernière fois qu’il a essayé, il s’est cassé la figure.
Malheureusement la suite risque de le contrarier.
Je comprends le problème qui se pose au Président à la veille des élections municipales : Comment contourner l’amalgame entre islam et terrorisme dans lequel se vautrent les media? Mais je ne crois pas à sa façon de le résoudre car pour cela il faudrait adhérer à la lutte contre le séparatisme, un mot valise qui ne désigne pas spécifiquement une conduite criminelle ou extrémiste,qui risque d’être plus encombrant qu’utile et de s’étendre à un champ d’application bien au delà du terrorisme.
Car un mot reste un mot et il est difficile de l’employer en lui retirant les autres sens, images, et évocations qu’il porte. Or, les sens sont nombreux et beaucoup d’entre eux évoquent positivement des combats et violences « pour une bonne cause » avec un petit zeste de romantisme aventurier, de rêves d’adolescent, d’anarchisme libertaire, de sacrifice et d’internationalisme. Que dire des guerres d’indépendance, des révoltes des noirs d’Afrique du Sud lassés d’une si longue domination raciste, des violences extrêmes qui ont précédé la division des Indes, et mêmes des revendications indépendantistes des bretons, des basques, des corses ?
Designer de ce terme les terroristes islamistes qui n’ont aucune légitimité morale, économique, territoriale, idéologique et religieuse à entrainer la communauté musulmane de France dans un projet dit « de séparation » n’est ce pas leur faire trop d’honneur ?. N’est pas leur offrir sur un plateau le droit de prétendre qu’ils font le même combat que Che Guevara, Garibaldi et même nos ancêtres révolutionnaires de 1789, qui n’ont rien fait d’autre que créer une situation séparatiste….jusqu’à couper le roi en deux. Que faisons-nous d’autre que donner une identité quasi glorieuse aux djiadstes et même un argument à leurs sergents recruteurs? Ce qui serait terrible non seulement pour l’honneur de la France, terre d’accueil et d’intégration mais aussi pour tous les musulmans à la recherche d’alliés fraternels, de protection et de résilience. Ne prenons pas le risque de voir défiler un jour dans les rues de Paris une cohorte de séparatistes revendicatifs comportant des djihadistes arborant par provocation ou amalgame l'étoile du Che!
Il est vrai que notre pays a beaucoup fait en matière de négligence pour l’accueil et l’intégration des migrants depuis les années 50 où s’entassaient dans le bidonville de Nanterre les ouvriers algériens venus assembler les quatre chevaux des 30 glorieuses. Il a fait beaucoup en matière de mépris pour ces- gens-là incapables de se loger décemment, incapables de supporter la vie loin de leur famille, de prendre des congés à la mer ou au ski…. Il a fait beaucoup, avec un grand succès, pour que les musulmans qui triomphaient en Algérie soient humiliés en France et ne puissent trouver réconfort et solidarité que dans l’entre soi. C’est la France qui a préparé le terrain d’un communautarisme malsain et fangeux sur un modèle inspiré plus par l’apartheid que par les valeurs de la République.
Au lieu de donner aux musulmans de France des conditions de vie décentes, de la fierté et des espoirs pour leurs enfants, nous leur demandons aujourd’hui de payer une dette déjà payée 100 fois en s’associant à notre lutte contre le terrorisme islamique. Ne serait-il pas plus judicieux de proposer au communautarisme musulman de participer à un compromis civilisationnel et de le mettre en place bien au-delà de rassurantes initiatives pré-électorales? C’est peut être le projet du Président, alors tant mieux, malheureusement je ne crois pas qu'un compromis civilisationnel puisse se faire en période de crise, sur un coin de table, quand tout fait enjeu et que rien n’annonce un retour à la raison. *
J’ai dû parler un peu trop vivement car le sourire qui illuminait le beau visage de Poulit ( !) s’est éteint. C’est peut être aussi parce qu’il pressent une chute brutale à mon récit…il n’a pas tort !
Poulit mon âne, mon viel âne, que vois-tu venir à l'horizon?
J’imagine bien ce qui va se passer avec la stigmatisation du séparatisme, ce crime impossible à qualifier juridiquement, même en y ajoutant l’adjectif islamiste où en donnant l’exemple de la déchéance de nationalité.
Qui tiendra la plume d’un tel projet de loi ? Quel parti politique applaudira le plus fort, quel ministère se frottera les mains pour les avoir en fin libres (les mains) ?
Voyons les risques :
- L’aggravation permanente d’une perception négative du monde musulman et la généralisation d'un islamo racisme favorisant la radicalisation des "border line" islamistes et simultanément l'organisation celle des casseurs d'arabes.
-L'arrivée triomphante en France des mannes gluantes d'un certain sénateur américain auquel Monsieur Trump allume chaque jour un cierge pour le remercier de ses excellentes idées pour lutter contre les séparatistes noirs, communistes, féministes, homosexuels (un comble!) et dont le nom évoque tour à tour: les listes de suspects sur dénonciation, des extorsions, disparitions-façon Argentine et Chili des années 70- et la chaise électrique…
-Le retour d'un régime suprématiste fêtant l' ouverture de la chasse aux sorcières, rebaptisées collabo ou islamogauchiste, uns chasse avec plus de confort pour les chasseurs-grâce aux technologies numériques-et de fatalisme pour les chassés (grâce à la saturation des esprits par les religions et le marché).En sommes nous à l'abri ?
-Tout commencera avec la lutte contre l' antiterroriste islamiste avec les moyens légaux dont dispose la police contre le crime organisé visant les auteurs et leur complices; rien à dire. Puis le champ des incriminations extra juduciaires s’élargira aux parents et amis pour lesquels on inventera un délit d’intention, puis, de proche en proche à tous et toutes les musulman(e)s puis aux étranger(e)s parce qu'ils parlent mal le français qu'ils ne s'habillent pas comme nous, qu'ils dorment dans la rue et n'ont que la religion pour seul horizon, enfin à toute la population selon le bon vouloir des policiers qui trouveront sans mal un motif "séparatiste".
- Bref, tout ce qui nous fera oublier qu'un jour nous avons rêvé d'un compromis civilisationnel et d'un communautarisme républicain seule voie de coexistence pacifique et d’enrichissement respectif de cultures différentes.
POULIT, vieil âne ne voit que la route qui poudroie autrement dit, rien du tout! Il a suivi ma démonstration jusqu’au bout sans un mot. Au début il était plutôt favorable en raison de son atavisme communautaire; mais, avec la lutte contre le séparatisme il m'a semblé ne pas partager mes réserves. Manifestement il pense que la lutte contre le séparatisme suscitera des vocations des deux côtés et trouveront nombre de porte drapeaux parmi les moins recommandables de nos concitoyens. En fait, il est beaucoup plus préoccupé par la clôture électrique de sa prairie qui lui suggère une représentation cuisante du séparatisme chaque fois qu’il en oublie l’existence. Dans le même ordre d'idée je crois que mon évocation de la chaise électrique lui a fait un choc. Elle était inappropriée et excessive je m’en excuserai car il est très susceptible. Comme il est aussi un peu dur d'oreille ,je m'assurerai, au passage qu'’il n'a pas confondu Macronisme et MacCartysme. Un comble?
*dernière nouvelle, je viens d'apprendre que le Président à réuni les dirigeants des grandes fédérations d'éducation populaire pour une rencontre sur le thème du séparatisme. L'idée serait donc de mettre en place des stratégies éducatives pour faire la prévention du séparatisme et par la même occasion de procéder à la déradicalisation des enfants. L'idée est logique mais risque une fois encore d'avoir un effet clivant entre communautarisme d'intégration et rejet de la société occidentale. Si nous n'y prenons pas garde il prendra vite des allures "rééducatives". C'est un piège dans lequel les éducateurs devront veiller à ne pas tomber. Le plus simple pour eux serait de se convaincre qu'ils ne sont pas des acteurs d'une lutte (une guerre?)mais au contraire les artisans en première ligne du compromis civilisationnel indispensable pour établir sur le long terme une nouvelle citoyenneté qui accompagnera la reconfiguration pacifique de notre pays sur la base indépassable de ses principes laïcs et de ses Valeurs Républicaines.
Michel Joli