COP 28 : ÉNERGIES FOSSILES ET NUCLÉAIRES : MÊME COMBAT !
Sultan Al Jaber,* président de la prochaine conférence de l'ONU sur le climat, la COP 28, a appelé dimanche les gouvernements à renoncer à leurs "fantasmes", comme l'abandon précipité des infrastructures énergétiques existantes, pour atteindre les objectifs en matière de climat.*
"Nous ne pouvons pas débrancher le système énergétique d'aujourd'hui avant de construire le système de demain. Ce n'est tout simplement ni pratique ni possible", a déclaré Sultan Al Jaber à l'ouverture de la Semaine du climat du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, une conférence organisée par les Nations unies à Ryad.
"Nous devons séparer les faits de la fiction, la réalité des fantasmes", a-t-il ajouté.
Les militants pour le climat ont critiqué la nomination de Sultan Al Jaber, président du géant pétrolier des Émirats arabes unis, ADNOC, à la tête de la COP 28 qui s'ouvrira le 30 novembre à Dubaï.
Des responsables du secteur de l'énergie, aux Émirats arabes unis et dans d'autres pays producteurs de pétrole, notamment l'Arabie saoudite, ont plaidé pour la poursuite des investissements dans les combustibles fossiles afin d'assurer la sécurité énergétique, tout en envisageant à terme ( lequel ? ) une transition vers l'abandon de ces combustibles.
Cependant l’augmentation de la température du globe en raison de l’effet de serre s’accélère et dépasse déjà les prévisions du GIEC pour l’année 50 soit 2,7 degrés, au lieu de 1,5 degrés*. C’est une augmentation au-delà de laquelle les prévisions concernant la résistance de la nature et celle de notre civilisation ne sont plus évaluables ni même utiles à des mesures de mitigation du risque climatique. S’impose donc avec de plus en plus d’acuité l’urgence d’une transition énergétique décarbonée.
L’UTOPIE ÉLYSÉENNE
A quoi pense monsieur Jaber quand il parle de « construire le système de demain, ce qui, pour l’heure n'est tout simplement ni pratique ni possible".
Ce constat fait écho à la perspective nucléaire du Président Macron pour la France qui propose la construction en 10 à 15 ans de 6 centrales et le reconditionnement des centrales les plus anciennes. Serait ainsi reconstitué progressivement un capital énergétique de croissance selon le principe productiviste et consumériste de notre mode de vie actuel. Cela traduit le doute du Président et de la classe dirigeante sur la capacité des énergies renouvelables non nucléaires à assurer la relève des énergies fossiles. Ce doute est renforcé par une crainte politique, celle de « perdre la main » sur l’ensemble des énergies nationales dont la maîtrise concourt à l’autorité de l’Etat.
Le nucléaire est une énergie décarbonée majeure qui n’est cependant pas assimilable aux autres sources d’énergie alternative. Tout d’abord parce qu’elle demande d’importants investissements budgétaires, industriels et sécuritaires qui impliquent au long cours le contrôle de la puissance publique. Ensuite parce que, du fait même de son poids économique, elle interdit toutes formes d’alternance énergétique propices à un changement de mode de vie.
Cette situation convient parfaitement aux productivistes qui disposent d’une grande capacité d’influence sur les gouvernants acquis au libéralisme. Ainsi le nucléaire est-il, par sa seule existence , une protection institutionnelle contre les dérives anti -capitalistes, voire révolutionnaires, de la société…on n’ose pas dire une « dissuasion » à l’égard de toutes les alternatives politiques.
Cependant, comme il faudra 20 ans -au mieux- pour renouveler le parc nucléaire, il sera nécessaire de prolonger d’autant l’extraction et l’usage des énergies fossiles et « tenir » jusqu’au passage de relais du fossile au nucléaire.
En accord avec ses convictions libérales productivistes, Monsieur Macron propose une « relève » par le nucléaire avec des arguments plus économiques qu’écologiques pour protéger la croissance. C'est une approche que partagent tous ceux qui pensent que le nucléaire est l’unique réponse possible au changement climatique.
Mais il est difficile de ne pas voir que cette proposition qui défie les avis des plus grands spécialistes du climat, est surtout une mesure d’échappement aux exigences d’une action immédiate. Il s’agit en effet d’ opposer aux obligations urgentes du présent, une action différée, un plan totalitaire politiquement et incertain économiquement dont la réalisation sera irréversible. Ainsi le Président met un terme au débat sur l’avenir du nucléaire en… bottant en touche. Il nous demande d’accepter, sans autre explication, que l’équation énergétique de la France ne puisse trouver sa solution que dans 20 ans grâce au renouveau du nucléaire, avec en prime la prolongation des pollutions carbonées. Cela mériterait bien un référendum populaire mais il faudra alors expliquer clairement pourquoi (et comment) la prolongation des énergies fossiles jusqu’en 2030, pourrait être supportable malgré l’irréversibilité du phénomène climatique et les alertes répétées des climatologues.
Plaidoyer pétrolier
C’est ici qu’interviennent les producteurs d’énergies fossiles pour plaider en faveur de leur activité extractive. Omettant délibérément leurs gigantesques profits, les dommages écologiques et les conséquences géopolitiques et totalitaires de leur monopole pétrolier, ils nous parlent d’une absence d’alternative et énumèrent leurs atouts :
-une expérience séculaire,
-la maîtrise de toutes les étapes de l’extraction, du transport, du raffinage et des transformations pétrochimiques, du stockage et de la distribution finale.
-les grands chantiers en cours ou en prospection,
-les énormes quantités de réserves fossiles (on découvre chaque jour de nouvelles réserves sur terre, offshore et dans les abysses océaniques),
-leur capacité distributive par des réseaux de transport et de répartition jusqu’à l’autre bout du monde et à chaque usager industriel, artisan, services publics et foyers.
A quoi il faut ajouter les engagements des entreprises, la main sur le cœur, à mettre un terme à leur propres pollutions extractives.
Nous pouvons prévoir que tous ces arguments seront posés sur la table de la COP 28 par ces entrepreneurs qui proposent spontanément ( !) de restreindre leur production sans autres précisions quant aux quantités et à l’agenda de décroissance. Pour donner le change ils se montrent d’ailleurs favorables au développement des alternatives énergétiques non carbonées qui constituent un nouveau marché qu’ils ne veulent pas abandonner à des initiatives locales et dont il faut surveiller le développement. C’est exactement ce que préparent en France EDF et Total Energie pour consolider leur monopole énergétique et économique.
Que pèse une petite augmentation de la température terrestre **face à cette extraordinaire saga productiviste qui a permis tant de progrès à l’humanité ?
En réponse à cet hypocrite constat dont la COP 28 se fera l’écho, on pourrait croire que le Président Macron utilise la réputation nucléaire de la France pour proposer au pays une stratégie globale contre la dérive climatique tout en donnant satisfaction aux multinationales pétrolières qui ne sont manifestement pas prêtes à quitter la table de jeu. Voilà une belle illustration du « en même temps » macronien ! ». Certains écologistes ont été séduits par cette proposition et n’ ont pas fait valoir que les autres alternatives décarbonées pouvaient, avec un budget équivalent aux investissements affectés au nucléaire, obtenir des résultats bien supérieurs et dans un délai plus court que ceux proposés par les tenants du tout nucléaire.
Cela pourrait se faire dès à présent en renonçant simultanément aux énergies fossiles et nucléaires et en consacrant les 15 années à venir à la réalisation d’une relève énergétique alternative et décarbonée.
Il faudrait alors l’associer à une indispensable diminution de la consommation énergétique de la France et aux nouvelles orientations idéologiques que doit nécessairement prendre notre civilisation pour en finir avec le productivisme et la prédation de la nature.
UNE UTOPIE LIBÉRALE
Les spécialistes du climat n’ont pas été associés à ce projet qui se présente comme une utopie libérale irréaliste et dangereuse pour deux raisons : son calendrier retardé et une ignorance du principe de dilution atmosphérique des gaz à effet de serre.
Le calendrier de l’abandon des énergies fossiles :
Défini scientifiquement et jamais remis sérieusement en cause, le calendrier de décroissance des émissions de CO2 que doit s’imposer la productivité humaine a pris l’année 2015 comme le début de la régression thermique du climat. Nous savons aujourd’hui que dès la première étape ( -1,5° en 2025 ) les prévisions sont bouleversées et qu’il faudra sans doute 5 années de plus pour obtenir ce résultat. Que faut-il donc faire en attendant la nouvelle ère nucléaire de la France qui ne s’ouvrira au plus tôt que dans 15-20 ans, pour tenir nos engagements de réduction drastique du taux de CO2 atmosphérique pris en 2015 ?
Pour ne pas avoir à répondre à cette question essentielle, le pouvoir entretient une confusion hypocrite entre la réduction de la cause du réchauffement (les énergies fossiles) et la lutte contre ses conséquences (l’adaptation et la protection). Déjà nous voyons apparaître une atténuation de l’appréciation portée depuis la COP 25 (Paris) par les politiques sur l’urgence de mettre fin aux énergies fossiles. De ce fait, c’est avec une parfaite harmonie que les pétroliers poursuivent l’extension de leurs activités extractives sans aucun état d’âme, ce que traduit la déclaration de Sultan Al Jabert.
La meilleure preuve de ce choix stratégique de communication est bien une polarisation du public sur le thème de la température météorologique sans aucune communication sur l’évolution du taux de CO2 atmosphérique .Or, ce dernier est le véritable témoin de l’évolution climatique, mieux que la température au sol qui
est soumise à d’autres influences, saisonnières et géographiques. Le GIEC est le gardien vigilant de cette information dont personne ne veut car elle confirme la poursuite croissante de l’effet de serre partout dans le monde.
La mondialisation de l’effet de serre par dilution
Il est indispensable de se convaincre que le relais par le nucléaire ne fera qu’aggraver la situation en montrant que le « tout nucléaire » dans un petit pays comme la France (1 % des émissions mondiales) n’aura aucun effet sur le réchauffement de la biosphère.
Il faut en effet cesser de penser contre toute logique que la réduction du réchauffement est une affaire nationale et que chaque pays n’est comptable que du réchauffement de son territoire et de son atmosphère. Il est évident que, par un effet de dilution, les bons résultats d’un pays en termes d’émission ne se traduisent pas par une baisse proportionnelle du taux de gaz à effet de serre dans « son » atmosphère.
L’effet de dilution des GES dans l’atmosphère n’autorise aucun égoïsme pro domo. En outre, il serait illusoire de prétendre qu’un pays, bien à l’abri de ses frontières, puisse être protégé par le seul comportement exemplaire de sa population, sa sobriété énergétique et une adaptation de son mode de vie, sans avoir à se soucier de ses voisins. Même si la France donnait l’exemple avec une réduction drastique de ses émissions dans « son » atmosphère, sa contribution à la réduction du taux de CO2 dans l’atmosphère de la planète entière ne changerait rien à la situation thermique mondiale… y compris celle de l’hexagone.
Il n’est décidément pas raisonnable de confier notre avenir à la fausse -bonne solution nucléaire qui n’a pour seul « mérite » que de donner du temps aux exploitants des énergies fossiles, en totale opposition avec les conclusions de la COP 21. Ceux-ci sont par conséquent assurer de pouvoir poursuivre leur exploitation sans tenir compte des recommandations du GIEC de 2015 dont pourtant personne nie aujourd’hui la pertinence.
A RISQUE GLOBAL, RÉPONSE GLOBALE .
Il serait dramatique de considérer que l’enjeu énergétique ne consiste qu’à accroître la consommation dans les pays hyper développés afin de permettre à leurs résidents de se déplacer plus vite et plus loin, de consommer toujours plus, de climatiser leurs habitats et … de vivre toujours plus vieux.
Au service du mode de vie productiviste, le nucléaire aura pour effet immédiat et massif d'accroître l’écart entre les pays du Nord et ceux du Sud ; une brutale accélération de la domination des pays « adaptés » à la dérive climatique, sur les autres populations condamnées par une paupérisation croissante. Cette évolution aura pour effet d'accroître l’enrichissement provocateur des riches et le dépouillement des pauvres jusqu’à perdre leurs lieux de vie et leur identité, dans des violences sans fin et des migrations sans retour.
Le destin commun de l’humanité et du vivant se confond avec l'enjeu climatique qui impose de tout mettre en œuvre pour faire décroitre la température de notre planète dans les plus brefs délais. Tout le génie collectif des humains doit se déployer à cette fin, sans égard pour des déterminants sélectifs qui fixeraient des priorités nationales ou géopolitiques ... religieuses ou ethniques.
Le réchauffement ne peut pas être mis sous contrôle, encore moins disparaître sans une mobilisation universelle et existentielle. Mais il y a dans l’opinion publique une confusion entre le local et le global dont on ne peut pas dire à ce jour si elle est entretenue par la crédulité, le déni, le conservatisme ou l'espérance de nouvelles sources de profits. Une confusion dans l'appréciation des responsabilités de chacun (e) que les gouvernants entretiennent, tantôt en vantant les innovations d’adaptation et leurs conséquences supposées sur la réduction de l’effet de serre, tantôt en prétendant réduire le risque climatique par des décisions politiques pseudo-écologiques tel que la protection thermique des habitats ou la transformation des automobiles qui ont plus d’effet sur la croissance du PIB que sur la contrainte climatique de l’atmosphère.
Le chacun pour soi n’est pas de mise et il est urgent qu’une décision internationale mette fin au recours aux énergies fossiles et détermine une gestion commune des ressources énergétiques comme un bien commun de l’humanité.
A cette fin il faut cesser de croire à la « miraculeuse » solution nucléaire qui ne peut répondre à l’urgence d’une transition énergétique et n’aura aucun effet ralentisseurs sur le réchauffement du climat.
Il est en revanche urgent de développer toutes les formes alternatives d’ énergies décarbonées dans la perspective de relayer en totalité les énergies fossiles et le nucléaire.
Ces mesures auront pour effet de faire émerger au sein de la civilisation des solutions de transformation du mode de vie et de mettre un terme à une crise de coexistence qui déstructure les sociétés humaines par l’effet d’injustices croissantes telles que le stress hydrique, la diminution progressive des ressources de subsistances et une mondialisation de l’indifférence par la mise à mal des principes humanistes d’unité de notre espèce confrontée pour la première fois de son histoire à une crise existentielle globale.
Dès à présent il est nécessaire d’introduire dans l’éducation des enfants un programme spécifique de compréhension de l’évolution du climat, de protection des valeurs de coexistence des différences, de lutte contre toutes formes de séparatisme individuel ou institutionnel et de protection de la nature dans sa diversité.
Ce qui veut dire :
- qu’il ne pourra pas y avoir de sortie de la crise climatique sans une conversion salutaire et mondiale dont il reste aujourd’hui à populariser le sens à l’opposé des tenants d’un progrès fondé sur l’accumulation des biens, la prédation de la planète et un progrès infini.
Qu’il faut convaincre nos gouvernants que la géopolitique doit avoir pour objectif commun un ’indispensable codéveloppement du Sud et du Nord en lieu et place d’un progrès à sens unique qui exclut toute notion de partage et d’équité au bénéfice d’un retour au colonialisme d’antan.
A cette fin, il ne faut pas laisser notre Gouvernement s’embarquer dans un irréaliste projet de nucléarisation totalitaire de la France. Il serait plus efficient de convaincre les scientifiques d’entreprendre avec plus de détermination encore une action pédagogique auprès de nos élus. Ces derniers doivent pouvoir, dans des délais très courts, s’emparer de ce sujet prioritaire et cesser d’infantiliser nos compatriotes en croyant les rassurer par de fausses solutions. Cesser aussi de tenir les jeunes à l’écart de cette réflexion alors qu’ils sont les premiers concernés.
La lutte contre le changement climatique ne nécessite pas seulement une culture écologique innovante mais également une forte implication politique pour remettre en cause un « progrès » qui, au terme de ses capacités prédatrices est parvenu à un niveau insupportable de destruction des valeurs humanistes et des richesses du vivant…
Ce qui revient à dire qu’il faut tirer profit de la crise climatique pour requalifier l’espèce humaine dans ses rapports avec la nature et la vie .C’est probablement notre seule espérance. MJ
* *A ceux qui pensent que cette « ridicule augmentation » ne peut pas expliquer des ravages planétaires, il faut rappeler que la vie d'un être humain est limitée par quelques degrés en plus et en moins de 37°. La sortie de ces limites entraine une mort rapide. Un formidable événement pour un petit écart! Idem pour la Nature qui est encore plus "encadrée" par la constance climatique.