Michel Joli (avatar)

Michel Joli

C'EST QUAND QU'ON VA OU?

Abonné·e de Mediapart

64 Billets

0 Édition

Billet de blog 27 avril 2020

Michel Joli (avatar)

Michel Joli

C'EST QUAND QU'ON VA OU?

Abonné·e de Mediapart

ALTERNATIVE VITALE (première partie)

Grace au Corona virus l'humanité a pris enfin conscience du risque majeur qui la menace. La pandémie illustre bien la communauté de destin de tous les humains. Le confinement nous a apporter une conviction collective: il faut changer de mode de vie et y consacrer toutes nos ressources intellectuelles et scientifiques. !

Michel Joli (avatar)

Michel Joli

C'EST QUAND QU'ON VA OU?

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Michel Joli , 28 avril 2020

ALTERNATIVE VITALE (première partie)

A force de le répéter et en dépit de la résistance des néo-climatosceptiques et des tenants d’une résilience capitalistique providentielle, il est évident que, le temps d’un printemps, l’humanité a pris enfin conscience du risque majeur qui la menace. 

Notre monde change, il ne s’effondre pas, il se transforme à une vitesse folle. Nous ne sommes pas en crise, c’est bien plus que cela et l’avenir n’aura plus rien à voir avec ce que nous avons vécu et appris.

Collapsologie

Personnellement j’ai accueilli avec scepticisme la lecture « collapsologique » du devenir de notre civilisation avec son inévitable cortège de réminiscences historiques, apocalyptiques, et culpabilisantes  de jugement dernier…

 En revanche je n’ai pas été surpris par la pandémie du Corona Virus, son importance sanitaire et ses conséquences psychologiques, économiques et sociales. Les premiers jours j’ai caressé l’idée que cette crise n’était qu’un événement isolé comparable aux grippes saisonnières ; mais bien vite il fallut convenir qu’il s’agissait là du début de la crise planétaire que nous redoutions avec la dégradation du climat et qui, finalement, s’est annoncée avec un virus.  

La pandémie s’est invitée au cœur d’une période de risques majeurs pour l’humanité qui allie contre elle le désordre climatique, les déplacements de populations, la chute vertigineuse de la biodiversité, la croissance des inégalités, l'épuisement des ressources naturelles, et sur le plan psychologique, le sentiment de "no future", la perte de sens, le replis sur des valeurs archaïques et le chacun pour soi.

La principale conséquence de cette situation sera géopolitique en raison d’une croissance quasi  mécanique des nationalismes et de la multiplication prévisible  des conflits d’intérêts territoriaux et économiques : guerres, embargos, génocides… C’est en effet  dans les interstices d’une globalisation nouvelle que se dissimulent le populisme, le racisme et le suprématisme voulus et entretenus par les puissants qui ont réinventé, avec le consumérisme, une nouvelle forme d'organisation de notre espèce en « classes »  ethno-économiques sur le modèle américain.

On en a vu d’autres !

Certains autour de nous, pour se rassurer et surtout pour ne pas remettre en cause un équilibre économique de la planète qui leur est avantageux, nous donnent l'exemple des épidémies passées. Mais c'est oublier que celles-ci se sont déroulées dans d'autres circonstances, des feux de paille isolés qui tuaient beaucoup mais s'éteignaient seuls sans compromettre l'espèce elle-même. Elles n’étaient pas exceptionnelles, pas plus que nos guerres, accidents industriels et catastrophes naturelles. Pas plus que nos pollutions chroniques, famines et stress hydriques. 

Pour autant, j’ai le sentiment que la grande peur de type millénariste et médiéval qui était surtout alimentée par un sentiment d’impuissance, se transforme d’une manière bien plus rationnelle et  responsable en rejet de notre mode de vie. Le confinement nous apporte ainsi l’occasion de remettre en cause les composantes mortifères de notre civilisation et, simultanément, de tourner le dos aux prophètes de l’apocalypse.

 Déconfinement

Passé les incertitudes de calendrier et les difficultés de la reprise économique, le déconfinement va nous apporter son lot d’espérances et de désirs de changement. C’est le cas au lendemain de toutes les grandes crises à fort retentissement émotionnel, particulièrement les épidémies et les guerres qui s’accompagnent d’un fort désir de renaissance.  La seule différence c'est qu’une guerre est toujours imposée par une volonté humaine afin de consacrer l’échec de la diplomatie et protéger les intérêts des uns contre les autres. Autrement dit, il y a toujours un gagnant qui écrit l’histoire et en dicte la   lecture.

En revanche les épidémies font vite oublier leurs victimes et les responsabilités humaines qui en sont les causes. Le retour hâtif et euphorique vers l’état antérieur se conclut par une glorification légitime des soignants, seuls vainqueurs de cette guerre, mais aussi  par la mise en place  de nouvelles barrières, de nouvelles distanciations sociales qui prendront avec le temps un sens bien plus politique que sanitaire. Ajoutons le zoom médiatique, l'exploitation sécuritaire et les arrières pensées économiques pour comprendre que l'épidémie en cours n'a rien de médiéval! C'est la première fois que l'humanité se trouve dans une telle situation. On ne peut se référer à aucun autre événement d'une telle ampleur et nous ne pouvons chercher les remèdes dans le passé.

Prévention et responsabilité publique

Il n’est évidemment pas question de revenir au temps des cavernes - menace dérisoire de Café du commerce -, mais de solliciter le savoir rationnel des sciences pour ouvrir la voie d’un progrès universel dans tous les domaines où s’accumulent les menaces. En avons-nous fait un inventaire exhaustif ? Avons-nous une politique de prévention ? Le dispositif de santé publique a montré son impuissance tant en ce qui concerne  la prévision que la prévention et les soins, face à une épidémie dont nous connaissions pourtant les prémices. La même question se pose pour toutes les autres menaces. Il  ne faut évidemment pas s’en tenir à la lutte contre les causes, mais organiser avec tous les moyens disponibles la lutte contre les conséquences prévisibles. Cela est particulièrement vrai pour le réchauffement du climat. La lutte contre les causes du changement climatique doit donc prévoir une réduction drastique des  conséquences rémanentes des années précédentes (au moins depuis la Cop 21 qui en a balisé le chemin). Elle impliquera un profond changement du mode de vie des humains et mobilisera non seulement les populations, mais surtout les dirigeants, les administrations et la quasi-totalité des chercheurs et industriels.

Je me souviens avec quel  luxe de détails on nous parlait dans les années 80/90 du risque biologique et des armes de destruction massive…Mais on n’a fait qu’en parler pour conjurer le risque sans prendre les mesures de sauvegarde nécessaires, hormis pour les hôpitaux qui disposaient  de  stocks de mobilisation qui servent aujourd’hui  de réserve de pièces détachées. Peut-on se préparer à une catastrophe dans un établissement qui travaille au quotidien à flux tendu ?

J’ai en mémoire aussi  l’opiniâtreté de Haroun Tazieff, alors secrétaire d’Etat à la prévention des risques majeurs en 1985 pour imposer la cartographie  des zones exposées au risque sismique, annexée aux plans d’occupation des sols. Des catastrophes sans beaucoup de victimes, certes, mais que le Gouvernement à accepté d’indemniser parce que ces dispositions permettaient  de fixer les normes de construction parasismique. La même chose a été faite pour les risques d’inondations, ce qui a permis de créer le dispositif « catastrophes naturelles » pour indemniser les victimes, auquel chacun apporte sa contribution via les contrats d’assurance. Deux petits exemples utiles à rappeler aujourd’hui. . .

 Rendre la parole aux  scientifiques

La perversité de la croissance (que nous appelons « progrès » pour la légitimer) repose sur une utilisation abusive et détournée des connaissances et des applications technoscientifiques au profit d’une minorité historiquement dominante qui constitue aujourd’hui la véritable classe dirigeante. Cette appropriation s’est faite hors de toute considération démocratique, territoriale et écologique ; hors de toute considération humaine, morale et solidaire, hors de toute reconnaissance de notre entière appartenance au monde du vivant. Les choix de développement des industries pharmaceutiques en sont le plus parfait exemple, qui soumettent à une pseudo loi du marché les orientations de leurs recherches selon le seul critère du profit. C’est ainsi que les traitements les plus efficaces en cancérologie sont vendus à des prix prohibitifs au point que même la sécurité sociale ne peut en assurer la prise en charge.

Le  pouvoir scientifique est méprisé tantôt par le peuple qui lui reproche d’être asservi, tantôt par les dirigeants politiques qui craignent que la connaissance et ses innovations se retournent contre eux et portent atteinte à leurs certitudes.  La science prédictive du climat (Giec) en est la première victime, la science préventive et thérapeutique de l’infectiologie aussi. On pourrait trouver beaucoup d’autres exemples de recherches et de découvertes utiles qui n’ont pas abouti alors que se développaient tant d’applications nuisibles, uniquement sélectionnées pour la productivité, la rentabilité, et le retour sur investissement, règle d’or du capitalisme avec en contrepoint une consommation sans fin des ressources d’une biosphère épuisée.

Les limites

Pourtant, seul le savoir, cette capacité de se représenter le monde dans sa complexité, peut nous permettre de réguler notre relation au vivant notamment en déterminant d’une façon objective quelles sont les limites que le génie de l’homme doit s’imposer partout où son existence menace son environnement. Cette « intelligence des limites »* devrait devenir le fil conducteur de la recherche scientifique et le symbole de l’alliance de l’espèce humaine avec son milieu nourricier et protecteur.  Le progrès ne consiste pas à encourager l’appétit des uns au détriment de la vie des autres. Cela porte un nom : l’anthropophagie.  Il faut mettre un terme à cette perversion en mobilisant le savoir et les représentations du monde que portent les sciences.

S’il est dans la « nature » de l’homme de se comporter en prédateur parce qu’il aurait détourné pour de mauvaises raisons sa capacité de modifier son biotope, son intelligence et sa plasticité adaptative doivent aujourd’hui le conduire à s’imposer à lui-même des limites. Cela ne pourra pas se faire sans l’apport d’un savoir scientifique entièrement dédié à la protection du vivant, des humains et de la relation que la civilisation doit entretenir avec la nature. 

Alternative vitale

L’alternative que pourrait ainsi nous proposer la connaissance du monde par les sciences et les techniques doit nous conduire à la remise en cause d'une fracture de la rationalité qui a grand ouvert au XVIII ième siècle les portes aux prédateurs du vivant en les absolvant de leur conduite criminelle. Il est temps d’affirmer clairement la nécessité d’un inventaire théorique global concernant le rapport de l’homme avec la nature.

C’est là que les choses se compliquent car les discours conduisent beaucoup plus loin que les actes et ignorent ou écartent généralement les difficultés, les impossibilités et les imprévus. Malheureusement nous ne connaissons pas encore la recette d’un changement pacifique et urgent de civilisation et nous ignorons comment  influencer ce changement. La réponse démocratique est épuisée par le long et corrupteur compagnonnage de la  démocratie avec le libéralisme que nous  connaissons  en France depuis plus de 10 ans. La difficulté aujourd’hui, c’est que les deux seuls imaginaires qui se proposent à nous sont l’effondrement ou le néolibéralisme.

Comment sortir du déni ou se mobiliser collectivement face à ces perspectives ? Il est urgent de concevoir une construction politique alternative en veillant à ne pas se faire piéger par les porteurs de fausses solutions qui cherchent leur chemin dans le maquis sémantique du capitalisme ni par les spiritualistes innovants adeptes des contournements de la raison.

Pour s'en défendre il est essentiel de disposer d'un socle rationnel solide, à la fois scientifique et intellectuel. Sans oublier de se protéger des incidents de parcours toujours possibles comme la condamnation à mort de Lavoisier (la République n'a pas besoin de savants…) et au revers, la promotion d’experts autoproclamés comme Lyssenko qui a précipité tout un pays dans la famine.

Pour autant il ne faut pas négliger l'apport des activistes sincèrement en lutte pour la justice sociale à l’avant-garde des alarmes contre les abus, les corporatismes protecteurs et tous les alibis du confort libéral, les séductions factices de la consommation, les symboles de la force, la facilité du gaspillage et les tromperies du bio et du greenwashing.

Malheureusement, personne à ce jour ne peut prétendre connaitre la route à suivre. Nous sommes tous acculturés par le mode de vie capitaliste entretenu par les communicants, cet appareil de séduction hypertélique dont parle Patrick Tort*, indispensable au maintien de sa domination. Il est donc vital de manier le verbe, ce que j’ai fait aujourd’hui, mais aussi de pratiquer et de montrer d’autres façons de vivre le rapport des hommes entre eux et avec la nature.Il est temps de donner du corps  à notre volonté de changement, le confinement peut nous y aider en montrant que nos rêves d’alternatives ne sont pas des utopies. Ce sera l’objet de mon prochain billet. MJ

*Patrick Tort : L’intelligence des limites. Essai sur le concept d’hypertélie. Editions Gruppen 2019

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.