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Billet de blog 30 septembre 2021

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Culture Woke et valeurs de la République

Il est en effet impossible de proposer des parts équitables d’un gâteau dont la recette a été établie pour la seule satisfaction du plus ancien et du plus vorace. Il est urgent de créer un référentiel  de valeurs communes permettant à chaque être humain d’avoir la capacité de progresser socialement sans abandonner ses spécificités d’origine et d’identité collective.  Or, ce référentiel existe...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les premières années de cette décennie resteront  dans les mémoires comme celles d’un réveil difficile. L’arrivée de nombreux migrants refugiés, puis la conjonction des périls sanitaire et climatique ont réactivé le débat sur la solidarité et les valeurs qui sous-tendent notre République.

Successivement nous avons vu renaitre et prendre force et vigueur un débat stérile sur la laïcité, puis une redéfinition de la sécurité, puis apparaitre la notion nouvelle de séparatisme et enfin un retour sidérant du racisme dans ses composantes historiques que sont l’antisémitisme et l’islamophobie. Un grand classique mais qui aujourd’hui se retrouve associé étroitement à un extraordinaire développement  de la détestation de tout ce qui fait différence, de la couleur de peau à la variété des genres, et qui  dépasse en violence toutes les autres formes de rejet phobique, de revendication hystérique et de proclamation tribunicienne.  En fait nous avons assisté à une globalisation des revendications d’autonomie sectorielle et au rejet des propositions inclusives.

Les mesures d’ouverture, d’assistance et d’accompagnement  aux migrants et réfugiés, mal préparées et mal comprises, ont pris la tournure d’appel à un double séparatisme, celui du Gouvernement qui s’apparente à une forme d’apartheid et celui des communautés qui refusent une laïcité d’inclusion autant qu’une identification au terrorisme. Les accueils clandestins et les campements sauvages se sont multipliés favorisant le retour de la xénophobie et, surtout le développement de l’injustice sociale et de la stigmatisation des minorités. Cette situation a entrainé une rapide réaction  dans les groupes ethniques les mieux structurés qui souhaitent imposer une relecture de la segmentation sociale.

 Une contestation qui porte le nom d’une ancienne théorie américaine qui a fait son retour aux USA à l’occasion du mouvement black lives matter. Elle appelle de ses vœux une véritable reconnaissance de la singularité afro-américaine dépourvue de toute expression de générosité charitable. Celle-ci, s’apparentant à une tolérance hypocrite de « l’homme blanc », est en effet perçue comme une  condescendance avilissante.

En France, la même exigence légitime des noirs se combine avec les revendications des musulmans qui portent plus sur la pratique religieuse et le communautarisme ethno économique de quartier. Cette forme d'essentialisme ne doit pas cacher d'autres caractéristiques de ce mouvement qui transcendent les divisions ethniques, notamment le féminisme, l'écologie politique, les expressions culturelles militantes et diverses formes de manifestations publiques.  

Le  djihad s’est imposé dans les esprits, sans que la preuve en ait été apportée, comme une conséquence terroriste de l’immigration vécue comme la pièce majeure d’un future « grand remplacement ».

Ainsi, le poids de l’insécurité repose sur une communauté tout entière. Cela a pour effet de légitimer un racisme anti arabe en donnant un nouveau sens à l’islamophobie historique des Français. Malgré quelques appels -très modestes- à la distinction entre islam et islamisme et au refus de l’amalgame, les « français de souche », refusent toute distinction entre la communauté qui porte la vie et celle qui porte la mort.

Ainsi la culture du Woke a-t-elle eu un écho favorable en France en affirmant la fierté et l’identité de toutes les communautés marginalisées. Ensemble elles constituent une importante force politique d’autant plus active qu’elles ne sont plus sensibles à l’accueil compassionnel, universaliste et trop souvent hypocrite de la civilisation d’accueil. Bien décidées à se débrouiller par elles-mêmes ces communautés développent une forme paranoïaque de repli sur soi qui nie tout ce qui  permet de maintenir une cohésion sociale indispensable à la solution des problèmes qu’ils ont si justement identifiés.

 Cependant la valorisation et la reconnaissance des spécificités de chaque communauté nécessitent une référence commune d’appartenance à un même ensemble qui fonde et régule le  partage de l’espace par les cultures différentes et des profits communs. Il est en effet impossible de proposer des parts équitables d’un gâteau dont la recette a été établie pour la seule satisfaction du plus ancien et du plus vorace.  Il ne s’agit pas de souhaiter  une nouvelle idéologie, religieuse ou pas,  qui s’approprierait l’universalisme, mais de créer un référentiel  de valeurs communes permettant à chaque être humain d’avoir la capacité de progresser socialement sans abandonner ses spécificités d’origine et d’identité collective.  

Or, ce référentiel existe, il a été élaboré au cours du siècle des révolutions, le XIX ième, sous la forme de notre triptyque républicain : Liberté, Egalité, Fraternité. Il est vrai qu’il semble porter aujourd’hui des valeurs désuètes car inopérantes en raison de l’impérium du libéralisme qui se fait passer pour la liberté, mettant à mal les deux autres valeurs. Pour ma part, je suis toujours émerveillé par l’intelligence des valeurs républicaines qui devraient par la reconnaissance de leur absolue complémentarité, être garantes de l’universalité de la Loi. En effet, il suffirait de préciser que chaque valeur ne peut se déployer que sous le contrôle et dans les limites qu’imposent les deux autres. Cela va de soi, mais gagnerait à être écrit dans la Constitution et expliqué tout au long du parcours éducatif.  Ce triptyque dont nous avons toujours négligé de reconnaitre l’unité, est en soi une Valeur qui dépasse la somme de celles qui la composent. Nul ne peut en contester la portée universelle et toutes les «  lois  de l’homme » devraient être écrites dans un respect scupuleux de ces valeurs.

Alors, mes amis différents, porteurs du message de l’éveil « woke » pourquoi ne pas nous mobiliser pour la réhabilitation civilisationnelle de cette valeur républicaine à trois têtes ? Elle attend depuis la Commune sa mise en œuvre et le réchauffement actuel de la société-qui n’est pas seulement climatique- serait propice à son éveil d’hibernatus.

Nous garderions ainsi une relation forte avec l’universalité de la Res-publica sans avoir à en réécrire l’histoire.  Ainsi, l’humanité, qui doit au plus tôt s’organiser pour ne pas  être précipitée en enfer, disposerait d’un socle commun pour organiser sa résistance contre tous les risques d’effondrement qui la menacent.

En dépit de son radicalisme qui  parfois s’exprime avec violence, je pense qu’il ne faut pas  discréditer la culture woke.

D’abord parce qu’elle se développe sur un terrain stérilisé par le productivisme qui s’est employé  à faire croire à des générations de communautés diverses  que chacun pourrait accéder au bonheur par l’égalité des chances  et la justice des parcours. Serait ainsi actée l’égale possibilité d’accès aux richesses produites par tous. Nous sommes revenus de cette croyance fallacieuse et nous n’avons aucune légitimité à en faire le reproche à ceux qui la contestent. 

De plus, la crise climatique irréversible et majeure implique d’urgence un changement de mode de vie qui respecte à la fois les diversités et une meilleure cohésion de notre espèce. La culture woke peut très bien contribuer à répondre à cette apparente contradiction et rejoindre ceux qui s’impliquent par conviction écologique dans la protection des ressources et la promotion de la frugalité. Ils proposent eux aussi d’autres modes de vie compatibles avec la protection des identités culturelles.

Enfin, cette culture de la contestation peut à l’évidence contribuer à la diffusion d’un message de décroissance à ceux qui pensent possible d’échapper à la dictature du progrès en le détachant de la croissance économique.

Les « wokes » dénoncent en effet une  tromperie historique qui explique que  la croissance économique est la mère de toutes les batailles, y compris celles pour le partage solidaire et la liberté. Ils proposent que nos « intérêts » se portent plus sur  la croissance de l’immatérialité culturelle, de la justice, de la dignité qui n’entrent pas dans la balance économique. Qui peut être contre ?

        Il est vrai que cette remise en cause de l’organisation sociale peut générer de nouvelles complexités et de nouvelles sources de conflits intercommunautaires par la recherche chez l’autre  de la cause d’une injustice ou d’un abus. Plus on affirme son identité et plus on la protège.

Mais il est vrai aussi que la compétitivité  des communautés entre elles peut s’effacer dès lors qu’elles disposent d’un référentiel commun de valeurs et jouissent équitablement de représentativité, de justice, de respect et  d’une légitime fierté. 

La coexistence des cultures n’induit pas nécessairement de violence là où elles ne servent pas d’enjeu de pouvoir politique  ou de justification à des interventions extérieures qui, partout font monter les enchères pour de triviales raisons  d’influence, de domination et d’accumulation de richesse.

        On voit bien ce que veut dire la culture  woke dans un pays comme les USA qui tout en refusant et condamnant le racisme maintient un séparatisme visible dans un grand nombre de domaines.

        En France, nous n’en sommes pas là et il faut faire évidemment en sorte que notre société ne prenne pas le chemin du développement séparé. Mais il  faut cesser de croire que la liberté économique influence l'exercice de toutes les autres formes de liberté qui sont des sources indépendantes de richesses immatérielles.

        C’est le cas de la fierté d’appartenir à un groupe porteur d’une culture différente qui contribue à la solidarité du partage, à la diversité et le métissage, à la complexité du monde et à son exploration artistique, littéraire et scientifique.

        C’est le cas, surtout, des valeurs républicaines tragiquement ignorées par leur pays  qui les a vu naitre au 19 ième siècle et mourir au 20 ième pour n’être plus aujourd’hui  qu’un simple motif décoratif des bâtiments publics.

Cessons de croire que ces richesses immatérielles dépendent uniquement du marché. Cessons de croire que la liberté de chacun dépend d’une miraculeuse liberté conférée par une croissance infinie du pouvoir économique. Car il n’y a pas de liberté par capillarité, pas plus que de richesse par ruissellement des riches vers les pauvres. MJ

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