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Billet de blog 3 févr. 2023

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À qui les Ukrainiens peuvent-ils faire confiance ?

Depuis un an, les Ukrainiens attendent, attendent, attendent. Quoi ? Que leurs alliés occidentaux leur viennent en aide aussi vite et aussi fort qu’ils en ont besoin.

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D’une part, ils constatent sur le champ (de bataille entre autres) que s’ils résistent aux coups de boutoir des Russes, c‘est à un coût très élevé (en 2022, 42 milliards de dollars ont été consacrés à la défense nationale, soit un tiers du PIB).

D‘autre part ils se souviennent que par le passé l’aide leur a fait défaut, soit par son absence soit parce qu’elle n’était pas conforme à ce qu’ils souhaitaient.

Je retiens trois épisodes : la représentation de l’Ukraine à la conférence de la paix en 1919 ; le mémorandum de Budapest en décembre 1994 ; les accords de Minsk (5 septembre 2014 et 11 février 2015).

En 1919, les Ukrainiens tentent depuis 2 ans d’affirmer leur indépendance de l’Autriche-Hongrie d’un côté (Galicie, Volhynie), de la Russie de l’autre (tout le reste du pays considéré comme une province de l’empire). Lors de la conférence de la Paix, des délégués de la « République populaire ukrainienne » revendiquent, par un très long mémoire, la reconnaissance de l’indépendance de leur pays par les traités en cours d’élaboration. Ils ne parviennent même pas à devenir membres de la conférence, où ils sont représentés par la Pologne (que tout le monde s’accorde à reconstituer, après 225 ans de division et de dépendance). Pendant qu’ils se battent entre eux (Petlioura, Makhno), avec les Russes (blancs et rouges) et avec d’autres pays qui veulent les dépecer (Pologne, Roumanie, Hongrie), ils se trouvent partagés entre la Pologne (paix de Riga, mars 1921) et l’Union soviétique (décembre 1922). Ils ont cru devenir acteurs de leur destin entre 1917 et 1921, en vain.

En 1994, l’Ukraine est indépendante depuis 3 ans. Dès le 4 décembre 1991 le Parlement adresse une « lettre ouverte aux parlements et peuples du monde ». Il affirme que l’Ukraine est prête à adopter les accords de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE). L’Ukraine demande à ses États membres d’appuyer son intention de prendre place dans les structures européennes. Elle est alors la 3e puissance nucléaire de la planète, avec 1 700 ogives nucléaires. Selon les représentants officiels de l’Ukraine, le pays ne peut renoncer aux armes nucléaires que s’il est protégé militairement (par les EU, par l’OTAN, par l’ONU) et dispose de sa propre armée. Comme preuve de sa bonne volonté, l’Ukraine a refusé de signer le traité de défense mutuelle entre pays membres de la CEI. Le 5 décembre 1994, l’Ukraine signe le Mémorandum de Budapest, pour se défaire de son stock d’armes nucléaires, et adhère au traité START. Ce mémorandum, signé par L’Ukraine, la Fédération de Russie, le Royaume-Uni et les États-Unis d’Amérique, stipule notamment leur obligation de s’abstenir de recourir à la menace ou à l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de l’Ukraine, et qu’aucune de leurs armes ne soit utilisée contre l’Ukraine, si ce n’est en légitime défense ou d’une autre manière conforme aux dispositions de la Charte des Nations Unies. Les États-Unis et le Royaume-Uni servent de garant. Pourtant ils n’interviennent pas lorsque la Russie transgresse cet accord en 2014 et en 2022.

L’accord de Minsk du 11 février 2015 fait suite à celui du 5 septembre 2014, après l’invasion de la Crimée et du Donbass. Celui-ci, établi sous l’égide de l‘OSCE (organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), prévoit en particulier les dispositions suivantes : cessez-le-feu, autonomie temporaire des oblasts de Donetsk et de Louhansk, élections anticipées dans ces oblats, démilitariser la zone de conflit. Les combats reprennent dès la fin septembre pour le contrôle de l’aéroport de Donetsk. Lors d’un nouveau sommet à Minsk, le 11 février 2015, les dirigeants de l’Ukraine, de la Russie, de la France et de l’Allemagne se mettent d’accord sur les conditions d’un nouveau cessez-le-feu que les forces en présence s’accusent mutuellement de violer dans les jours qui suivent. Six autres réunions du même genre auront lieu, sans le moindre succès, entre 2015 et 2022. Les combats se poursuivent durant 7 ans, durant lesquels les Ukrainiens estiment qu’appliquer ces accords serait à leur détriment. La Russie reconnaît officiellement les « républiques » du Donbass, le 21 février 2022 et envahit l’Ukraine le 24.

Ces trois exemples, parmi d’autres, montrent à quel point l’Ukraine a pu se sentir peu soutenue dans sa recherche de liberté, alors qu’elle n’a cessé, dans sa majorité, à vouloir faire partie des pays occidentaux. Dès 1991, elle voulut, alors qu’elle se désarmait, entrer dans l’Union européenne. Trente-deux ans après cette première demande son cas est examiné avec bienveillance !

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