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Billet de blog 3 août 2013

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L'agriculture bretonne dans un cul de sac

La crise de l'agro-bussiness ne prend pas de vacances en Bretagne. Doux, Tilly-Sabco, pour le poulet, Gad pour le porc, dans le Finistère, ces industries de transformation animale ont supprimé des milliers d'emplois.

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La crise de l'agro-bussiness ne prend pas de vacances en Bretagne. Doux, Tilly-Sabco, pour le poulet, Gad pour le porc, dans le Finistère, ces industries de transformation animale ont supprimé des milliers d'emplois.

Des emplois directs et indirects, des éleveurs, aux ouvriers et aux transporteurs routiers, en passant par le commerce local dans plusieurs bourgs et petites villes du Finistère et du Morbihan. Hier, vendredi 2 août, l'interprofession s'est une nouvelle fois rebiffée. 500 représentants de la filière avicole réclamaient à la préfecture de Quimper (29 S) le maintien des restitutions européennes à l'export de volailles. 4000 emplois seraient menacés, selon la profession, par la suppression de cette aide financière, qui a été décidée avec une anticipation d'un an, le 18 juillet dernier, par la Commission européenne. Dans le même temps, sur la RN 12, entre Morlaix et Landivisiau (29N), quelques centaines de manifestants interdisaient toute circulation sur la voie express Brest-Rennes. Récemment installé par les services de l'Etat à Guiclan (19N) le portique électronique destiné à enregistrer le calcul de l'écotaxe sur les transports routiers, écotaxe décidée par le Grenelle de l'environnement, a fait les frais de la jacquerie. Il a été abattu en début d'après-midi. Sans intervention des forces de l'ordre qui étaient présentes. L'agriculture productiviste bénéficie toujours, on le voit une nouvelle fois, comme aucune autre corporation en France, d'une sorte d'impunité pour ses débordements fréquents. Ce qui devrait faire bouillir Manuel Vals.

L'Europe et l'environnement têtes de Turc

L'agro-bussiness incrimine deux têtes de Turc pour expliquer l'échec du " modèle" économique et environnemental qu'elle pratique : l'Europe accusée de tous les maux. Et qui jusqu'ici a pourtant été très généreuse en subventions, du moins pour certains agriculteurs, souvent les plus puissants et les plus influents. Et l'environnement et ses défenseurs qu'elle exècre. Parce que beaucoup de citoyens ne tolèrent plus les comportements irresponsables de quelques souillons de l'agriculture. Une partie croissante de la population bretonne des zones les plus exposées en surcharge d'épandage de lisier ne supporte plus le niveau inacceptable des nitrates dans les cours d'eaux, les pollutions de leurs captages d'eau déplacés à frais considérables se calculant par dizaines de millions d'euros, et, le plus visible et le plus dissuasif pour le tourisme, la prolifération des algues vertes. Qui, malgré l'aide financière considérable de l'Etat à la reconversion et la prise de conscience de quelques éleveurs soucieux de protéger l'environnement et la qualité de leur production, progressent néanmoins toujours sur le littoral breton. Il s'agit donc bien d'un échec sur le plan environnemental et sur le plan économique de la crise structurelle d'un modèle dépassé par les exigences de l'époque. Modèle ultra-libéral dont certains inconscients, pousse-au-crime ou simplement intéressés aux résultats, ont vanté les mérites et le caractère impératif. Sans mesurer les limites du système lui-même et de ses conséquences dramatiquement coûteuses en matière sociale et environnementale.

La Bretagne affaiblie par le chômage

Cette impuissance à réorienter une pratique agricole mortifère frappe de plein fouet une Bretagne affaiblie où le taux de chômage est de 9,1% à la fin du 1er trimestre 2013, soit une progression de +0,1 point par rapport au trimestre précédent. Cette crise est une crise sans précédent par ses conséquences humaines et sociales. Ne devrait-elle pas être l'occasion pour les responsables politiques de chercher à mettre en place un système de production moins destructeur ? L'Etat ne devrait-il pas planifier l'organisation de marchés capables de protéger les métiers de la filière agricole, le niveau d'emplois ? Après la nouvelle hémorragie que vient de subir la Bretagne, survenant après celle de la filière électronique il y a 25 ans, on s'étonne du silence retentissant des responsables régionaux. de la majorité au pouvoir. L'Etat ne peut pas tout. Mais il est urgent d'arrêter de tergiverser avec le monde agricole. Il est capital pour l'avenir de prendre des décisions nettes et courageuses pour protéger l'environnement,  et pour apporter, en même temps, aux consommateurs la garantie de disposer des produits dont il n'auront plus pas à douter de la qualité.

Un comportement schizophrène

Les agriculteurs conventionnels et les industriels de la transformation ne pourront pas durablement, de manière schizophrène, en appeler à l'aide publique et à la déréglementation des charges et clamer en même temps les vertus de la libre concurrence et du marché ouvert. Comme le font si bruyamment à chaque manifestation quelques leaders agricoles du courant syndical FNSEA des départements bretons. Un système économique fondé sur cette contradiction frontale est  condamné à périr, même si souvent les plus gros parviennent à tirer leur épingle du jeu en profitant à plein des aides publiques.Et cela vaut pour les industriels comme pour les céréaliers et gros éleveurs.

Des intérêts peu communs

Les protestations et manifestations à répétition sont perçues de plus en plus mal par la population pour leur caractère violent et coûteux pour la collectivité. Les excès déconsidèrent l'image de la profession. Les débordements ne changeront strictement rien aux données impitoyables et incontestables du marché. C'est pourquoi les acteurs de la filière doivent aborder leurs difficultés avec une analyse plus réaliste et plus adaptée à la situation. Il y a vraiment peu d'intérêts communs,-et ils sont même plutôt contradictoires-, entre un ouvrier de l'agro-industrie, un industriel, un producteur, ou un chauffeur routier du même secteur apparent d'activité. Ils le savent tous. 

Il n' y a guère que pour manifester, et casser éventuellement comme hier sur la RN 12, dans le Finistère, qu'ils ont des raisons de se retrouver côte à côte. Ce n'est pas suffisant pour convaincre qui que ce soit. Ni pour changer le cours des choses, ni à plus forte raison leur situation personnelle.

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