La propagation de l'information vient de faire un pas de géant. Les révolutions tunisienne, égyptienne et libyienne se déroulent en direct. Les masses de ces pays que l'on pouvait craindre pour plus longtemps encore sous la botte de leur geôlier se sont mobilisées sous nos yeux pour chasser les tyrans. Un media commun a permis de couper court aux circuits de la propagande du pouvoir et de briser l'omerta: Internet.
Dans le même temps, en France, hormis, disons-le grosso modo, Le Canard enchaîné et Médiapart les " journaux" ne font plus l'actualité. Les supports traditionnels de l'information, qu'ils soient quotidiens nationaux, régionaux, news-magazines ou radio-télé, font du suivisme. Ils se raccrochent aux branches de l'information. Ont recours, faute d'être en pointe sur l'info, à l'approfondissement du sujet, au commentaire plus ou moins suiviste et au dossier documenté. Mais ils ne changent pas le monde, ils commentent l'actualité. Et avec le monde qui accélère son destin, changent aussi inévitablement le rôle des journalistes.
Au Monde justement, aujourd'hui, les salariés du service interactif sont en grève, tous personnels réunis, pour manifester leur inquiétude en raison du projet de fusion de la rédaction du quotidien avec Le Monde.fr. D'autres titres ont pris de l'avance dans l'intégration des moyens et des statuts en place. Les titres de la presse quotidienne régionale et les news magazines ont déjà formé leurs équipes au multimedia, à marche forcée. Ont eu largement recours pour le faire aux CDD et aux stagiaires presque toujours sous-payés, tout en renâclant à respecter ou reconduire les accords droits d'auteurs passés antérieurement avec les titulaires. Le travail bénévole ou presque est le lot de beaucoup trop de jeunes travailleurs de l'information.
Dans le même temps, arrivent dans le capital des journaux des investisseurs qui ne sont pas de la partie. Passons sur l'arrivée de Pierre Bergé et de ses associés au Monde, et sur Rotschild à Libération. Parlons plutôt de l'arrivée des banques comme propriétaires de journaux. Le 12 janvier dernier, les syndicats des quotidiens de L'Alsace et des Dernières Nouvelles protestaient contre l'arrivée du Crédit mutuel au capital. Cette banque possède déjà le Républicain lorrain et le groupe Bourgogne-Nord Alpes. En juin 2010, par son PdG Michel Lucas, la direction générale du Crédit mutuel, qui pourtant ne parle jamais à la presse s'exprime devant les journalistes du Progrès et du Dauphiné pour leur vanter les avantages de la mutualisation des moyens.
On voit bien l'économie d'échelle en emplois et en moyens et surtout la perspective de synergies industrielles profitables. Enfin, en novembre dernier, le Crédit mutuel a pris le contrôle du groupe de L'Est républicain, qui comprend notamment Les Dernières nouvelles d'Alsace, par le rachat de 43 % des parts du PDG, Gérard Lignac. The last mais not the least, probablement. Car il se pourrait que la liste ne soit pas exhaustive. Ces jours-ci, le capital du groupe La voix du Nord, une grosse pointure parmi les groupes de presse régionale française, et comportant trois quotidiens locaux, un gratuit, une vingtaine d'hebdos et une TV TNT, est racheté par Crédit agricole du Nord.
A qui le tour ? Le Crédit mutuel et le Crédit agricole ont encore obtenu en 2010, -mais tant mieux c'est la crise-, des résultats financiers faramineux et possèdent un appétit vorace à poursuivre leur marché dans la presse régionale. Mais qu'adviendra-t-il de la capacité à informer quand les entreprises de presse feront majoritairement leur recette sur la commercialisation de produits dérivés et que les journalistes seront au guichet ?
Encore plus heureux les banquiers patrons de presse si l'Etat impartial continue à leur verser de juteuses aides à la presse. Le Canard enchainé, Médiapart et quelques rares entreprises libres pourront peut-être continuer à tenter à faire de l'information. Par leurs propres moyens si on leur en laisse le droit et les moyens économiques. Sinon la communication passera par les réseaux sociaux. Comme ailleurs en ce moment.
Michel Kerninon