On entre dans l'aventure
Après le président Macron qui qualifiait les gilets jaunes, dans ses « vœux » du 31 décembre, de « foule haineuse », mais après Castaner qui avait parlé de « factieux », voici Griveaux qui voit, dans ceux qui poursuivent le mouvement, des « agitateurs qui veulent l’insurrection et, au fond, renverser le gouvernement ». Au-delà des mensonges, le ton est à l’aggravation de la répression avec l’intention d’en finir avec le mouvement, dans la suite logique des propos de Macron qui avait appelé au « rétablissement de l'ordre républicain qui sera assuré sans complaisance ».
Après le mépris puis les miettes distribuées sans répondre aux principales demandes et doléances, voici venir la reprise en main.
Au lieu de miser sur une baisse de la tension, sur un dialogue sincère et sans conditions préalables, sur la réponse à ceux qui ne voient pas une prise en compte des demandes des gilets jaunes dans les concessions faites jusque-là, arque bouté sur son projet de réforme libérale à la hussarde de la société française, le gouvernement choisit la confrontation.
Le pouvoir qui avait déjà exercé la pire des violences policières et provoqué ainsi de multiples blessures, parfois invalidantes, chez les manifestants et qui avait appelé les juges à prononcer « les peines les plus sévères » contre ceux qui avaient été capturés, très souvent sans motif valable, veut une solution policière et autoritaire à la crise de crédibilité et d’autorité qui l’atteint.
Voilà qu’on pressent un retour possible à une situation que la France n’avait même pas vécue lors de la crise de mai-juin 68 et qu’elle n’avait plus connue depuis la répression des manifestations contre la guerre d’Algérie voire depuis la répression des grandes grèves ouvrières de 1947.
L’homme qu’on avait vu au départ comme un courtisan vaniteux, arriviste et sans scrupules, comme un bonimenteur fatigué, un dissimulateur maladroit, un attrape-tout menteur et cynique, et finalement comme un aventurier à la vocation autoritaire non dissimulée auquel les « élites » avaient décidé de livrer le pays (voir à ce sujet notre post de blog d’avril 2017 intitulé « Une aventure », sur ce site), révèle, après un peu moins de deux ans de ce mandat présidentiel obtenu à l’esbroufe, sa tentation de se mouler dans ce que la droite - qu’on appelait « le parti de l’Ordre » - a produit de plus insupportable au cours des deux siècles qui ont suivi la Révolution ; on pense à l’exemple de Louis Napoléon Bonaparte, ce premier président de la République élu au suffrage universel devenu l’homme du coup d’État sanglant du 2 décembre 1851 que Victor Hugo traitait de « Napoléon-le-petit » et qu’il dénonça sans relâche depuis l’exil, en particulier dans Les Châtiments**, et à l’exemple d’Adolphe Thiers, l’homme qui fut le massacreur de la Commune de Paris de 1871 (25 000 assassinés, sans doute) et que Karl Marx qualifiait de « nabot monstrueux (qui) a tenu sous le charme la bourgeoisie française pendant plus d'un demi-siècle parce qu'il est l'expression intellectuelle la plus achevée de sa propre corruption de classe ».
Le choix de la surdité, de la manipulation mensongère, de la menace et de la violence répressive, la promesse d’un « retour à l’ordre », via les bras de la police et de la justice, face aux demandes et doléances exprimées pacifiquement par les gilets jaunes et où se mêlent des aspirations à plus de liberté, d’égalité et de fraternité - considération et respect, justice fiscale et sociale, expression citoyenne et réformes démocratiques, moins d’égoïsme et plus d’« en commun » -, ce choix est lourd de menaces pour la paix et le lien civiques. Il ne peut être analysé que comme un choix de caste, hautain et aveugle, de maintenir à tout prix ses privilèges et ses prérogatives.
Le gouvernement met en scène sa proposition de soi-disant « grand débat national » pour se présenter comme ouvert au dialogue mais dans le même temps il ne dissimule pas qu’il s’agira d’un dialogue sourd - comme l’avaient déjà été les « concertations » autour de la loi Travail ou de la loi SNCF - et il affirme que « le cap sera maintenu », que les « réformes » (libérales) prévues seront menées à leur terme et que les principales demandes des gilets jaunes seront donc rejetées. Il s’agit donc d’un simple habillage.
Aucune solution institutionnelle démocratique n’est envisagée à ce stade : le pouvoir est décidé à s’appuyer sur sa « majorité » fictive parmi les députés pour passer en force au Parlement. Ne peut s’ensuivre qu’une nouvelle fracture entre « le pays légal et le pays réel ». La fuite en avant est entamée.
Dans cette situation, tous les démocrates ne peuvent qu’être très inquiets. Ils doivent se rassembler pour arrêter les apprentis-sorciers qui détiennent le pouvoir, les appeler à la retenue et à l'ouverture, appeler à une issue politique respectueuse de l’esprit républicain. Et appeler à une réponse qui soit à la hauteur de toutes les doléances qui montent du pays.
 ** « Il règne. Nous avons voté ! Vox populi. –
 « Oui, je comprends, l’opprobre est un fait accompli.
 « Mais qui donc a voté ? Mais qui donc tenait l’urne ?
 « Mais qui donc a vu clair dans ce scrutin nocturne ?
 « Où donc était la loi dans ce tour effronté ?
 « Où donc la nation ! où donc la liberté ? »
         V. Hugo, Les Châtiments
 
                 
            