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Billet de blog 7 août 2025

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Il y a 80 ans, HIROSHIMA. Notre avenir ?

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Il y a 80 ans, HIROSHIMA

Il y a 80 ans, le 6 août 1945, Les États-Unis, sur un ordre donné par le président Truman, larguaient sur la ville japonaise d’Hiroshima une bombe atomique, arme nouvelle dont l’efficacité avait été testée avec succès, le 16 juillet précédent, dans le désert du Nouveau Mexique.

La bombe d’Hiroshima, d'une puissance estimée à l’équivalent de 15 000 tonnes de TNT, a provoqué la mort immédiate d’environ 70 000 personnes et celle d’au moins autant de victimes dans les jours et semaines qui ont suivi – essentiellement des civils.

Un second bombardement atomique a eu lieu le 9 août sur la ville de Nagasaki.

L’arme atomique n’a jamais été réutilisée sur un champ de bataille depuis 80 ans. Les armes actuelles qui ont une puissance destructrice hors de comparaison avec la bombe d’Hiroshima, si elles venaient à être utilisées, au-delà des victimes directes des explosions et des pollutions radioactives, pourraient conduire à la disparition de l’espèce humaine.

Dans les mois et les années qui ont suivi les bombardements atomiques sur le Japon, les États-Unis n’ont jamais été mis en cause pour avoir commis des crimes de guerre contre les populations civiles japonaises (sans doute ces derniers crimes se noyaient-ils dans l’immensité du nombre de victimes de toute sorte dues aux quatre années de la Seconde Guerre mondiale, dans la masse des crimes de guerre commis pendant celle-ci, par exemple les bombardements des populations civiles dans les villes anglaises, allemandes et autres ; d’autre part la découverte de la politique d’extermination menée par les nazis dans les camps qui a abouti à la définition juridique nouvelle du crime contre l’humanité a pu conduire à relativiser le coût humain de la victoire des Alliés sur les régimes fascistes ; enfin, dès le lendemain des bombardements sur Hiroshima et Nagasaki la course à la bombe a commencé, du côté de l’Union soviétique d’abord, celle-ci suivie ensuite par le Royaume-Uni et la France).

Par contre, un puissant mouvement a pris naissance dans le monde scientifique, aux États-Unis en particulier – les Atomic Scientists – pour mettre en garde les gouvernements sur la nature de cette arme qui, dès sa première utilisation, est apparue comme ayant moins un intérêt militaire qu’une vocation à être utilisée pour terroriser un adversaire en ciblant sa population, et contre les risques liés à la propagation d’une radioactivité artificielle, d’une pollution de l’atmosphère, des océans et des sols, et même d’une dégradation du patrimoine génétique des êtres vivants à la surface du globe. Ces scientifiques ont tenté de convaincre les gouvernements, à travers l’ONU, de renoncer à cette arme, d’en organiser un contrôle et son élimination. Face à la multiplication des essais atomiques de grande puissance – ceux concernant l’arme thermonucléaire ou bombe H – ils ont alerté sur la réalité immédiate et concrète de ces risques. Face à l’accumulation des stocks d’armes super-puissantes, ils ont formulé un thèse de « l’hiver nucléaire » selon laquelle en cas d’utilisation massive de ces stocks d’armes, la généralisation des incendies accompagnés de dégagements de fumées toxiques et radioactives pourrait conduire à obscurcir pendant les mois ou des années l’atmosphère, ce phénomène pouvant entraîner une baisse drastique de la température à la surface de la Terre et conduire à une extinction massive des espèces, à une famine générale pour les humains survivants et, finalement, à la disparition de l’espèce humaine. C’est ainsi que s’est formé le mouvement Pugwah.

L’opinion publique mondiale a été sensibilisée à cette question. C’est ainsi que des millions de citoyens ont signé, en 1950 – alors que la guerre de Corée faisant rage et menaçait d’aboutir à l’utilisation de l’arme atomique – le fameux « Appel de Stockholm » qui tenait en trois phrases :

« APPEL
Nous exigeons l'interdiction absolue de l'arme atomique, arme d'épouvante et d'extermination massive des populations.
Nous exigeons l'établissement d'un rigoureux contrôle international pour assurer l'application de cette mesure d'interdiction.
Nous considérons que le gouvernement qui, le premier, utiliserait, contre n'importe quel pays, l'arme atomique, commettrait un crime contre l'humanité et serait à traiter comme criminel de guerre.
Nous appelons tous les hommes de bonne volonté dans le monde à signer cet appel. »

En juillet 1955, le philosophe britannique Bertrand Russell et le physicien atomiste Albert Einstein ont rédigé un « Manifeste », assez long, signé avec eux par une dizaine de scientifiques de premier plan, invitant l’ensemble du monde scientifique à s’unir pour faire face à la menace.

Ils déclaraient ceci : « Sachant qu’en cas de nouvelle guerre mondiale les armes nucléaires seront certainement employées et que ces armes mettent en péril la survie de l’humanité, nous invitons instamment les gouvernements du monde à comprendre et à admettre publiquement qu’ils ne sauraient atteindre leurs objectifs par une guerre mondiale et nous leur demandons instamment, en conséquence, de s’employer à régler par des moyens pacifiques tous leurs différends. »

Août 2025

En 2025, le péril nucléaire est présent plus que jamais compte tenu des incertitudes géopolitiques, de la dégradation des relations internationales, de la multiplication des foyers de guerre. Toutes les puissances nucléaires actuelles se disent ralliées à la doctrine dite de « la dissuasion », laquelle revient à reconnaître qu’au centre de leur politique de défense elles placent le principe de cibler les populations civiles de leurs potentiels adversaires. Plus que jamais l’arme nucléaire est une arme de destruction massive sans raison d’être tactique ou stratégique dans la façon de mener une guerre. Plus que jamais les trois phrases de l’Appel de Stockholm restent valides.

Posons la question : quel homme politique, actuellement au pouvoir ou prétendant y accéder un jour, peut en toute conscience déclarer à ses potentiels électeurs qu’il se réclame de la doctrine de la dissuasion atomique et ajouter que, s’il était confronté à une crise majeure, il serait susceptible de donner l’ordre de procéder à l’utilisation de l’arme nucléaire contre un adversaire ? Où est l’humanisme là-dedans ? Où est la civilisation ? Où est la morale ?

Peut-on donner son suffrage à un homme politique – ou une femme politique – qui n’inclut pas dans son programme un projet de renonciation à la force de dissuasion ?

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