Pourquoi je n'ai plus confiance dans Médiapart
pour m'informer correctement sur la guerre en Ukraine.
Poutine a sans doute très peu de chances de pouvoir gagner la guerre qu’il a déclenchée contre Ukraine, mais les adversaires de Poutine n’ont aucune chance de gagner la guerre contre la Russie. Tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, contribuent à jeter de l’huile sur le feu sont des apprentis sorciers ; ils nous préparent une guerre totale dont l’humanité sortirait écrasée.
Tous ceux qui appellent à la création d’un espace aérien interdit à l’aviation russe au-dessus de l’Ukraine veulent en fait la guerre totale.
Tous ceux qui appellent à la fourniture d’armes offensives à l’Ukraine, à l’envoi de combattants volontaires, préparent la guerre totale.
Tous ceux qui appellent au renversement du «dictateur Poutine» doivent revenir à la raison ; c’est au peuple russe, s’il le veut et quand il le voudra de se débarrasser de cet autocrate - autocrate qui est d’ailleurs, en partie, une créature de l’Occident, tout comme l’ont été les Saddam Hussein, les Talibans et tant d’autres dans le passé.
C’est entendu, Poutine est l’agresseur et c’est un criminel de guerre.
Ni plus ni moins que George Bush en son temps. Le peuple irakien ne méritait pas moins notre solidarité que le peuple ukrainien et pourtant il a été abandonné à son sort et des centaines de milliers d’Irakiens en sont morts. Les États-Unis n’ont pas subi de sanctions, n’ont pas été mis au ban des nations et l’agresseur George Bush n’a jamais été traîné devant un tribunal pour rendre compte de ses actes.
Alors, face à Poutine, il faut sans doute espérer faire mieux qu’en 2002, face à Bush. La condamnation internationale est forte, mais relative : il faut convaincre les Chinois et les Indiens, et tous les pays qui se sont abstenus, à l’assemblée générale de l’ONU, lors du vote de la motion de condamnation de l’agression russe en Ukraine de changer de position. C’est à l’ONU que cela doit se passer! Ces abstentions nombreuses montrent que le point de vue «occidental» sur la crise actuelle n’est pas universellement partagé. Pourquoi ?
Il faut renforcer des sanctions vraiment ciblées contre tous les soutiens de Poutine et non prendre des mesures qui risquent de conduire le peuple russe à faire bloc avec le pouvoir. La saisie des biens des oligarques n’est pas réalisée ; on se contente de « bloquer » leurs avoirs. Il apparaît que peu d'oligarques sont ciblés et que ceux-là sont à peine touchés par les mesures prises; il apparaît même que des pays comme le Royaume-Uni ne jouent pas le jeu. Les sanctions visant les oligarques comme complices de l'agression sont justifiées en droit. Les sanctions qui visent le peuple russe sont illégitimes et ne peuvent être approuvées, en droit.
En tous cas, la surenchère de sanctions qui n’ont jamais fait leurs preuves n’ouvre aucune perspective autre que l’aggravation de la confrontation. Tout le monde sait qu’à part les États-Unis et leurs alliés, le reste du monde n’est pas partie prenante de cette politique des sanctions qui n’a été avalisée par aucun forum des nations (sans parler du conseil de sécurité où le véto russe pourrait les bloquer).
Une guerre camp contre camp.
Jusqu’à ce jour, la réaction des Européens a été de faire de cette guerre d’Ukraine une affaire entre le « camp occidental » et la Russie. De ce point de vue, les États-Unis et l’UE sont isolés vis à vis du reste du monde, et ils ne portent aucune autre légitimité que celle qu’ils se donnent. Si la condamnation de l’agression russe est très certainement légitime au regard de la charte des Nations-Unies et du droit international, cela ne suffit pas à légitimer en droit les mesures décidées par l’Occident, y compris les livraisons d’armes à l’Ukraine.
Alors, comment en sortir ?
Il faut proclamer l'urgence prioritaire de la désescalade et proscrire tout discours, toute mesure, tout comportement, qui aggravent la guerre.
Il faut obtenir un cessez-le-feu immédiat et contrôlé sur le terrain par des forces de l’ONU (cessez-le-feu qui ne peut donc être négocié seulement entre les Russes et les Ukrainiens). Poutine n’y est sûrement pas prêt sans obtenir en parallèle des compensations ? Lesquelles ? Il faut en discuter, et pas seulement entre Ukrainiens et Russes. La guerre ne peut s’arrêter que si les adversaires discutent et font des compromis. Il ne semble pas que le gouvernement de l’Ukraine soit fermé à certains compromis, par exemple sur la neutralisation de l’Ukraine ou sur un nouveau statut des territoires du Donbass. Il faut que ces propositions soient formalisées et que Poutine soit mis au pied du mur d’accepter ou de refuser des compromis.
Mais il faut dans le même temps ouvrir des discussions ouvrant la voie à une perspective de compromis et de traité international offrant une solution à la situation d’ensemble qui, en Europe, a conduit à la guerre ; et cela très vite, avant que celle-ci ne s’étende et dégénère : Discussion sur les armements et le désarmement, sur les frontières, sur la sécurité collective, sur les traités d’alliance et sur le rôle de l’OTAN.
Or, il n’y a aucun forum où discuter avec Poutine de ces questions d’ensemble. Biden doit rencontrer Poutine. Le conseil de sécurité de l'ONU est pris en otage par les Russes et leurs adversaires au lieu d'être un lieu de recherche d'une gouvernance mondiale concertée et apaisée. Le conseil de sécurité de l’ONU doit être saisi d’une proposition de résolution présentant les termes de l’ouverture de discussions en vue de la recherche d’une entente entre la Russie et les autres membres de ce conseil. Pourquoi la France ne ferait-elle pas une proposition ? peut-être en s’associant avec des partenaires comme l’Inde ou l’Afrique du Sud?
La politique de l’OTAN en tant que puissance militaire qui a, depuis trente ans, renforcé sa présence sur le sol européen, multiplié les bases militaires, implanté des armements offensifs nombreux et, finalement, contribué à un encerclement de la Russie, doit être remise en cause. La Conférence pour la sécurité collective en Europe doit être réactivée sans délai.
Mikhaïl Gorbatchev qui, en son temps, a recherché les conditions de la création d'une Maison commune européenne, qui a permis la réunification des deux Allemagnes, qui a dissout le Pacte de Varsovie, dénucléarisé les ex-républiques soviétiques tout en leur rendant leur liberté, démocratisé la Russie, (etc.) a été trahi, je dis bien trahi, par ses homologues occidentaux qui ont profité de l'état d'affaiblissement du régime soviétique pour programmer la disparition de cet Etat. Et voilà où nous en sommes (On pourrait en dire autant de la situation du Moyen-Orient ou de celle de l'Afghanistan....).
S'il doit y avoir un autre monde, demain, ça ne peut pas être celui qu'on nous concocte au Kremlin ou au Pentagone.