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Billet de blog 21 avril 2018

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« À QUEL CHAPITRE DE L’HISTOIRE VOULEZ-VOUS APPARTENIR ? »

C'est la question posée à ses collègues par Danièle Obono, députée de Paris, membre du groupe de la France insoumise à l’Assemblée. Quelle sera la vision du futur sur les choix d’aujourd’hui en matière d’accueil des migrants/réfugiés de toute nature et de toutes les origines ?

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 « Mesdames et messieurs les député∙e∙s :
À QUEL CHAPITRE DE L’HISTOIRE VOULEZ-VOUS APPARTENIR ? »

Telle est la question posée à ses collègues des divers bancs, mardi dernier, par Danièle Obono, députée de Paris, membre du groupe de la France insoumise à l’Assemblée. Elle intervenait dans la discussion (en procédure accélérée) du projet de loi Asile et immigration, porté par le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, au nom du gouvernement et du président de la République (https://www.youtube.com/watch?v=VA4ZQKg2lnA).

Danièle Obono a donné, sur un ton calme et emprunt de gravité, une leçon de civisme d’une grande dignité et d’une belle hauteur de vue : ce fut un réquisitoire, prononcé au nom de tous les émigrés/immigrants, au nom de tous les disparus sur les routes de l’exil, et aussi au nom des centaines d’associations et des milliers de bénévoles, d’accompagnants et de militants qui interviennent auprès de leurs frères humains en péril, y compris en défiant le fameux « délit de solidarité ». Elle a solennellement interpellé ses collègues, les élus de la nation :

« Souhaitez-vous, avec ce projet de Loi Asile Immigration, continuer à creuser un sillon macabre, ou souhaitez-vous faire honneur à notre histoire et à notre peuple? »

Comme il est habituel, les propos de Danièle Obono n’ont pas trouvé d’écho dans la sphère médiatique : nul extrait de son discours diffusé dans les JT, pas d’interview ensuite dans la salle des Quatre colonnes de l’Assemblée. En tous cas, les vitupérations d’un monsieur Ciotti, les obsessions d’une madame Le Pen ont eu droit à bien plus d’égards. Pourquoi les chaines dites d’information en continu ne trouvent-elles pas le moyen de diffuser des séquences substantielles des débats parlementaires, dans la durée et sans coupure ? Pourquoi n’y a-t-il pas, sur les sites des grands médias nationaux, une rubrique permanente consacrée aux travaux parlementaires ? Pourquoi, à l’inverse de ce qui s’est longtemps pratiqué, aucun journal papier de grande diffusion ne reproduit-il des extraits significatifs des discours tenus à la tribune* ? Pourquoi - alors qu’il existe, par exemple, des comptes-rendus vivants d’audiences au tribunal, confiés à des journalistes spécialisés et compétents - n’existe-t-il pas de comptes-rendus à la fois vivants, informatifs et contradictoires, des séances de l’Assemblée nationale ? Le résultat des votes lui-même ne peut être retrouvé, le plus souvent, que sur le site de l’Assemblée**… Comment le public peut-il s’informer des décisions prises en son nom ? Un fait s’impose : par ses choix, le système médiatique contribue activement à la dévalorisation du rôle du Parlement et nourrit le désintérêt des citoyens à son égard.

Revenons aux propos de Danièle Obono et à son interpellation placée sous les regards de « l’histoire ». Sa référence à ce que sera la vision des hommes du futur sur les choix politiques d’aujourd’hui en matière d’accueil des réfugiés de toute nature et de toutes les origines renvoyait l’Assemblée toute entière aux principes politiques (et moraux) sensés guider les choix de ses membres.

L’historien Gérard Noiriel a écrit : « Aujourd’hui, nous avons toujours cette question-là, le problème de l’immigration : on dit toujours que c’est un problème. L’extrême-droite, Maurras, l’Action française, ont réussi (dans les années Trente, ndlr) à devenir hégémoniques quand ils gravent dans la tête de la majorité des Français que les juifs sont un problème. Une fois que vous avez réussi à faire admettre l’idée qu’une population, qu’une partie d’une population est un problème, vous avez déjà fait l’essentiel du travail. »

Comme François Ruffin qui s’interrogeait, ces jours-ci (https://www.mediapart.fr/journal/france/180418/francois-ruffin-dans-le-cadre-de-l-ue-aucune-politique-dissidente-n-est-possible), sur le regard qu’on portera dans quelques décennies sur l’invraisemblable dogme de la « concurrence libre et non faussée » qui s’impose aujourd’hui dans toutes les discussions et décisions concernant la vie économique et sociale et l’avenir de l’Europe, Danièle Obono a voulu pointer du doigt, derrière le caractère bureaucratique et technocratique des mesures annoncées dans le projet de loi, appelé dans la novlangue gouvernementale « Pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie » et que les associations préfèrent dénoncer comme le « Code de la honte » (https://www.lacimade.org/code-de-honte-colere-monte), une régression humanitaire et morale, un renoncement aux valeurs humanistes essentielles qui fondent la République et l’État de droit (tellement invoqué par certains, souvent en dépit du bon sens) dont l’avenir aura du mal à comprendre qu’elle ait pu s’imposer dans la France du début du vingt et unième siècle. Que reste-t-il, en fait et pratiquement, du « droit-de-l’hommisme » dans lequel se drapent habituellement les autorités politiques et médiatiques lorsqu’elles dissertent sur la situation du reste du monde ?….

L’histoire, parlons-en ! L’attitude actuelle de la France vis-à-vis des migrants et des réfugiés n’a qu’un précédent comparable, celui de la vague xénophobe des années 1930-1939. Elle visait, dans un contexte de fortes tensions économico-sociales, une immigration alors essentiellement européenne mais durement stigmatisée (par exemple à travers de nombreux vocables : « Espingoins », « Ritals », « Polaks » et autres « Youpins ») comme le sont les migrants lointains d’aujourd’hui. Voyez cette citation d’un célèbre journaliste qui « exotisait » ainsi, dans un reportage, les immigrés marseillais : « L’Espagnol misérable rétrograde jusqu’au sauvage ; la bicoque devient hutte ; la hutte tombe dans l’immondice ; l’immondice prend vie et se manifeste en pullulations pédiculaires. » Le thème de « l’immigré qui prend son travail à l’ouvrier français » est alors très courant : « Paradoxe irritant en France à l’heure actuelle, déclarait un député socialiste à la Chambre, 500 000 chômeurs, deux millions d’ouvriers étrangers. » On se plaignait de ce qu’ils étaient mieux logés que des familles nombreuses françaises. L’extrême droite dénonçait une gauche où elle voyait pléthore de « juifs bolchéviques » et de « métèques plus ou moins naturalisés ».

De discours de « bon sens » en argumentations fabriquées on en vint à des choix politiques, juridiques et administratifs de plus en plus hostiles aux migrants. Ils s’annoncèrent d’abord, dès 1932, avec la fermeture des frontières et des mesures d’aide au retour volontaire ou forcé, puis avec l’adoption de quotas et de contingentements, et finirent pas déboucher sur la reconduite aux frontières de ces « étrangers indésirables » qu’on trouvait trop nombreux, dangereux, suspects, et leur détention dans des camps d’internement qu’ils ne quittèrent, souvent, que pour rejoindre les camps nazis. Henry Béranger, représentant de la France auprès de la SDN, déclarait, lors de la conférence d’Évian qui débattait de l’accueil des juifs fuyant le nazisme : «Ma patrie a déjà fait jusqu’à l’épuisement de ses propres ressources qui ne sont, hélas, pas aussi illimitées que son ardeur à servir la communauté des hommes. » À son homologue Georges Bonnet qui lui déclarait qu’il ne voulait plus accueillir de juifs en France et souhaitait même en reconduire environ 10 000 aux frontières, le ministre des Affaires étrangères nazi Ribbentrop répondait : « Le problème c’est que personne n’en veut… »

« Submersion migratoire », vous dit-on….

Compléments du dimanche 22 avril :

*voir par exemple les interventions d'Elsa Faucillon, député.e. GDR des Hauts-de-Seine : http://www2.assemblee-nationale.fr/deputes/fiche/OMC_PA721896

**lors du vote de l'amendement tendant à interdire la rétention des mineurs (des familles avec des mineurs), 4 député.e.s LRM ont voté pour (4 députées femmes) et 7 se sont abstenues (7 femmes)... (http://www2.assemblee-nationale.fr/scrutins/detail/(legislature)/15/(num)/522)

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