La revue Action Poétique fête ses soixante ans d’existence et son 200e numéro. Et prépare son 201e numéro, principalement consacré à la poésie kurde.
Action Poétique est l’une des plus anciennes revues françaises de poésie et certainement la plus vivace, la plus active, la plus créative. Créée au printemps 1950, à Marseille, à la suite d’une grève des dockers, par Jean Malrieu et Gérald Neveu sous la forme d’un journal militant ronéotypé, elle va très vite rassembler des poètes qui, tout en se livrant à leur expérience poétique, se veulent engagés dans la société. Une photo[1] montre André Remacle, Gérald Neveu, Joseph Guglielmi, Henri Deluy derrière une table à tréteaux, une grande affiche sur le devant : « La poésie au service du peuple », avec la même force affirmative et naïve que celle des films de Renoir. Cela se passe certainement à une fête du parti communiste. Autour d’eux d’autres banderoles « Union des femmes françaises, Bouches-du-Rhône » , « Contre la répression colonialiste ». Action Poétique n’est pas une revue doctrinale comme l’a été Tel Quel, mais une revue de combat et dès les commencements. Les premiers participants, pour la plupart, écrivaient dans les prestigieux Cahiers du sud. Ils les quittent, tournant le dos à une poésie du désengagement, pour une poésie issue de la Résistance, et liée au surréalisme et aux luttes sociales. Certains sont communistes, tous sont issus de milieux populaires, et parfois de l’immigration. Il y a là un socle qui ne se dément pas. L’amitié a fait le reste.
Longévité de la revue mais aussi longévité, en son sein, de ses membres. Exemple parlant de celle-ci, Henri Deluy entre en 1954 au comité de rédaction de la revue, et en devient quatre ans plus tard le rédacteur en chef. Il en est actuellement le directeur. Figure exemplaire d’une autre particularité de la revue, Joseph Guglielmi la quittera trois fois pour y revenir trois fois. Et y rester encore. Sous l’impulsion d’Henri Deluy, mais aussi de ses nombreux collaborateurs comme Jacques Roubaud, Jean Pierre Balbe, on y pratique l’art subtil de la concorde, de la conjugaison des disparités et des désaccords. C’est certainement là l’un des secrets de sa longévité et de la façon bien à elle d’avoir su se renouveler et trouver son originalité : elle ne publie pas seulement les poètes qui en sont membres mais explore tous les territoires de la poésie, depuis Maïakovski et le futurisme jusqu’aux innovations d’écriture rendues possible par les ordinateurs; des poètes latins à l’Oulipo, des troubadours à Tel Quel, du tango à la psychanalyse. Elle se met à voyager au-delà de toutes les frontières et à pratiquer toutes les langues.
Il faut lire l’excellente anthologie écrite par Pascal Boulanger [2] et sa non moins excellente préface qui retrace, période après période, le déjà long parcours de la revue. La confrontation à Tel Quel dans les années soixante et à son refus d’une écriture de l’engagement, années de crise et de cécité devant l’irruption de cette nouvelle modernité. 1968-1978, présence sur tous les fronts : Mai 68 (la revue en est alors à son numéro 65), Prague, Poètes iraniens, Jdanov et le réalisme socialiste, Bertold Brecht, le Proletkult, Vietnam, Chili, ouverture à la linguistique et à la psychanalyse, le formalisme russe.
Puis dans les années qui suivent Poésies en France, Poésies étrangères, Réflexions sur la forme-poésie, le vers-la prose, Poésies du Val-de-Marne, de la Chine à Cuba.
Dans cet aperçu fragmentaire d’une revue dont l’histoire n’en finit pas, qu’on me pardonne, je ne citerai pas les noms de tous ceux qui ont fait et qui font Action Poétique, certains attachés au vers, d’autres à la prose, tous oeuvrant dans une extraordinaire diversité d’écritures. Là se trouve une grande part de ce qui est en gestation dans le travail du langage. Tous ces poètes sont unis par une même inquiétude de la langue, du travail d’une forme qui sait faire résonner les connotations les plus indicibles des mots en une conspiration polyphonique qui résiste à l’ordre mondialisé, normalisateur et oppressif.
La vie de cette revue est comme celle de la poésie qui en est la matière : « A l’usage stéréotypé de la langue, à la répétition du sens préétabli, le poème propose un excédent, une multiplicité de sens et de sensations. C’est aussi le mouvement du désir, celui de la mort ou du deuil impossible à surmonter qui se reproduit dans le poème »[3]. Ce mouvement qui anime Action poétique est ce bégaiement de la forme et du sens qui permet au symbolique d’échapper à son recouvrement par le spectaculaire du langage marchandise.
Dimanche dernier, le théâtre de la poésie[4], pendant trois heures, a fêté Action Poétique.
Sous la présidence d’Henri Deluy, des plus anciens jusqu’au plus récents, des membres de la revue ont lu chacun deux poèmes : Claude Guerre, Olivier Cadiot, Élisabeth Roudinesco, Jérôme Game, Gérard Noiret, Amr Ahmed (Kurdistan), Nora Bossong (Allemagne), Yves Boudier, Pascal Boulanger, Marie-Louise Chapelle, Jean-Michel Espitallier, Claude Favre, Joseph-Julien Gugliemi, Saskia de Jong (Pays-Bas), Justine Landau, Hubert Lucot, Sarah Riggs (États-Unis), Françoise Robin (Tibet), Jacqueline Starer, Éric Suchère, Jean-Jacques Viton.
Ils ont lu des poèmes.
Ont lu des poèmes.
Lu des poèmes.
Des poèmes.
Poèmes.
[1] Pascal Boulanger Une « Action Poétique » de 1950 à aujourd’hui. Flammarion, 1998.
[2] Ibid.
[3] Ibid. p. 149
[4] Maison de la poésie 157, rue Saint-Martin pass. Molière 75003 Paris