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Billet de blog 6 juin 2015

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LE CONCORDAT D’ALSACE ET MOSELLE

Une brèche dans la Séparation

 Article publié dans Communes, Départements et Régions de France, n° 17-18, mai 2015

Certains mots oubliés reviennent parfois à la mode, retrouvent leur place dans le débat public. Ainsi le Concordat, il y a peu, n’intéressait guère que les historiens. 

Il y avait bien la tentation avouée par une partie des responsables politiques de revenir sur la loi de 1905 : la campagne sur la laïcité ouverte ; le discours du Latran et la supériorité du curé sur l’instituteur ; le discours de Riyad célébrant « le Dieu unique des religions du Livre.  Dieu transcendant qui est dans la pensée et dans le cœur de chaque homme. ».

Sous couvert d’affirmation de liberté de religion (et non de liberté de conscience), de lutte contre la discrimination, se dissimulait la tentation  concordataire, celle exprimée dans le préambule du traité signé en 1801 par le 1er Consul Bonaparte et la Papauté, un traité conclu « tant pour le bien de la religion que pour le maintien de la tranquillité intérieure ». Le rêve peut-être de tout ministre de l’Intérieur : faire, autrefois des curés, pasteurs, rabbins, et aujourd’hui des imams, les auxiliaires du maintien de l’ordre … 

Mais personne n’osait utiliser ce vieux mot de Concordat… personne sauf un parlementaire UMP de Moselle, François Grosdidier, qui déposa en 2006 une proposition de loi « visant à intégrer le culte musulman dans le droit concordataire d’Alsace et de Moselle »… 

Le président de l’UMP, partisan d’une laïcité ouverte lorsqu’il était à l’Intérieur et au début de son mandat présidentiel, a fait ensuite campagne en 2012 contre la viande hallal qui envahirait nos cantines scolaires … La politique, il est vrai, c’est l’art de gérer les contradictions…  

Aujourd’hui, après les attentats de janvier, après l’élection partielle du Doubs et les élections départementales, Nicolas. Sarkozy veut « relancer le débat sur les questions relatives à l'Islam de France et l'Islam en France »… Le Figaro nous apprend qu’« un groupe de travail doit être lancé sous la houlette des députés Gérald Darmanin et Henri Guaino » et que « La personnalité de Gérald Darmanin a été retenue notamment en raison de prises de position contre la laïcité dite punitive. Le député du Nord a émis l'idée d'une révision de la loi de 1905 dans l'objectif de créer un concordat entre la république et l'islam en France » 

Le mot est lâché… Mais au fait qu’est-ce que le Concordat ? 

Le traité du 26 messidor an XI soldait les comptes de l’époque révolutionnaire. La République reconnaissait que « que la religion catholique, apostolique et romaine, est la religion de la grande majorité des Français ». L’Église renonçait à ses biens confisqués, les biens nationaux.

Le traité pouvait se résumer en une formule équilibrée : la République finance l’Église, la République contrôle l’Église.

Des textes complémentaires (Actes Organiques) furent adoptés pour mettre en œuvre cette formule, et des textes similaires promulgués pour les autres religions présentes en France au XIXe siècle : les cultes protestants (luthériens et calvinistes) et le culte israélite. 

Tous ces textes ont été abrogés par l’adoption de la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l’État, loi qui affirme, faut-il le rappeler, que : 

  • « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public.

  • La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». 

Pourquoi des régions aujourd’hui « concordataires » ? 

Je n’aborderons pas ici le statut de la Guyane (soumise à l’ordonnance royale de 1828) ni d’autres territoires ultramarins (soumis aux décrets Mandel de 1939), pour résumer simplement la situation des trois départements du Rhin et de la Moselle. 

L’Alsace et la Moselle, après la défaite de 1870, furent annexés à l’Empire d’Allemagne, et ce jusqu’en 1918. Les lois Ferry sur l’école, la loi de 1901 sur les associations et celle de 1905, adoptées durant cette annexion ne s’appliquèrent pas à la Terre d’Empire d’Alsace-Lorraine.

Au retour des territoires à la France, après la Grande Guerre, il leur fut accordé à titre transitoire de conserver une partie de la législation en vigueur en 1918 (des lois françaises d’avant 1871 abrogées par la République et des lois allemandes, lois relatives à tous les domaines du Droit), ce qui constitue le « Droit local ». 

La réalité « concordataire » d’Alsace et de Moselle 

Le Concordat ne concerne que l’Église catholique… mais par facilité de langage, on a coutume de qualifier de concordataires tous les aspects du Droit local relatifs au religieux : 

  • Le régime des cultes. Les ministres des 4 cultes « reconnus » sont salariés par l’État (un peu plus de 60 millions € par an). Les Collectivités locales participent au financement des paroisses et autres établissements cultuels (la loi de 1905 ne s’appliquant pas, elles peuvent aussi subventionner d’autres cultes)

  • L’enseignement religieux à l’école publique. Le Code de l’éducation le qualifie toujours d’obligatoire (même si les fondements juridiques en sont incertains). Ainsi au primaire, une des 24 heures hebdomadaires de cours lui est consacrée…

  • Les facultés de théologie, protestante et catholique. Elles sont partie intégrante de l’Université publique

  • Le délit de blasphème. Je ne m’étends pas sur de sujet largement débattu depuis janvier… 

Ces dispositions sont restées en vigueur depuis près d’un siècle, en grande partie du fait que l’on a fait croire aux Mosellans et aux Alsaciens que le Droit local formait un tout indissociable. Or, au moins jusqu’à un passé récent, certains de ses aspects présentaient un avantage sur le droit national (droit du travail, Sécurité sociale…) 

Étendre le Concordat à tout le territoire ? 

Je n’infligerai pas ici un cours de droit constitutionnel. Je me contenterai de rappeler qu’aujourd’hui il est illusoire de tenter d’instrumentaliser la religion au profit de l’ordre public. 

En Alsace Moselle, le débat est d’ailleurs bien différent : la réforme territoriale a aiguisé les tentations de repli identitaire. Il est parfois assuré que « le concordat est consubstantiel à l’identité alsacienne » ! 

Pour conclure, un petit rappel historique : Le 22 novembre 1918, la 4e Armée française entre dans la capitale alsacienne. Le général à sa tête fait afficher une adresse « Aux habitants de Strasbourg ». Elle proclame notamment « La France vient à vous, Strasbourgeois, comme une mère vers un enfant chéri, perdu et retrouvé. Non seulement, elle respectera vos coutumes, vos traditions locales, vos croyances religieuses, vos intérêts économiques, mais elle pansera vos blessures… »

Ce premier acte déclaratif d’une autorité publique française en Alsace s’inscrivait non dans l’esprit de la République qui proclame l’universalité de ses valeurs mais dans une tradition qui remonte à l’Ancien Régime : le maintien des privilèges des territoires nouvellement annexés à la Couronne….

Michel Seelig

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