Parler des particularités de Moselle et d’Alsace c’est une manière d’aborder d’une façon non convenue le débat qui fait rage sur la laïcité, terme à la mode, pour le pire et le meilleur. Il y a 15 ans, la question du voile à l’école avait provoqué quelques débats, avec un écho limité dans le grand public. Aujourd’hui, nous sommes dans un autre monde, la laïcité est redevenue un enjeu politique, du discours du Latran au holdup du FN sur le terme laïcité…
Mais commençons par un peu d’histoire.
Avant 1789, la France est une monarchie de droit divin, le roi représentant de dieu sur terre et le culte catholique religion d’État, les autres cultes le plus souvent persécutés comme les camisards. La censure traque les mauvais livres, les blasphémateurs tel le Chevalier de la Barre sont torturés et exécutés.
La Révolution marque une rupture. C’est l’état-civil, le divorce, la déclaration des droits... Il s’en suivit une guerre civile notamment en Vendée. En 1801, le 1er Consul Bonaparte souhaite l’apaisement. Il négocie avec le Vatican un traité de paix, le Concordat qui a été conclu « tant pour le bien de la religion que pour le maintien de la tranquillité intérieure »… Le rêve depuis lors de tout ministre de l’Intérieur, instrumentaliser les cultes pour assurer l’ordre public ! Le traité fixe le principe des relations entre l’Église et l’État : l’État paie, l’État contrôle ! Il est complété par les Articles organiques d’inspiration gallicane. Des mesures comparables sont adoptées pour les cultes protestants, puis le culte israélite.
À l’avènement de la IIIe République, la situation est toujours la même. Mais l’Église catholique est pour la monarchie et manifeste un antisémitisme certain… Les Républicains affichent des opinions anticléricales, voire antireligieuses. C’est la « guerre des deux France ». Sont alors adoptées les grandes lois laïques : lois sur l’enseignement, la presse, les associations, les congrégations, puis la loi du 9 décembre 1905.
Or, depuis 1871, les départements du Rhin et de la Moselle sont annexés par l’Allemagne ; des lois françaises, dont celles sur les cultes y sont maintenues. Au retour à la France, en 1918, certaines lois en vigueur dans ces départements recouvrés, sont à leur tour conservées. C’est le cas du régime des cultes. Aujourd’hui, nous en sommes toujours là ! Sauf que, et ce n’est pas rien, le principe de départ n’est plus respecté… l’État paie mais ne contrôle plus rien. Des 17 articles du Concordat, seuls 3 ou 4 sont encore appliqués.
Les ministres du culte sont salariés (60 millions d’euros annuels – un curé perçoit un traitement un peu supérieur à celui d’un professeur certifié) et logés ; les bâtiments cultuels et leurs annexes sont entretenus par les communes qui sont tenues de contribuer au budget des établissements cultuels s’ils sont déficitaires. Le « régime concordataire », comprend d’autres dispositions, qui juridiquement n’ont pas de lien entre elles :
D’abord l’enseignement religieux à l’école publique fondé sur la loi française de 1850, loi Falloux, qui inscrit l’enseignement religieux au programme de l’école primaire, puis sur une foultitude de textes allemands de la période 1871/1918. Ces dispositions sont inscrites dans le Code de l’Éducation :« Article D481-2 La durée hebdomadaire de la scolarité des élèves dans les écoles élémentaires … du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle est fixée à vingt-quatre heures et comprend obligatoirement une heure d'enseignement religieux. » « Article D481-5 Les parents qui le désirent peuvent faire dispenser leur enfant de l'enseignement religieux, dans les conditions prévues à l'article D. 481-6. »En revanche le Code ne dit rien du secondaire. Mais le Conseil d’État en 2001, a décidé que l’État était tenu d’y délivrer l’enseignement religieux, en s’appuyant sur un passage d’un obscur texte allemand, l'article 10 A de l'ordonnance du 10 juillet 1873 modifiée par l'ordonnance du 16 novembre 1887 : « Dans toutes les écoles, l’enseignement et l’éducation doivent tendre à développer la religion, la moralité et le respect des pouvoirs établis et des lois ».
Il faudrait toute une conférence pour présenter ce très important dossier, et en particulier pointer quelques-unes des contradictions flagrantes de cette situation avec la Charte de la laïcité à l’école dont le gouvernement impose l’affichage et la présentation aux enfants et aux parents d’élèves de toutes les écoles (en Moselle et dans les départements du Rhin aussi).L’Article 1 de la Charte affirme: « La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi, sur l’ensemble de son territoire, de tous les citoyens.». Alors pourquoi les élèves alsaciens et mosellans sont-ils privés de 180 heures d’enseignement général ? Pourquoi trois cultes dits reconnus disposent-ils de ce privilège immense de pouvoir s’adresser dans un établissement public aux enfants, une heure par semaine ? Je m’arrête là, je pourrais encore relever dans la Charte la garantie de la liberté de conscience, le refus du prosélytisme, la neutralité des personnels de l’Éducation nationale, le caractère laïque des enseignements… Je me contenterai de souligner que quelles que soient les modalités de son application, le principe même d’une obligation publique dans le domaine religieux est en contradiction évidente avec une véritable liberté de conscience. Et je conclurai sur ce point avec une citation du Service diocésain de l’évêché de Metz « l’enseignement religieux ne se réduit pas à de la culture religieuse, c’est une présentation organique de la foi et de la vie de l’Église, avec une vraie proposition de foi ».
Je vais enfin être très bref pour deux autres régimes dérogatoires. D’abord l’existence de facultés de théologie, protestante et catholique, au sein de l’université publique de Strasbourg. Ensuite, le code pénal local, autre héritage de l’Empire allemand, dont l’article 166 est ainsi rédigé : « Celui qui aura causé un scandale en blasphémant publiquement contre Dieu par des propos outrageants, ou aura publiquement outragé un des cultes chrétiens ou une communauté religieuse établie … sera puni d’un emprisonnement de trois ans au plus. »
Mais quittons les provinces de l’Est, pour le débat national et cette tentation concordataire qui se pare souvent aujourd’hui de bons sentiments : il s’agirait de remédier à certaines formes de discrimination. Gérald Darmanin alors porte-parole de N. Sarkozy déclarait après les attentats de 2015 : « Si l’on veut éviter la guerre civile, il faut que la République se donne les moyens de conclure un contrat avec l’islam. Nous devons réfléchir à un nouveau concordat avec toutes les religions ». Le monde médiatique n’est pas en reste, Christophe Barbier de L’Express à la même époque réclamait « une sorte de compromis concordataire pour aider l’islam de France ». On peut poser la question : quel islam, sunnite, chiite, alaouite, soufi … Plus généralement comment résister au phénomène du « doigt dans l’engrenage »… comment éviter d’étendre les privilèges à une multitude de cultes. Le Bureau des cultes au ministère de l’Intérieur donne officiellement la définition d’un culte, qui doit remplir deux seules conditions : « la croyance ou la foi en une divinité et l’existence d’une communauté se réunissant pour pratiquer cette croyance »…
Au lieu d’accorder des privilèges à de nouveaux bénéficiaires, il conviendrait plutôt de reconsidérer ceux dont bénéficient certains, en Alsace et Moselle, en Guyane et dans les TOM… Et puis, s’il s’agit de s’attaquer à des discriminations, bien réelles, agissons sur le terrain social et économique, sur la réduction des inégalités, sur le désenclavement des territoires, sur terrain de la lutte contre les diverses manifestations du racisme. Tout cela, ne nécessite absolument pas une intervention publique dans le domaine religieux !
Aujourd’hui c’est l’Islam qui occupe une position centrale dans le débat. Mais la question n’est pas celle de l’islam, c’est celle des tendances de toutes les religions à prétendre à une hégémonie, si ce n’est pas en imposant leurs vues à l’État, du moins à imposer leurs préceptes à la société. Je reprendrai une formule de J. Birnbaum dans son récent ouvrage, Un silence religieux : « Il arrive que la religion devienne force autonome, qu’elle se fasse puissance symbolique, matérielle, politique ». Il n’est pas nécessaire de retourner bien loin dans l’Histoire pour vérifier ce fait. Je ne vous ferai pas une lecture du Syllabus ! Toutes les religions, avec plus ou moins de virulence, présentent des thèses non conformes aux principes auxquels je tiens, de liberté et d’égalité. C’est une femme religieuse et cultivée qui l’affirme : le rabbin Delphine Horvilleur qui disait récemment : « les religions ont toutes un problème avec les femmes ». Un exemple caricatural, l’archevêque de Tolède Braulio Rodriguez il y a peu affirmait sans rire que « les violences conjugales sont la faute d’épouses désobéissantes qui refusent d’accéder aux demandes des maris »…
Alors évidemment, oui à la liberté d’expression, dans la limite du respect des personnes et de l’ordre public. Il est possible de militer pacifiquement pour un autre régime, que l’on soit monarchiste, anarchiste ou partisan d’une théocratie… Mais la République n’a pas à donner des armes à ses opposants, à céder à leurs injonctions.
Alors refusons la remise en cause de la loi de 1905, celle de Briand et de Jaurès, qui assure en premier lieu la liberté de conscience et en second lieu garantit le libre exercice des cultes.
Liberté de croire, de ne pas croire, de changer d’avis, mais aussi ce droit à l’irréligion que réclamait le dessinateur Charb, le droit de critiquer, moquer, caricaturer toutes les idéologies, y compris religieuses… Et refusons aussi de reculer sur des principes de liberté et d’égalité notamment entre les hommes et les femmes.
Faut-il ajouter que je condamne toute utilisation fallacieuse du terme de laïcité. Ainsi Monsieur Philippot dirigeant du FN, qui dans la campagne des élections régionales en Alsace, disait vouloir maintenir le Concordat au nom de la tradition, et ne pas l'étendre à l’islam au nom de la laïcité.
Nous sommes confrontés à des discours simplistes, des idéologies de la pureté : sans « mécréants » ou sans « métèques » ce serait le paradis sur terre. Pour faire face, notre seule arme c’est le militantisme pour l’éducation populaire.
Car laïcité ne rime ni avec racisme ni avec communautarisme, mais rime avec liberté, égalité et fraternité !