Les manifestations d'indignation se multiplient à l'occasion du procès des trois jeunes femmes poursuivies en Russie pour s’être livrées au « hooliganisme, motivées par la haine religieuse et l'hostilité aux croyants orthodoxes » en manifestant et chantant à l'intérieur d'un lieu de culte.
Un tel procès est impossible dans notre République laïque, me direz-vous. Eh ! bien, si ! Le "Droit local" applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, héritage de l'annexion de ces territoires par l'Empire d'Allemagne entre 1871 et 1918, pourra vous expédier 3 ans en prison (la durée de la peine requise par le procureur russe) si vous commettez un "blasphème" comparable à celui reproché à nos jeunes punkettes ... Jugez-en vous-même à la lecture de ces deux articles du Code pénal local, toujours en vigueur :
Code pénal d'Alsace et Moselle, article 166
Celui qui aura causé un scandale en blasphémant publiquement Dieu par des propos outrageants ou aura publiquement outragé un des cultes chrétiens ou une communauté religieuse établie sur le territoire de la Confédération et reconnue comme corporation, ou les institutions ou cérémonies de ces cultes ou qui, dans une église ou un autre lieu consacré à des assemblées religieuses, aura commis des actes injurieux et scandaleux, sera puni d'un emprisonnement de trois ans au plus"
Code pénal d'Alsace et Moselle, article 167
Celui qui, par voie de fait ou menaces, aura empêché une personne d’exercer le culte d’une communauté religieuse établie dans l’Etat [...], ou qui, dans une église, aura par tapage ou désordre volontairement empêché ou troublé le culte ou certaines cérémonies du culte [...] sera puni d’un emprisonnement de trois au plus.
Mais quittons l'anecdote ! Ces textes ne constituent qu'une toute petite partie d'un vaste ensemble. Le Droit local comporte dans d'autres domaines d'excellents éléments qu'il faut maintenir, ainsi le régime de protection sociale, le droit du travail, le livre foncier, etc. Mais ses éléments relatifs à la place du religieux dans la sphère publique ne sont plus aujourd'hui supportables au vu de l'évolution de la société, du développement de l'athéisme, de l'indifférence religieuse ... En effet, en Moselle et en Alsace, la loi de séparation de 1905 n'est pas en vigueur, les ministres des cultes (de 4 cultes "reconnus", catholique protestants et israélite) sont salariés par l'État, l'enseignement religieux est obligatoire dans les écoles publiques ...
La proposition n° 46 du candidat François Hollande prévoit de constitutionnaliser le principe de séparation de l'État et des Églises. C'est une excellente chose.
Malheureusement, sous la pression de certains lobbys, il a ajouté à sa proposition la formule "sous réserve des dispositions particulières en vigueur en Alsace et Moselle". La même réforme constitutionnelle "sanctuariserait" (passez-moi l'expression) ainsi la séparation dans la majeure partie du territoire de la République, et sanctuariserait également son contraire, le Concordat et autres textes d'un autre siècle dans les trois départements du Nord-Est (y compris, pourquoi pas les articles du Code sur le blasphème) !