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Billet de blog 18 février 2014

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DÉLIT DE BLASPHÈME : ÇA SUFFIT !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce mardi 18 février 2014, dans notre belle République indivisible, laïque, démocratique et sociale, s'ouvre à Strasbourg, devant le tribunal correctionnel, un procès d'un autre âge.

Une association, la Ligue de défense judiciaire des musulmans (sic) assigne en effet CHARLIE-HEBDO pour BLASPHÈME, pour avoir dans un dessin à sa Une émis cet avis : « Le Coran c'est de la merde, ça n'arrête pas les balles ».

La même "Ligue" assigne l'hebdomadaire devant le TGI de Paris, cette fois pour « provocation et incitation à la haine à raison de l'appartenance religieuse ainsi que d'injure ». Or les jurisprudences récentes ne laissent pas augurer d’un succès de cette procédure : il y a de la part de CHARLIE une attaque d'une croyance, pas de personnes physiques.

Il apparaît clairement que les dispositions du Code pénal local d'Alsace et de Moselle sont ainsi instrumentalisées par des groupes fondamentalistes.

PLUS QUE JAMAIS, CES DISPOSITIONS DOIVENT ÊTRE ABROGÉES !

On trouvera ci-dessous les éléments qui doivent permettre de mener la campagne nécessaire pour aboutir à ce résultat :

Les articles X et XI de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 précisent que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi » et que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi. » Ce texte fondamental supprimait le DÉLIT DE BLASPHÈME. 

Les dispositions de la Loi du 29 juillet 1881 sur la Liberté de la presse ont confirmé cette suppression du délit qui avait été rétabli sous la Restauration monarchique. 

Le Conseil de l’Union Européenne, réuni le 24 juin 2013, a adopté « les orientations de l'UE relatives à la promotion et à la protection de la liberté de religion ou de conviction ». Ce texte prévoit notamment que « En tout état de cause, l'UE rappellera, le cas échéant, que le droit à la liberté de religion ou de conviction, consacré par les normes internationales pertinentes, n'englobe pas le droit d'avoir une religion ou une conviction qui échappe à la critique ou à la dérision » et « L’Union Européenne …rappellera à chaque occasion qui s'y prête que les lois érigeant le blasphème en infraction restreignent la possibilité de s'exprimer sur les convictions religieuses ou d'une autre nature ». 

Ces orientations ont été adoptées afin de promouvoir les Droits de l’Homme dans le cadre de la politique extérieure de l’Union Européenne. Est-il acceptable qu’elles ne soient pas appliquées au sein même d’un État de l’Union, en l’occurrence notre pays ?

En effet, les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin sont toujours soumis aux dispositions des articles 166 et 167 du Code Pénal local. 

L’article 166 prévoit que « Celui qui aura causé un scandale en blasphémant publiquement contre Dieu par des propos outrageants, ou aura publiquement outragé un des cultes chrétiens ou une communauté religieuse…sera puni d’un emprisonnement de trois ans au plus. » [Traduction Institut du Droit Local]

L’article 167, plus spécifique, punit les entraves aux cultes et cérémonies religieuses. 

Longtemps, l’article 166 du Code Pénal local n’avait pas trouvé matière à faire l’objet de procédures judiciaires.

Or, depuis plusieurs mois, des associations fondamentalistes, de diverses confessions religieuses, ont saisi la justice en utilisant ces textes, notamment l’article 166, avec pour objectif de limiter gravement la liberté de la presse et de la création artistique. 

Quant à l’article 167, il n’apporte pas d’éléments importants différents par rapport aux articles 31 à 33 de la Loi de séparation de 1905 qui répriment les troubles apportés à l’exercice d’un culte … si ce n’est la lourdeur de la peine maximale encourue (trois ans au lieu de deux mois assortis d’une amende). 

Il convient ici de rappeler que ces deux articles ont été introduits dans les départements du Rhin et de la Moselle par la seule législation allemande durant l’annexion de 1871 à 1918. 

Les diverses dispositions dérogatoires toujours appliquées dans ces départements n’ont pour seul lien juridique que d’avoir été maintenues après le retour à la France en 1918 ! - C’est ainsi que les articles du Code Pénal local n’ont aucun lien avec le Concordat et les autres dispositions régissant le régime des cultes : leur simple lecture permet de constater qu’ils s’appliquent non seulement aux « cultes reconnus » mais aussi à toute « communauté religieuse ».

Une lecture attentive du Concordat (des Articles Organiques pour la religion catholique et ceux pour les religions protestantes, et des divers textes réglementaires ultérieurs visant à compléter ou adapter les dispositions adoptées sous le Consulat, et aussi des actes décidant la mise en œuvre de mesures comparables pour le culte israélite) permet de constater que ce texte (trop souvent déclaré fondateur de toutes les législations et réglementations régissant la place du religieux dans l’espace public des trois départements) ne comporte aucune référence, même allusive, au délit de blasphème. 

Il faut noter également que le Conseil Constitutionnel, notamment dans sa décision 2012-297 QPC, du 21 février 2013, s’il ne remet pas en cause l’ensemble des régimes dérogatoires en vigueur dans les trois départements, en rappelle le caractère provisoire. 

Enfin, en cette période où les tentatives de rejeter toute rationalité sont légion, il est bon de citer Pierre Bayle, un des précurseurs des « Lumières françaises », qui affirmait dès la fin du XVIIè siècle que « le blasphème n’est scandaleux qu’aux yeux de celui qui vénère la réalité blasphémée »…

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