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Billet de blog 19 mars 2015

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Commission du droit local Alsace et Moselle

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

AUDITION PAR LA COMMISSION DU DROIT LOCAL D'ALSACE ET MOSELLE

DU CERCLE JEAN MACÉ DE METZ

DE LA FÉDÉRATION DES OEUVRES LAÏQUES DE LA MOSELLE

DE LA LIGUE DES DROITS DE L'HOMME FÉDÉRATION DE MOSELLE

LE 16 MARS 2015

Madame la Présidente

Messieurs,

 Merci d’avoir accepté notre demande d’audition.

 Le sujet qui nous occupe aujourd’hui est un vieux dossier où les données de l’Histoire sont partout sous-jacentes. Mais par de nombreux aspects, c’est aussi un sujet d’actualité.

 L’Histoire, c’est ce qui fonde les décisions du Conseil Constitutionnel au sujet du « droit local » de Moselle et d’Alsace. Jean-Marie Woehrling, Président de l’Institut du Droit Local le regrettait publiquement lors du colloque du 24 octobre dernier organisé par l’Institut. De ce fait, le Conseil Constitutionnel ne donnait pas corps, pour la Moselle et les départements du Rhin, au concept de « territorialité du droit » cher tout particulièrement aux défenseurs d’une « identité alsacienne »…

 Pour le Conseil Constitutionnel, cette histoire ce n’est même pas vraiment celle des départements concernés, mais celle de l’écriture de notre loi fondamentale. Les constituants de 1946, puis de 1958, ont qualifié notre République de laïque alors qu’ils étaient parfaitement conscients des particularismes locaux. Ainsi ces particularismes, bien que non conformes dans l’absolu avec le qualificatif de laïque ne devaient pas être considérés comme incompatibles avec la Constitution.

 Mais, nous disent aussi les « Sages » de la rue de Montpensier, ces régimes dérogatoires ne peuvent pas connaître d’extension et peuvent être supprimés si le législateur en décide ainsi. On peut raisonnablement penser que les éléments réglementaires de ces régimes sont soumis à des dispositions comparables et peuvent ainsi faire l’objet d’une abrogation par décision de l’exécutif.

 Le dossier est donc à l’évidence éminemment politique.

 Je limiterai en conséquence dans mon propos l’exposition des éléments de la véritable archéologie juridique auquel ce dossier d’Alsace et Moselle a donné lieu depuis des décennies, tout particulièrement pour le régime des cultes et l’enseignement religieux.

En revanche, il me parait nécessaire de donner à ce dossier une perspective historique. Pour ce faire, je retiendrai quelques points de vue.

 L’Histoire nous permet de saisir les raisons du maintien depuis la fin de la Grande Guerre de dispositions totalement différentes du droit général français. J’en retiendrai quelques-unes 

En 1871, nombreux sont les Mosellans et Alsaciens (10 % de la population) à opter « pour la  France ». Ils formaient souvent l’armature sociale des départements annexés. Seuls cadres de la société à rester massivement, les membres du clergé, notamment catholique. Les évêques sont élus députés, dits « protestataires », ils s’élèvent contre la politique anticléricale de Bismarck.

Après 1918, ce sont près de 200 000 personnes qui, expulsés ou volontaires, quittent les départements recouvrés. Restent comme cadres sociaux, pour l’essentiel, les membres d’un clergé qui n’a pas encore, à cette époque, accepté la laïcité de la République.

Le paysage politique à gauche est marqué aussi par l’histoire. Avant 1918, la gauche c’était la social-démocratie allemande. Après 1920, c’est le parti communiste qui est la seule force organisée. À Strasbourg, le 1er maire du retour à la France est SFIO, mais il est assez vite battu par une coalition entre communistes et autonomistes. En effet avant la Seconde Guerre mondiale, le PCF flirte ouvertement avec l’autonomisme. Puis, après 1945, si le parti s’affirme « laïque », la défense des « libertés bourgeoises » passe bien après la lutte sociale…

 Et depuis 40 ans, aucune force politique n’a véritablement développé dans les trois départements un discours laïque, sur les régimes dérogatoires locaux.

En 1974, les instituteurs obtiennent de ne plus être triés selon leur appartenance confessionnelle, les écoles pluriconfessionnelles deviennent un peu partout la règle et l’enseignement religieux est désormais presque uniquement délivré par les ministres des cultes et des catéchistes. La revendication laïque reste au programme des syndicats enseignants, mais n’a plus la même importance …

 Le champ est donc totalement libre pour les tenants des régimes dérogatoires.

 Trois arguments sont régulièrement opposés à tous ceux qui souhaitent faire évoluer le système :

 En premier lieu le prétendu « attachement de la population » au statu quo. On est en droit de se demander quel est le fondement d’une telle affirmation ? Il est habituel de faire parler le peuple. Quelle est la consultation incontestable qui permet d’affirmer ce soi-disant attachement ?  

 Le deuxième argument consiste à affirmer l’unicité du « droit local ». Tout serait lié ; toucher à un élément fragiliserait l’ensemble. Or, lors du retour à la France après 1918, la définition des régimes dérogatoires, énumérés par la loi de 1924, fait la part belle au maintien d’avantages particuliers de nombreux groupes économiques ou sociaux : des professions juridiques aux salariés assujettis au régime local d’assurance maladie… Et l’on a convaincu chacun de ces groupes plus ou moins vastes que le « Droit local » était un tout cohérent et qu’il ne fallait toucher à aucun élément sauf à risquer de mettre à bas l’édifice… … Il suffit de jeter un coup d’œil sur la loi de 1924 pour se rendre compte qu’il n’existe aucun lien juridique entre ces divers domaines du droit, si ce n’est une proximité textuelle … Et des régimes ont disparu sans affecter en rien ceux qui subsistaient…

 Le dernier argument est étroitement lié au précédent : il y aurait une incontestable supériorité des régimes dérogatoires alsaciens et mosellans sur les dispositions du droit général français. Mais aujourd’hui, le château de cartes vacille … la plupart des régimes sont mal en point. Le récent colloque de l’IDL du 24 octobre a recensé les incertitudes qui les minent et a même annoncé des extinctions : je ne vais pas vous parler ici de la chasse, des corporations ou de l’assurance maladie… ce dernier point qui faisait titrer récemment les DNA : « le régime local dans la tourmente » … 

Alors si tout s’écroule, que reste-t-il ?  Le Concordat, l’enseignement religieux, et autres facultés de théologie. Les propos des responsables politiques au colloque du 24 octobre sont significatifs. Monsieur Philippe Richert président de la région Alsace et Monsieur Roland Ries maire de Strasbourg l’ont clairement affirmé : il s’agit de préserver l’identité alsacienne ! Le maire de Strasbourg particulièrement lyrique évoqua je cite « un élément essentiel de notre identité, au même titre que le bilinguisme ! »… « un socle culturel et sociétal » … « un héritage consubstantiel à l’identité alsacienne » !!! 

Vous me permettrez d’ajouter à ces citations les propos très récents du président du Conseil général du Haut-Rhin, après l’affaire du « Crucifix de l’Hôtel du département » : Il évoque « une blessure faite à l'Alsace », « L'Alsace, terre à l'histoire tourmentée [qui] a reçu le Concordat et le droit local en héritage » !

 Faut-il préciser qu’un Mosellan ne peut pas se sentir concerné par un tel discours. La Moselle n’est pas alsacienne.

 Et alors que la plupart des églises se vident, qu’en moyenne la moitié au moins de l’ensemble des parents d’élèves du primaire et du secondaire demandent à dispenser leurs enfants de l’enseignement religieux, que les fondements juridiques des régimes dérogatoires relatifs aux questions religieuses s’effritent, force est de constater que le dernier argument en leur faveur s’apparente à un repli identitaire régional !

 Au vu de tous les éléments que je viens de développer, il apparaît de plus en plus nécessaire de remettre en cause les régimes dérogatoires relatifs au « religieux », à savoir le régime des cultes, l’enseignement religieux, les facultés publiques de théologie et le délit de blasphème.

 Je ne vais pas vous infliger une longue dissertation sur ces dossiers, je vais me contenter de quelques mots sur chacun d’entre-eux.

 Sur le régime des cultes faut-il rappeler que le Concordat ne concerne que l’Église catholique. Il constituait un équilibre : financement contre contrôle … aujourd’hui il n’y a plus que le financement.

Le coût est loin d’être négligeable pour l’État (payé par l’impôt de tous) et les collectivités

La liberté de conscience n’est pas respectée – en Allemagne souvent citée en exemple, ne paient pour les cultes que ceux qui le souhaitent.

Enfin, le régime est discriminatoire puisque seuls les cultes « statutaires » en bénéficient…

Nous demandons une sortie progressive et si possible concertée du régime, tenant compte des situations sociales des personnes concernées.

 Sur l’enseignement religieux à l’école publique, il y aurait lieu de démonter toute l’argumentation juridique qui semble le fonder,…. Je dirai simplement qu’il n’y a pas de fondement sérieux à ce qui n’est pour l’essentiel qu’une pratique.

 Le Code de l’éducation ne cite aucune référence dans son article L.481.1 qui affirme de façon globale : « Les dispositions particulières régissant l’enseignement applicables dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle y demeurent en vigueur. »

Et l’Article D481-2 Modifié par le Décret n°2008-751 du 29 juillet 2008 - art. 1 nous dit que « La durée hebdomadaire de la scolarité des élèves dans les écoles élémentaires des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle est fixée à vingt-quatre heures et comprend obligatoirement une heure d'enseignement religieux. »

Le Code ne contient en revanche aucune indication sur cet enseignement au collège et au lycée…

 C’est dans l’arrêt du Conseil d’État du 6 avril 2011 (au sujet de la mise en place d’un concours de recrutement pour l’enseignement religieux) que l’on trouve la dernière trouvaille de l’archéologie juridique mise en œuvre pour justifier cet enseignement : l’article 10 A de l’Ordonnance allemande du 16 novembre 1887 : « Dans toutes les écoles, l'enseignement et l'éducation doivent tendre à développer la religion, la moralité et le respect des pouvoirs établis et des lois ».  Faut-il souligner le caractère vague et imprécis d’une telle formulation ? Certains pourraient y trouver la justification d’une heure hebdomadaire de cours sur le respect des pouvoirs établis …

 On nous dira que ce n’est plus du catéchisme, qu’il s’agit d’une ouverture à la spiritualité… Il faudra alors nous expliquer pourquoi, aujourd’hui encore, sur le site de l’évêché de Metz, la page sur l’enseignement religieux se termine par cette formule : « Comme l’indique le statut scolaire, il s’agit d’un enseignement confessionnel et non d’un simple cours de culture religieuse. »

 Il convient de supprimer cette pratique parce qu’elle est attentatoire à la liberté de conscience (il suffit de lire la charte de la laïcité pour le constater) ; qu’elle entraîne une forme de fichage confessionnel de la population (le dossier scolaire d’un élève le suit constamment) ; que cet élève durant toute la scolarité élémentaire aura une heure par semaine de moins de français, de mathématiques, ou des autres disciplines ; que la neutralité de l’État n’est pas assurée ; que là aussi il y a discrimination des autres croyances que les cultes statutaires au sens étroit du terme ;  que cet enseignement a un coût et qu’il fait de moins en moins recette !

 Là aussi, nous proposons une évolution qui peut être progressive. Nos amis alsaciens que vous avez déjà reçus proposent de manière précise des modalités de sortie de l’heure de religion des 24 heures d’enseignement hebdomadaire au primaire. Ce peut être une étape. Pour notre part, nous demanderons toujours à terme l’application des lois Ferry dans nos territoires.

 Sur les facultés de théologie, en Moselle nous sommes moins directement concernés qu’en Alsace. Cependant, nous déplorons que l’enseignement de la théologie soit financé par l’État et que les enseignants des facultés catholiques et protestantes de Strasbourg participent à l’administration de l’Université publique, entretenant une confusion à l’attention du grand public entre les études théologiques (relevant du religieux) et les études sociologiques ou anthropologiques des faits religieux (pouvant relever de l’université).

 Enfin sur le délit de blasphème, cette mesure d’un autre âge, je sais que personne n’a récemment été condamné pour cela et que personne ne le sera. Mais l’actualité des dernières années montre à l’évidence que l’existence des articles 166 et 167 du code pénal local donne de formidables possibilités d’expression, des tribunes judiciaires et médiatiques aux extrémistes de tout poil.

Pour conclure, je reviendrai un instant à un point d’histoire. Le 22 novembre 1918, les troupes françaises occupent enfin la capitale alsacienne. À la tête de la 4ème Armée, le général Giraud fait afficher une adresse « Aux habitants de Strasbourg » qui proclame notamment « La France vient à vous, Strasbourgeois, comme une mère vers un enfant chéri, perdu et retrouvé. Non seulement, elle respectera vos coutumes, vos traditions locales, vos croyances religieuses, vos intérêts économiques, mais elle pansera vos blessures… »

 Ce premier acte déclaratif d’une autorité publique française en Alsace s’inscrivait dans une tradition qui remonte à l’Ancien Régime : le maintien des privilèges des territoires nouvellement annexés à la Couronne… et non dans l’esprit de la République qui proclame l’universalité de ses valeurs.

 Nous en sommes toujours là, près d’un siècle plus tard.

 Constamment depuis, et jusqu’à nos jours, les autorités de la République n’ont pas cessé de donner des gages aux défenseurs des régimes dérogatoires.

 Un exemple très récent. Depuis 1985, existait une Commission d’harmonisation du droit privé. Elle était constituée de magistrats et de praticiens du droit, sous la présidence d’un élu politique.

 En janvier 2014, cette structure est dissoute et remplacée par votre Commission du Droit local d’Alsace et Moselle. Cette dernière, présidée par un député alsacien, comporte toujours les représentants des diverses cours de justice, des juristes universitaires ou praticiens du droit.

On a adjoint à cet aréopage les représentants des chambres consulaires et … des cultes reconnus … et bien évidemment aucun représentant des associations laïques …

Michel Seelig

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