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Billet de blog 24 mars 2014

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«Braddock America», ou ce que le capitalisme fait aux hommes

C’est un film qu’on n’oublie pas. Braddock America, le documentaire de Jean-Loïc Portron et Gabriella Kessler, taraude longtemps. On n’oublie pas les visages de ces hommes et de ces femmes qu'on ne voit jamais

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C’est un film qu’on n’oublie pas. Braddock America, le documentaire de Jean-Loïc Portron et Gabriella Kessler, taraude longtemps. On n’oublie pas les visages de ces hommes et de ces femmes qu'on ne voit jamais, ces hors champ médiatique, politique, cinématographique (en France notamment). Des ouvriers donc, qui racontent leur histoire face caméra, qui racontent ce que le capitalisme fait aux hommes et aux femmes, comment il détruit les vies et les âmes.

Braddock est une petite ville dans la banlieue de Pittsburgh en Pennsylvanie, l'ancien bastion sidérurgique du pays, son poumon industriel. L’acier de Braddock a fourni toute l'Amérique, des gratte ciels aux armes des soldats pendant la seconde guerre mondiale. Dans les années 80, mondialisation oblige, les aciéries ferment et jettent à la rue des milliers d’ouvriers. Ville de 20 000 habitants en 1920, elle en compte aujourd’hui 2000. Et c’est cette histoire-là que raconte le film. Celle d’un haut lieu de la classe ouvrière américaine et de ce qu’il en reste aujourd’hui. 

Pourquoi être allé à Braddock trente ans après ? Parce ceux qui y sont restés sont des témoins majeurs du passé, des combats menés, et de la vie après, après la fermeture des aciéries, dans un territoire sinistré, avec ses rues vides, ses maisons abandonnées, son chômage meurtrier. D’avant, de la période glorieuse, ils ont plein de souvenirs, la fierté de construire l’Amérique, la crasse et les journées harassantes, les combats, la solidarité ouvrière. Des images d’archives magnifiques dénichées par les réalisateurs rythment les témoignages. La ville qui y défile grouille de vie. Celle d’aujourd’hui sent la mort. Et ils racontent l'après, la rage, le désespoir, la résignation. Alors, certains hommes pleurent. Et l’on est tenté de détourner le regard. Mais de tous ces récits d’hommes et de femmes – que Jean-Loïc Portron et Gabriella Kessler ont choisi de ne pas situer, parce que Braddock est un symbole, que cette histoire de désindustrialisation est la même partout en Occident, ici comment ne pas penser à la Lorraine, à Forbach, aux Conti... – on retient autre chose.

Car au delà du désespoir, dans cette ville à l’agonie, les hommes continuent à vivre. A se battre. Contre la fermeture de l’hôpital, pour former les jeunes, pour nettoyer les rues désertées par les services publics réduits a minima. Il faut entendre cette conscience aiguë du système  mortifère dont ils sont victimes, de l’inversion des valeurs, ce que devient un pays quand seul l’argent compte. Même les policiers à Braddock haïssent ce capitalisme. Cette conscience-là n’est pas née du néant, elle vient des combats menés avant, dans l’usine. Ils n’ont plus rien ou si peu mais ils réinventent au quotidien une vie, faite de solidarités, de mémoire, de citoyennetés conquises au jour le jour sur ceux qui voudraient rayer la ville de la carte en coupant les derniers crédits.

Drôles, émouvants, intelligents, d’une grande élégance humaine, les suvivants de Braddock sont des hommes et des femmes debout.L’ancien syndicaliste est devenu poète, une coiffeuse à domicile conseillère municipale, un ancien ouvrier forme des jeunes… Ei si Bradocck America, était une leçon de dignité des damnés de la terre ?

A voir absolument avant qu’il ne disparaisse de l’affiche : « Braddock America»,

un documentaire de de Jean-Loïc Portron et Gabriella Kessler 

Espace  Saint-Michel

MK2 Beaubourg

 Sélection à Cannes de l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion (Acid)

www.lacid.org/films-soutenus/braddock-america

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