SUPERIORITE DE L'OCCIDENT
Revient sans cesse, comme un plat mal digéré, la question de l’éventuelle supériorité de l’Occident sur les autres « cultures ». Poser que la réponse au problème politique de la démocratie dans les autres cultures passe par les « droits de l’homme » européens, cela ressemble fort à l’affirmation gratuitement ethnocentriste d’une supériorité occidentale.
Et pourtant, quitte à vous choquer dans un premier temps, j’ose affirmer ici la supériorité de l’Occident. Mais une supériorité qui n’est pas celle à laquelle nous pensons tous spontanément ...quitte à en douter de plus en plus.
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Car selon moi, la supériorité de l’Occident tient à ce que, le premier, il a pratiqué le premier l'horreur au plan de l'universel. Et s’est donc trouvé avant les autres en mesure d’en interroger la nature et les causes. C'est l'Occident qui a fait la Shoah, le Goulag et Hiroshima.. Ce n'est pas l'Islam ou le bouddhisme ou aucun autre. C'est lui qui fut le premier à s'en prendre ainsi, pour l'éliminer, à l'homme en tant qu'homme. Et non plus seulement à l'opposant, au schismatique, à l'hérétique, au déviant, au malfaiteur, au Juif, etc.). L'Occident là non plus, n’a vraiment pas de leçons à recevoir: il fut le pionnier de l'horreur totale & de la réflexion politique sur elle -comme le fut Galilée de toute la science expérimentale, Copernic de toute l'astronomie, Einstein de toute la physique...
Les enseignements que l'on tire des malheurs de l’homme en tant qu’homme, cela concerne tous les hommes. C'est en ce sens que les "droits de l'homme" de 1789 ont fait et font la supériorité de l'Occident -voire de la France- "patrie-des-droits-de-l'homme". Ce n'était pas parce que la Déclaration de ces droits serait sortie toute armée des cerveaux de puissants juristes européens, ou parce que ces droits auraient été spécialement respectés dans cette partie du monde ! Mais c'était que la France de l'ancien régime avait déjà commis l’horreur totalitaire. Les horreurs déterminées (guerres de religion, si présentes à l’esprit des hommes de 1789 sous le nom de « malheurs publics »<Préambule de la Déclaration de 1789>) ne semblaient pas de nature totalitaire. Jusqu’à ce qu’il apparût qu’elles renvoyaient à un chaos institutionnel dans lequel arbitraire et gaspillage en étaient arrivés à prospérer pour eux-mêmes, et même plus seulement au profit de maîtres et de corrompus.
Certes, il y a eu de tous temps des tyrans et despotes bien plus cruels que nos rois –et comment !
Mais totalitarisme n’est pas tyrannie. Ce n’est pas la seule cruauté ou la férocité claire et nette d’un individu ou d’un groupe… C’est l’arbitraire désordonné, le chaos établi.
Il y a eu dans l’histoire de grands massacres si cohérents qu’ils en étaient presque beaux. Le bûcher est plus atroce que la lettre de cachet, mais pas nécessairement plus totalitaire. Plus absurde que la France du 18e siècle, non. C’est cette absurdité qui, elle, contrairement à la cruauté, atteint toujours l’homme en tant qu’homme. C’est donc elle qui nous oblige à penser en universalistes, comme la lecture de Bouvard et Pécuchet. C’est elle qui suscita la réflexion, qui déboucha sur la Déclaration de 1789. Et qui conféra à l’Occident la supériorité dont je parle.
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Supériorité qui, pour autant, lui échappe aussitôt. C’est par la réflexion sur « nos » horreurs et erreurs d’occidentaux que les autres cultures doivent passer pour se garder des périls totalitaires. Lesquels sont désormais, les leurs autant que les nôtres. En qualité d’accès à l’universel.
Qui peut croire, aujourd’hui, que la Shoah, par exemple, soit moins présente qu’aux nôtres aux esprits et aux cœurs des acteurs des conflits du Moyen orient? On oublie si facilement que l’universel ne se privatise guère.
Point d’auto flagellation, donc. L'Occident n’a pas nécessairement la réponse pour les autres, mais nous avons de terribles raisons de connaître l’énoncé.