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Billet de blog 16 août 2017

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Les droits de l'homme: idole du XXIe siècle?

Et ces droits de l'homme, si nous les haissions autant que nous les idolâtrons?

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LES DROITS DE L'HOMME : IDOLE DU XXIe SIECLE ?

En ce temps-là tout passait. On ne se baignait jamais deux fois dans le même fleuve, et les civilisations se savaient mortelles. Cela donnait comme un air de famille aux doctrines les plus opposées.

Car elle entraînait bien du monde, la musique obsédante des lendemains qui allaient chanter, très au-delà du “Parti des fusillés”. Messieurs Aron et Sartre, hypnotisés par la crise de 1929, continuaient l'un comme l'autre à voir en celle-ci une confirmation du roman historique de Marx. Comme ils ne jouaient pas encore leur sketch de “frères ennemis”, ils nous disaient l'un que le marxisme était l'horizon indépassable de notre temps, & l'autre que c'en était la vérité indépassable, au moins pour notre temps. Difficile d'avoir raison ou tort avec l'un ou avec l'autre de ces deux duettistes de l'historicisme dialectique. Pas le choix. Tout étant inéluctablement passager ne tenait son sens que des changeantes circonstances. Société, Etat, libertés publiques, bien et mal, entreprise et salariat, foi des croyants, inégalités nationales et internationales, réflexions morales, méthodes des enseignants, pratiques sexuelles et procréatives, etc... étaient en proie au soupçon, à la déconstruction, à la généalogie.

On n'osait plus parler de “nature” qu'à l'abri de prudents guillemets. Marinetti avait promis que la science finirait par nous débarrasser de la nôtre, de nature. Nos maîtres les plus sévères ne nous révélaient-ils pas que nous étions des enfants sauvages? Les “couches laborieuses” s'étaient mobilisées pour modeler un homme nouveau -national-socialiste ou socialiste tout court-, qui serait libéré de l'égoïsme et de la jalousie (Engels) en même temps que de la bourgeoisie, tandis que les campagnes entoureraient (enfin) les villes (Mao Ze Dong). ”Le marxisme redonnera la santé aux malades” (F. Kahlo) et du lait aux vaches (Lyssenko, Kahane et Thorez). Il y eut beaucoup de déchet. On en fit du zèle pour alimenter les « poubelles de l'histoire » -qui débordèrent de doctrines fanées et (on le comprit avec un léger retard) de monceaux de cadavres.

*

Un grand tournant de l'idéologie contemporaine fut l'abandon PRESQUE généralisé de ce soupçon historique, “dialectique”, de cette injection de caducité qui prévalait au moins en Europe depuis des décades.

C'est qu'on en était arrivé lentement à soupçonner que ce procès permanent avait quelque responsabilité dans la multiplication des massacres. Et puis, les tempéraments et les idéologies les plus concurrentes, à force de rivaliser dans cette tâche, en arrivaient à se ressembler toutes. Il finissait par devenir inconfortable à tout l'éventail politico-intellectuel de discréditer ainsi tout et n'importe quoi comme radicalement tangible, provisoire. Certes, traiter le triste aujourd'hui comme une feuille morte, c'est une tentation de toutes les époques, à laquelle résistent rarement les candidats au pouvoir intellectuel. Mais, à ce train-là, les idéologies risquaient d'avoir à s'aligner sur un sorte d'anarchisme rampant, voire à se confondre: soit pour elles quelque chose de fatal, comme une paix des cimetières.

Et voici qu'un jour de 1941, on apprit que le Vatican interdisait aux catholiques d'évoquer, à l'”hégélienne”, un développement historique de la Révélation et du dogme. Il y eut quelques béotiens pour estimer qu'il y aurait eu pour un Pape, cette année-là, d'autres urgences à rompre le silence. Mais ce n'étaient là que gougateries. Car le Saint Office de Pie XII, fut bien malgré lui un pionnier dans le retournement anti-historique. Après la condamnation de “l'hégélianisme” du père Chenu et de ses complices, viendra le tour de Teilhard de C.

Il se trouve que, à peu près à la même période, du côté des tenants de la contradiction comme moteur de l'histoire, un Staline et Mao (De la contradiction) en vinrent à évoquer l'un après l'autre, la persistance, sur le terrain, de contradictions. Ils firent connaître au monde des “démocraties populaires” qu'elles étaient sans portée historique, (“non agonistiques”) puisque...(et afin que) leurs polices et leur juges les traitent dans le sang.

Quant aux pays dits “libéraux” d'Europe de l'ouest, ils y vinrent eux aussi vingt ans plus tard. Il leur fallut le ridicule des velléités de passage à l'acte de cette « hyper lucidité » autoproclamée (en France: « mai 1968 », et ailleurs) pour achever d'en détourner nos élites. Il fallut que, après s'en être amusées, elles se mettent à les prendre pour argent comptant. Le comique du péril rouge à Nanterre le dispute au Mitterrand-au-couteau-entre-les-dents. On s'inquiéta de ces élèves chahuteurs qui, menaçaient leurs maîtres en cas de mauvaise note. Le soupçon et la dialectique, ca commençait à bien faire.

Ainsi, péniblement et peu à peu, dans les sociétés libérales, on se rendit aux raisons des psychanalystes, qui eux, dans l'ensemble, ne s'en étant jamais vraiment laissé compter par les dénonciateurs de l'ordre établi, attendaient leur heure, celle d'éponger les frustations des militants du progrès. Il y eut foule. La cutie fut virée. Le vent avait tourné.

*

Depuis, gare au « nihilisme » individualiste, il s'agit de « restaurer nos valeurs ». C'est maintenant aux ex-“révolutionnaires” de plaider pour une contre-révolution. On avait tant répété depuis des siècles que la démocratie conduisait à la tyrannie; la démocratie, désormais, c'est le totalitarisme. D'ailleurs, “ce n'est pas pour rien que les pays totalitaires ont d'abord été démocratiques” (sic).

Pour éviter cà, on veut que les enfants se lèvent quand le maître entre en classe. Comme le jeune Péguy amouraché de “rosa, la rose” et le petit Camus entrant en 6ème... Non que, pour ces “ex”, ce soit vraiment là du passé. Non. Si l'école a cessé d'être telle, si elle a “changé”, disent-ils, ce fut par un mouvement contre-nature, violent, comme on disait avant Galilée. Agressée qu'elle a été par des tenants invétérés de la dialectique et du soupçon, des groupuscules “gauchistes”, embusqués dans des IUFM bourdieusiens. Par principe, voire par nature, l'Ecole n'avait pas à changer.

Pas plus d'ailleurs que le reste du monde. Lorsqu'un enfant meurt quelque part, cela suffit désormais à démontrer que le monde est mauvais, une fois pour toutes. “L'idée réactionnaire du progrès” (…) où en sommes-nous avec le temps?” demandent les “Nouveaux philosophes” et E. Lévinas qui maintenant “font tous face au privilège que s'octroyait l'histoire de décider de ce qui était vrai, juste et bon”(B.H. Lévy).

Et l'historien -bien obligé de croire tout de même encore un peu à ce qu'il enseigne- finit par s'adapter à l'esprit du temps. Il voit maintenant la Révolution comme un accident (F. Furet). Dans la “lanterne magique” foucaldienne (Sartre), les diapositives sur l'histoire (de la sexualité) se succèdent de plus en plus lentement. Et, en fin de compte, la sexualité supposée “permissive” de la Rome antique paraît de moins en moins différente de celle, jusque-là présumée “ascétique” du moyen âge chrétien. Parti de l'archéologie des savoirs, passé par le traitement discontinuiste des discours comme des pratiques, c'est à une quasi anthropologie générale qu'aboutit Foucault.

Haro sur le diachronique! Les ethnologues de la structure redécouvrent une quasi-nature avec l'interdit de l'inceste. Désormais, on se baignera toujours dans le même fleuve: Héraclite, à quoi tu pensais? Du coup, il est de moins en moins question de contester que la loi du marché et de la libre entreprise soient de droit naturel. Le capitalisme a tout juste besoin d'un petit “supplément d'âme”comme nous dit le philosophe des Echos (Comte Sponville). Affirmer publiquement que la religion est l'opium du peuple? Suggérer que la pédagogie régnante n'est peut-être pas la seule possible? Douter que la famille soit la « cellule de base de la société »?, etc. Autant de soupçons et réticences qui se sont évanouies dans les marges comme tant d'autres, il n'en est plus question. Se tenir debout sur une place, c'est être en retard d'une guerre (A Finkielkraut, 2016). L'idole du Progrès a perdu la cote, on ne s'en réclame plus sans pincettes, mais aussi, peu à peu, l'idée même de péremption. Vivons-nous le temps du “Ne varietur” et du “hic et nunc”?1 .

*

Sauf s'agissant des droits de l'homme et du citoyen, qui, eux, auraient encore une histoire (calamiteuse). Mais eux seuls.

Ils se trouve(rai)ent inéluctablement condamnés à l'imposture bourgeoise et à l'oubli. Ce serait une sorte d'imperfection opportuniste de leur Déclaration de 1789, lue comme compromis boiteux (M. Gauchet), qui les aurait voués à alimenter et couvrir un lent et inéluctable divorce entre l'homme et le citoyen. Et il est enjoint à tout un chacun de retrouver les effets “évidents” de cette évolution catastrophique dans tous les malheurs d'aujourd'hui. Aucune enquête de terrain n'est nécessaire. Tout le monde le sait: “150 ans d'erreurs”2.

La fragilisation historisante de naguère, ses anciens apôtres la vitupèrent, (s'exagérant un tantinet la portée de leurs propres fautes de jadis -comme on fait souvent au soir de sa vie). Et avec, en sens inverse, le même fanatisme.

Sauf donc s'agissant des droits de l'homme : eux et eux seuls, on les maintient dans la dégradation fragilisante où les avaient plongés l'ére du soupçon3.

Ainsi y a-t-il parfois dans nos campagnes, hors les périodes de chasse, des battues, qui visent un seul gibier considéré comme « nuisible ». La chasse aux valeurs avait fermé avec le XXème siècle. Avec le XXIème, c'est s'est ouverte la battue aux « droitdel'hommisme ».

Et s'agissant du gibier « droits » de l'homme, plus question de le « dépasser” pour le “conserver », comme au temps de la dialectique (aufhebung). Il s'agit de n'en rien conserver. Diatribes convergentes des marxistes aux surréalistes, des intégristes aux libertaires, en passant par les bureaucrates, les pédagogues, les chrétiens, les médecins... sans oublier tous les communautarismes.

Quand on lui parle des droits de l'homme, le souriant Deleuze perd ses nerfs (Abécédaire) C. Levi-Strauss -qui a vu du pays: “tous les régimes politiques se valent”. Il paraît que Madame Arendt n'était pas disciple de Burke, non! Ni comme le fut Disraeli, puis Maurras et ses disciples (à travers Maistre), ou encore jusqu'à ces derniers temps, nos increvables négationnistes (ex: Lyon III) voire M. Giscard d'Estaing (dans son article sur Burke, dans la revue Commentaire).

Mais enfin, mais enfin... Tel prudent professeur de votre connaissance, lui, n'est pas maurrassien: çà non! Il n'est pas non plus bolchévique! Seigneur! Il n'a jamais cédé aux charmes de la dialectique. Mais tout compte fait, il ne trouve pas mieux que La Question juive de Marx pour discréditer les droits de l'homme et du citoyen de 1789, en les traitant comme une mystification morale historique et circonstancielle. Et le voilà parti accompagner ses pires ennemis jusqu'à leurs poubelles de l'histoire, pour les entrebâiller à son tour une dernière fois et y jeter les droits de l'homme. “Ouverture d'esprit” que de crimes...

*

Or on voit souvent, dans nos campagnes, l'ancien du village réputé sérieux se mettre en tête de la battue au sanglier. Ca lui rappelle sa jeunesse Cette fois-là, Raymond Aron marchait en tête de meute, fidèle à ses errements marxiens des années 30: il a tiré le premier.

«La Déclaration française de 1789 tire sa signification moins de sa prétendue universalité que du contenu historique qu'exprimaient et dissimulaient à la fois les formules abstraites... La Déclaration de 1789 ne se sépare ni de la philosophie particulière et non universelle qui l'inspire, ni de la révolte bourgeoise contre l'Ancien Régime»4..:

Tout y est: histoire contre universalité; particulière-non universelle-bourgeoise-dissimulation-abstraites. Le professeur de l'Express a été magistral.

Rien n'est démontré. Mais le feu était ouvert, on a pu lâcher les chiens de sang, les rabatteurs n'avaient plus qu'à “broder”, à crier et agiter les buissons. Ils continuent.

Et si l'on s'intéressait au gibier?

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